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60 ans de négation

lundi 2 juin 2008 - 08h:36

Ramzy Baroud

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Les Israéliens réalisent-ils qu’ils vivent sur les décombres de centaines de villes et villages de Palestine, tous détruits durant l’histoire la plus tragique faite de sang, de douleur et de larmes ?

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Vivant dans tant des zones coupées les unes des autres, chassés de leur terre, isolés les uns des autres, combattus en tous lieux...

Ne vous demandez jamais ce que vous avez pu faire, est le message de base envoyé par les partisans d’Israël quand ils prétendent que la Palestine n’a jamais été même un embryon d’Etat.

L’affirmation est naturellement facilement réfutable. Après la désintégration de l’empire Ottoman au début du 20ème siècle, les puissances coloniales se sont concertées pour s’en partager les restes. Au moment où la Grande-Bretagne et la France signaient en 1916, dans le secret, l’accord de Sykes-Picot qui avait pour effet de diviser les zones d’influence en Asie occidentale, il n’y avait guère de « nations en tant qu’États » dans la région qui correspondaient à la définition contemporaine du terme.

Toutes les frontières étaient le résultat de cuisines colonialistes qui servaient les intérêts des pays les plus puissants avides de contrôle stratégique, d’influence politique et de matières premières. La majeure partie de l’Afrique et une grande partie de l’Asie étaient victimes des invasions coloniales, lesquelles ont défiguré leurs compositions géopolitiques et plus tard socio-économiques.

Mais les Palestiniens, comme beaucoup d’autres peuples, se sont considérés comme un groupe unique lié historiquement à une entité géographique spécifique. « All That Remains » du professeur Walid Khalidi est un ouvrage de premier ordre qui documente la riche histoire du peuple palestinien et de la Palestine pré-israélienne. Une telle histoire est souvent négligée, sinon entièrement écartée. Certains choisissent de croire qu’aucune autre civilisation n’a jamais existée en Palestine, ni avant ni durant la période allant de la destruction supposée du deuxième temple par les Romains en 70 après J.C, jusqu’à la fondation d’Israël en 1948.

Mais que dire alors de faits irréfutables ? Par exemple, le « Jerusalem Post » s’est appelé le « Palestine Post » quand il a été fondé en 1932. Pourquoi le nom de Palestine et pas d’Israël ? Qui a précédé l’autre, comme entité politique pouvant être définie ? La réponse est évidente.

Ce n’est pas de nier ou d’accepter l’existence d’Israël qui me soucie. Israël existe, même s’il refuse de définir ses frontières, ou de reconnaître les injustices historiques commises contre le peuple de Palestine. Le nettoyage ethnique systématique et brutal de la majorité des chrétiens palestiniens et musulmans entre 1947 à 1948 est ce a qui permis d’établir une majorité juive en Palestine puis ensuite « l’état juif » israélien.

Il est également intéressant de se rappeler les tentatives systématiques de déshumanisation des Palestiniens et de négation de tous leurs droits. Lorsque Ehud Barak, alors premier ministre israélien, comparait les Palestiniens lors d’une entrevue avec le Jérusalem Post (août 2000) à « des crocodiles, plus vous leur donnez de la viande, plus ils en veulent, » il reprenait une tradition sioniste délibérée qui consiste à tirer un trait d’union entre les Palestiniens, les animaux et la vermine. Un autre premier ministre, Menahim Begin, visait les Palestiniens dans un discours à la Knesset en parlant de « bêtes marchant sur deux jambes. » Les Palestiniens ont aussi été traités de « sauterelles », de « cancrelats » et autres qualificatifs par de célèbres hommes d’état israéliens.

De telles comparaisons pourraient hélas être vues comme un progrès par rapport à l’ancienne affirmation de la première ministre Golda Meir selon quoi « il n’y avait aucune chose correspondant aux Palestiniens... ils n’ont jamais existés. » (15 juin 1969)

Pour justifier sa propre existence, Israël a longtemps imposé à ses propres citoyens une sorte d’amnésie collective. Les Israéliens réalisent-ils qu’ils vivent sur les décombres de centaines de villes et villages de Palestine, tous détruits durant l’histoire la plus tragique faite de sang, de douleur et de larmes, avec pour résultat le nettoyage ethnique de presque 800 000 Palestiniens ?

