16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Démolitions de maisons : une perspective féministe palestinienne (1° partie)

mercredi 7 mai 2008 - 06h:40

Shalhoub-Kevorkian, Ph.D

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Les attaques militaires israéliennes sur les maisons palestiniennes et la politique de démolition menée par le gouvernement israélien ont sur les femmes des conséquences spécifiques particulièrement dévastatrices, et les poussent à des choix qui transforment à la fois leur perception d’elles-mêmes, leur rôle dans la famille et, dans tous les cas, leur rapport au collectif et au politique.

Consultez la seconde partie à : /spip.php?article4295

JPEG - 23.5 ko
Démolition maison

Cet essai féministe de genre, qui a pour ambition originale d’articuler les aspects publics et privés dans l’analyse des trajectoires individuelles en situation de conflit, se conjugue ici avec des paroles de femmes palestiniennes sur leurs détresses et leurs modes de résistances, pour un portrait au final de l’ampleur de la destruction humaine aujourd’hui à l’oeuvre en Palestine et de ses effets.

Les publications produites à propos des femmes dans les zones de violence et de conflit politique tentent en général de révéler le processus de victimisation des femmes dans les contextes privés davantage que publics. En fait, il serait juste de dire que la "politique de conflit" elle-même est presque toujours considérée comme une discipline qui se joue en dehors de l’arène publique. Par contraste, cette remarque introductive a pour but de révéler les chemins par lesquels le côté domestique des violences est étroitement lié à la violence publique de conflit et de guerre.

Ainsi, cet essai espère éclairer cet espace de confluence entre la sphère privée et l’espace public élargi, politique et politisé, qui se situe au-delà du premier. Par cette tentative, cette introduction examine spécifiquement les attaques militaires israéliennes sur les maisons palestiniennes et leurs démolitions, et tente d’esquisser les effets de telles démolitions sur les femmes palestiniennes.

En adaptant une perspective féministe critique qui croit à la nécessité d’offrir des épistémologies et consciences oppositionnelles, j’aimerais mettre l’accent sur l’effet genré du crime des démolitions et mises sous scellé de maisons, que ces actes soient effectifs ou à l’état de menace, telles qu’utilisés hier comme aujourd’hui par le gouvernement israélien dans l’occupation de la terre palestienne dans les Territoires Palestiniens Occupés.

Les démolitions de maisons : un crime de guerre

Ces dernières décennies, Israël a confisqué systématiquement la terre des Palestiens à la fois en Israël et dans les Territoires Palestiniens Occupés, et s’est engagé dans la démolition de maisons sur cette terre, a continué à violer les droits humains internationaux et les lois humanitaires internationales. Légalement, les destructions de maisons sont considérées comme un crime de guerre selon les Conventions de Genève de 1949.

De surcroît, le Conseil de Sécurité du 19 mai 2004 a adopté la résolution 1544, qui réitère l’obligation pour Israël, en tant que puissance occupante, de se conformer scrupuleusement à ses obligations et responsabilités légales en lien à la Quatrième Convention de Genève du 12 août 1949 concernant la Protection des Personnes Civiles en Temps de Guerre, ainsi qu’à d’autres résolutions concernant les questions palestiniennes.

Israël a échoué de manière répétée à respecter ses obligations liées aux conventions des droits humains internationaux telles que le Pacte international relatif aux Droits économiques, sociaux et culturels ; la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; le Statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale, et bien d’autres.

Le 27 mai 2004, le Centre Palestinien pour les Droits humains Adalah, et Al-Haq (une ONG palestinienne) ont préparé une pétition et une motion demandant à la Cour Suprême de définir - pour la première fois - l’étendue légale du terme "nécessité militaire" en l’accordant à la loi humanitaire internationale, au Statut de Rome relatif à la Cour Pénale Internationale et aux décisions récentes du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. La raison sous-jacente à cette demande tenait dans les abus constants perpétrés contre les résidents palestiniens au nom de la "nécessité militaire" et/ ou des "menaces contre la sécurité" que ces résidents représenteraient ostensiblement.

Politique racialisée de ghettoïsation spatiale

Tactique très fréquente de l’armée israélienne, les démolitions de maisons ont été une méthode très efficace pour militariser des espaces et imposer la domination spatiale, également pour intensifier la constante surveillance des espaces palestiniens, donnant un pouvoir considérable à l’Etat israélien, son armée et sa police, autorisant celles-ci à attaquer sans discrimination... Peut-être de façon moins manifeste, mais d’importance majeure, est le fait que les destructions de maisons transforment le foyer - à la fois matériellement et symboliquement - en un champ de bataille, ce qui a pour conséquence qu’il ne reste aucun havre sûr pour les citoyens palestiniens.

