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Démolitions de maisons : une perspective féministe palestinienne (2° partie)

vendredi 9 mai 2008 - 07h:56

Shalhoub-Kevorkian, Ph.D

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Les attaques militaires israéliennes sur les maisons palestiniennes et la politique de démolition menée par le gouvernement israélien ont sur les femmes des conséquences spécifiques particulièrement dévastatrices, et les poussent à des choix qui transforment à la fois leur perception d’elles-mêmes, leur rôle dans la famille et, dans tous les cas, leur rapport au collectif et au politique.

Consultez la première partie à : /spip.php?article4294

Cet essai féministe de genre, qui a pour ambition originale d’articuler les aspects publics et privés dans l’analyse des trajectoires individuelles en situation de conflit, se conjugue ici avec des paroles de femmes palestiniennes sur leurs détresses et leurs modes de résistances, pour un portrait au final de l’ampleur de la destruction humaine aujourd’hui à l’oeuvre en Palestine et de ses effets.

Des articulations multiples à prendre en compte

Quel est l’effet d’une telle politique militariste spatialement intrusive sur les femmes ? Je crois qu’en essayant de discerner les effets des destructions de maisons sur les femmes, les féministes et les militants des droits humains ont besoin de faire plus attention aux connections qui existent entre les divers systèmes d’oppression. Plus explicitement, on doit regarder les voies par lesquelles les démolitions de maisons, ou même la menace perpétuelle de perdre son foyer, affectent les femmes à tous niveaux.

En retour, cela appelle un examen rapproché des voies par lesquelles les espaces domestique et public sont liés. Ainsi, il faut regarder la façon par laquelle les divers systèmes de domination opèrent en tandem. Comme Siham me l’a confié, quand sa fille Manar va à l’école, elle est constamment harcelée par les soldats israéliens aux checkpoints, car ils savent que sa maison est en voie de démolition, et que sa famille est considérée comme une "menace pour la sécurité" d’Israël. La vulnérabilité de sa famille rend Manar plus exposée aux dangers d’être l’objet de tirs, d’être harcelée sexuellement et violée, arrêtée et plus encore. Siham m’a dit comment la santé de Manar s’est constamment détériorée, comment sa capacité à s’alimenter a diminué et à quel point élevé ses peurs et niveaux de frustration sont élevés.

Elle m’a confié que Manar était très déterminée à arriver à l’université à l’heure, mais que ses peurs d’être empêchée de traverser les checkpoints lui font choisir d’emprunter d’autres chemins plus dangereux, de chercher des routes alternatives - comme Siham l’a exposé : "ceci (choisir des routes dangereuses)... pour une jeune fille comme Manar, est très risqué, et cela me donne le sentiment - en tant que mère - que je ne peux même pas protéger mes propres enfants."

De plus, Siham a insisté sur le fait que Manar refuse de se marier avec l’homme qu’elle aime, craignant que son mariage n’entraîne une charge économique pour sa famille, alors que tous sont occupés à trouver de l’argent pour payer l’avocat, l’ingénieur du bâtiment, et les diverses amendes (qui excédaient les 70 000 shekels israéliens - presque 18 000 dollars - ces deux dernières années). Le sentiment de Manar de ne pas réussir à garder ses enfants en sécurité, et les réflexions de Siham telles que sa mère les a confiées, ont été repris dans des discussions qui s’ensuivirent entre un groupe de femmes des villages de Silwan, Ziayem, Isaweyeh, du camp de réfugiés Anata, et de Wadi Yasoul, toutes ayant leurs maisons soit démolies soit en cours de démolition.

Elles ont toutes redit la litanie des détresses et son effet sur les rôles genérés. Elles ont également observé comment les effets consécutifs aux démolitions sont envahissants et variées, causant des tensions pour les femmes, des conflits familiaux internes, la séparation des couples et de façon plus pernicieuse, la violence contre les femmes.

L’histoire de Manar et Siham ne sont qu’une histoire parmi de nombreuses autres illustrant que la compréhension de l’effet de la politique de démolition israélienne sur les femmes amène à regarder et examiner de près la façon dont les systèmes d’oppression se constituent mutuellement, et à comprendre comment le politique, le légal, le social et le genre sont liés. De plus, nous devons regarder aussi la façon dont les divers systèmes de domination et d’occupation opèrent sur le niveau domestique et local, et identifier les pratiques légales et sociales qui engendrent des hiérarchies raciales [2]. De telles hiérarchies racialisées - comme je l’ai montré dans les exemples précédents - renforcent les différences entre les hommes et les femmes, et opèrent comme un outil de discrimination et de domination supplémentaire.