Alors qu’Israël célèbre son soixantième anniversaire, rien n’est autorisé à endommager l’héroisme supposé de ses pères fondateurs ou de ceux qui ont combattu en son nom. La Palestine, les Palestiniens, et ce rapport infiniment long entre un peuple et sa terre méritent à peine une pause tandis que les officiels israéliens et leurs contre-parties occidentales poursuivent leurs festivités.

Alors que certains oubliaient facilement beaucoup de chapitres historiques ayant trait à la souffrances des Palestiniens, les dirigeants israéliens — particulièrement ceux qui ont participé à la colonisation de la Palestine — se rendaient parfaitement compte de ce qu’ils faisaient. David Ben Gurion, premier ministre d’Israël, avait prévenu en 1948 : « nous devons tout faire pour nous assurer qu’ils (les Palestiniens) ne reviennent jamais. » En s’assurant que les Palestiniens étaient coupés de leur terre, Ben Gurion espérait que le temps se chargerait du reste. « Les vieux mourront et les jeunes oublieront, » avait-il dit.

Moshe Dayan, un ancien ministre israélien de la défense, ne se faisait également aucune illusion concernant la véritable histoire cachée sous les importantes réalisations israéliennes. Son discours au « Technion » à Haïfa (4 avril 1969) a été ainsi rapporté dans le quotidien Haaretz : « Nous sommes venus ici dans un pays qui avait été peuplé par les Arabes et nous construisons ici un état juif, un état hébreu ; à la place des villages arabes, des villages juifs ont été construits. Vous même ne connaissez pas les noms de ces villages, et je ne vous en blâme pas parce que ces villages n’existent plus. Il n’y a pas une seule colonie juive qui n’ait pas été établie sur les lieux d’un ancien village arabe. »

Israël, depuis ses débuts, a oeuvré pour miner n’importe quel sens d’une identité palestinienne. Sans la majeure partie de leur terre historique, le rapport entre les Palestiniens et la Palestine n’a pu exister que dans la mémoire. Mais par la suite la mémoire est parvenue à se transformer en une identité collective qui s’est imposée comme plus durable que l’existence physique sur la terre. « C’est un témoignage de la ténacité des Palestiniens d’avoir maintenu vivant un sens de la nation face à une telle adversité. Pourtant les obstacles à surmonter pour maintenir leur cohésion en tant que peuple sont aujourd’hui plus grands que jamais, » a rapporté l’ « Economiste » (8 mai 2008).

Vivant dans tant des zones coupées les unes des autres, chassés de leur terre, isolés les uns des autres, combattus en tous lieux, les Palestiniens n’ont pas seulement été opprimés physiquement par Israël, mais aussi bien dans leur existence même. Des tentatives ont eu lieu de tous les côtés afin de les forcer à céder, à oublier. C’est le rejet de ces tentatives par le peuple palestinien qui rend la victoire et « l’indépendance » d’Israël superficielle et réfutable.

Soixante ans après la catastrophe (la Nakba), les Palestiniens se souviennent toujours des injustices du passé et du présent. Naturellement il faut plus que le simple souvenir. Les Palestiniens doivent trouver un terrain d’entente pour leur unité - celle des chrétiens et des musulmans, des pauvres et des riches, des laïques et des religieux — afin d’empêcher Israël d’exploiter avec avidité leur propres divisions, le sectarisme et le tribalisme politique.

Mais, en dépit des espoirs et des efforts israéliens, les Palestiniens n’ont pas oublié qui ils étaient. Et toutes les négations du monde n’y changeront rien.

(*) Ramzy Baroud est l’auteur de « The Second palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com »

Site Internet :
www.ramzybaroud.net

Du même auteur :

- La coexistence, pas l’Apartheid !
- Le paradis est sans checkpoints
- La chimère américaine ’Palestine-Israël’
- "Les combats dans Bassora : à peine la moitié de ce qui s’est passé"

13 mai 2008 - Transmis par l’auteur
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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