La militarisation des espaces domestiques par la politique des démolitions de maisons transforme l’espace privé, politique, effectivement incarné des hommes et des femmes palestiniens, en l’arrière-pays de zones de conflits plus identifiables. Le foyer, une fois légitimé comme champ de bataille, peut être détruit, attaqué, disloqué et confisqué à chaque instant donné. De plus, les "lois sécuritaires" et les règlements sporadiques et arbitraires, apparemment promulgués pour aider l’Etat israélien à identifier les "terroristes" et les espaces qui peuvent éventuellement déstabiliser la société israélienne, ont en retour achevé de mettre en danger la sécurité et, bel et bien, les conditions de vie du peuple palestinien.

De telles justifications pseudo-légales des actions militaires, incluant l’usage militaire des terres confisquées [1] ont continué d’aggraver une structure sociale et une politique racialisées déjà depuis toujours. Et, inutile de le dire, de telles actions ont également exacerbé l’exclusion socio-économique des Palestiniens, leur sentiment extrême d’insécurité, et causé des déplacements internes constamment.

Plus généralement, la politique racialisée a formé des ghettos internes, et isolé et détaché les communes les unes des autres. Les Palestiniens sont devenus une sous-classe qui habite des espaces socialement et physiquement isolés, manquant de stabilité économique et d’emplois de longue durée, confrontés en continu à une perte de terre, de foyer et de gens aimés, et souffrant d’une instabilité sociale et d’un perte de contact avec les êtres chers.

Conséquences extrêmes pour les femmes

Les femmes palestiniennes souffrent en des façons uniques et spécifiques des destructions de maisons, et de toutes les autres actions militaires arbitraires qui les atteignent. Les caprices de l’armée israélienne ont accru la vulnérabilité des femmes palestiniennes à la violence, et ont affecté particulièrement les plus vulnérables d’entre elles telles que les femmes les plus jeunes et les plus âgées, les femmes déplacées et réfugiées, les femmes de situation socio-économique basse, les femmes sans emploi, les femmes enceintes et celles qui sont gravement malades et nécessitent un accès immédiat aux soins médicaux.

La perte du foyer, ajoutée aux restrictions de mouvements, au traitement d’humiliation constant envers les Palestiniens, et l’accroissement des mesures militaires, cachées ou apparentes, pour capturer/menacer ceux qui dans leurs maisons vivent dans le risque de la démolition, a extrêmement modifié, et dans certains cas transformé, le rôle de genre endossé par les femmes. A côté des impacts immédiats matériels, les démolitions de maisons ont des effets de long terme, comme la limitation voire la négation de l’accès des femmes à l’éducation, aux services sociaux, aux services médicaux, aux systèmes de soutien et aux ressources économiques.

Les différences et clivages genrés entre hommes et femmes n’ont pas été seulement renforcés mais aussi accentués par les forces militaires dans le cadre des démolitions de maisons. Les forces militaires ont violé les normes sociales et familiales et harcelé de manière volontaire sexuellement et socialement les femmes, ont humilié et violenté les hommes et les femmes publiquement et en privé. L’humiliation des hommes devant les femmes, et les sévices contre les femmes publiquement et dans leurs espaces privés au milieu des hommes de leur famille, le plus souvent avant, pendant et après les démolitions ont accru les peurs sociales et le sentiment d’insécurité concernant l’intégrité des femmes, et ont affecté ce que les féministes pourraient appeler, non la différence entre les hommes et les femmes, mais la différence que produit cette différence.

Concernant la structure socio-économique genrée, les démolitions de maisons affectent les femmes de manière démesurée, car la maison est l’endroit où les femmes investissent le temps de façon la plus aiguë, construisent leurs réseaux de sécurité, développent leurs talents et leurs loisirs, gèrent leur travail de soin de la famille et leurs responsabilités dans la vie. Une fois la maison détruite, il reste aux femmes les fardeaux métaphoriques et symboliques - qui ne sont pas moins réels que la perte matérielle d’un endroit sûr où vivre - de ne pas disposer d’un sentiment de sécurité ni d’un endroit d’appartenance, ou d’une source de souvenirs.