C’est pourquoi, aussi pour comprendre plus avant l’effet de genre des démolitions de maisons et examiner l’effet de la ghettoïsation spatiale des Palestiniens, et le déplacement interne constant, nous devons parler de la mobilité/immobilité des femmes dans de tels espaces militarisés ; du statut économique des femmes et de la violence à leur encontre dans de telles circonstances ; des espaces sécurisés et insécures qui augmentent la vulnérabilité des femmes à la violence sexuelle, de l’isolation des espaces entre eux et leur exclusion qui favorisent un système de contrôle particulier. De manière plus importante, nous devons regarder la façon dont ces facteurs produisent un impact sur les relations de genre.

Ainsi, une analyse spatiale nous aide à comprendre l’entrelacs de l’histoire, la politique, le genre, l’espace, la race, l’occupation, le capitalisme, la loi et les jeux de pouvoir internationaux globalisés. Les hommes et les femmes sont amenés à se connaître eux-mêmes, à connaître leurs rôles et le pouvoir au travers de leur corps et de leurs espaces genrés. Comprendre comment les rôles de genre et les corps sont produits dans des espaces et comment les espaces racialisent les corps entraîne une interrogation sur la façon dont les sujets en arrivent à se connaître dans l’espace et à travers lui, à l’intérieur de systèmes de domination multiples.

Quel est le prix à payer par les femmes pour reconstruire un espace libéré dans un contexte militarisé carcéral ? Les prix que paient les femmes palestiniennes dans de telles conditions sont loin d’avoir été examinés/étudiés, et la nécessité d’élargir nos visions et nos analyses de l’enjeu présent est de la plus grande urgence.

Nos observations limitées dans les lieux mentionnés plus hauts montrent que certaines femmes palestiniennes trouvent que la quête de l’indépendance à l’intérieur d’un hâvre sûr - un foyer -, au vu des conditions dans lesquelles elles vivent, est une faiblesse, un acte égoïste qui n’apporte que solitude à ceux qui sont déjà ostracisés et exclus. D’autres préfèrent se retirer dans le tout, le collectif, et en même temps dans le soi, tandis que d’autres encore défient le système et transforment leurs rôles liés à leur genre féminin.

Les façons pour les femmes d’affronter les divers systèmes de dominations à travers les attaques répétées sur leurs espaces privés et publics, à la fois ont accru leurs vulnérabilités, mais aussi les ont mises en capacité de lutter contre l’injustice. Ces femmes situées en première ligne considèrent leurs actions pour ce qu’elles sont - une résistance politique à ce qu’elles appellent "nidal". Elles ont essayé - dans "le rien" laissé - de trouver des façons, et d’inventer des méthodes, pour gérer la perte de la maison et du foyer [3]. Néanmoins, la question demeure de savoir si la communauté internationale va continuer d’être aveugle, et d’éviter d’examiner l’effet de genre des démolitions de maisons ainsi que les épreuves en cours pour les Palestiniens en général et pour les femmes en particulier.

Les démolitions ne sont pas des actes politiques, économiques, sociaux ou psychologiques à considérer de manière isolée

En écoutant attentivement les mots des femmes, et en regardant les démolitions autrement qu’avec un oeil fatigué, nous espérons montrer comment la destruction des maisons est aussi de manière significative une destruction de "foyer" pour les Palestiniens, la démolition de la maison n’est pas un enjeu politique, légal, social ou psychologique isolé. Pour les femmes palestiniennes, la perte ou la menace de perte de la maison/du foyer signifie un accroissement de leur vulnérabilité mais aussi de leur détermination à combattre une telle oppression.

Une analyse de genre de la politique de démolition des maisons est urgente car elle pourrait nous aider à comprendre les voies par lesquelles les corps des femmes sont ancrés dans les histoires et les matrices de l’espace et de la place dans les zones de conflit : "la place", selon elles, est "la place de la femme". Un tel espace affecte les façons pour les femmes de construire leurs identités, des identités qui ne sont ni immuables ni statiques. Ou, comme Fadwa l’a affirmé : "Lama rah il bit...hassit mish bas rahat dari...inma rah miqdar”- quand j’ai perdu mon foyer... j’ai eu le sentiment que non seulement j’avais perdu ma maison, mais j’avais perdu ma valeur.

* Nadera Shalhoub-Kevorkian, Ph.D

Mercredi 26 décembre 2007 - Publié en anglais par le Jerusalem Center for Women, une ONG palestinienne
Traduction vers le français par www.resistingwomen.net


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