La destruction du foyer a changé les rôles genrés précédents des femmes de façon aiguisée et les oblige à affronter de nouveaux défis : porter la charge de reconstruire une nouvelle maison/un nouveau foyer, et affronter toutes les contingences du déménagement, avec toute la charge économique, sociale et psychologique que cela entraîne. Plus généralement, les effets des démolitions de maisons sur les femmes ne se limitent pas au contrôle militaire et à la destruction de la terre, de la propriété physique et l’effet psychologique qu’elles provoquent, mais cela entraîne essentiellement la colonisation / l’oppression de tous les moyens économiques, sociaux et physiques de la survie.

Le processus d’humiliation et d’harcèlement avant, pendant et après qui presque toujours accompagne la perte de la maison, le sentiment d’un déplacement constant et arbitraire, se révèle de façon non surprenante augmenter le stress à l’intérieur des familles, élève le niveau de frustration des membres de la famille, et cause la perte critique des systèmes de soutien informels que l’espace de la maison fournissait à ceux qui percevaient leur foyer comme l’un des endroits les plus significatifs dans leurs vies, - à savoir les femmes et les enfants. De nombreuses femmes ont tenté d’expliquer les façons par lesquelles la destruction effective de la maison physique était toujours accompagnée par des changements dans leurs rôles genrés et la perte correspondante du "foyer", dévastatrice émotionnellement et métaphoriquement.

Comme Maha l’a affirmé de façon succinte et lucide, "depuis qu’ils ont démoli la maison, j’ai cessé de savoir qui je suis, et ce que je dois faire... Je me sens m’shatateh - déplacée... Je me sens comme une réfugiée dans ce monde... Je me sens comme nue... haddo hilteh - ils m’ont dépouillée de tout mon pouvoir”. Similairement, Ina’am a dit : “Mish Bas Il Dar Rahat...Il Bit Kullu Rah...wit shatatna (ce n’était pas seulement la maison qui était perdue, mais tout le foyer, et nous avons fini déplacés et exilés)”.

Plus généralement, il est revenu aux femmes des tâches exclusives suite à la perte de la maison et du foyer. Les femmes ont essayé d’expliquer à plusieurs reprises la myriade de problèmes qu’elles ont affronté en créant pourtant un autre espace pour leurs familles et elles-mêmes (un espace qu’elles savaient pas forcément à l’abri d’un nouvel acte de destruction arbitraire).

Elles ont parlé des difficultés à organiser et créer un nouveau foyer à partir de ce qui restait, c’est-à-dire, littéralement, rien, pour recommencer à nouveau. elles m’ont confié leurs difficultés à prendre soin de leurs besoins et de ceux des membres de leurs familles suite à la démolition, leur quête d’une place où vivre, leur besoin d’abri, de nourriture, aussi en termes d’hygiène et de santé. Elles ont parlé de leur tentation du désespoir, néanmoins de leur nécessité d’être fortes et calmes vis-à-vis de leurs enfants alors qu’elles n’avaient pas de place où camper et les tenir en sécurité.

Elles ont discuté leur besoin d’aller au travail ou à l’école, bouleversées, désespérées, affamées et sans avoir pu seulement être capables de se laver, ou de changer de vêtements. Les femmes ont souvent mis en exergue que cela était plus facile pour leurs fils ou leurs frères qui pouvaient au moins dormir dans la famille ou chez des amis ; mais que pour elles et leurs filles (essentiellement en raison des restrictions sociales concernant les filles), qui étaient plus vulnérables, il était toujours plus difficile de survivre à ces dislocations violentes. Les femmes ont parlé d’incidents, par exemple certaines de leurs filles commençant leurs règles à l’âge de dix ans suite au traumatisme engendré par la perte de leur maison.

Certaines femmes ont témoigné que le fait qu’on attendait des filles qu’elles réagissent à la démolition de leur maison d’une manière féminine, sans être capable de donner libre cours à leurs émotions comme leurs frères masculins, a finalement affecté leur état mental. La perte du seul havre sûr que les jeunes garçons et filles aient connu, bien sûr les a affectés tous profondément, mais les ramifications de genre d’une telle violence subie sont différents, et loin d’être totalement recensés.

* Nadera Shalhoub-Kevorkian, Ph.D

Mercredi 26 décembre 2007 - Publié en anglais par le Jerusalem Center for Women, une ONG palestinienne
Traduction vers le français par http://www.resistingwomen.net


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.