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Gaza : le pouvoir du peuple

jeudi 7 février 2008 - 07h:42

Ramzy Baroud

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L’acte de courage collectif de Gaza est l’un des plus grands actes de désobéissance civile de notre temps, écrit Ramzy Baroud.

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25 janvier 2008 - Les Palestiniens font des achats massifs en Egypte - Photo : AP

Dans un interview à la radio avant l’invasion américaine de l’Irak, David Barsamian demandait à Noam Chomsky ce que les Américains du peuple pourraient faire pour stopper la guerre. Chomsky a répondu, « Dans certaines parties du monde les gens ne se demandent jamais `que pouvons-nous faire ?’ Tout simplement ils le font. »

Pour quelqu’un qui est né et a grandi dans un camp de réfugiés à Gaza, la réponse apparemment indirecte de Chomsky n’avait besoin d’aucune explication supplémentaire.

Lorsque les Gazouites ont récemment donné l’assaut à la frontière bouclée entre leur territoire et l’Egypte, le commentaire de Chomsky m’est revenu à l’esprit, avec des réminiscences du passé encore si réel et qui me hante.

En 1989, le camp de réfugiés de Bureej vivait un couvre-feu militaire très strict, comme punition collective pour la mort d’un soldat israélien. La voiture du soldat était tombée en panne devant le camp tandis qu’il s’en retournait vers son domicile dans une colonie juive. Bureej avait auparavant perdu des centaines de ses habitants à cause de l’armée israélienne et le meurtre du soldat était un acte de vengeance prévisible.

Dans les semaines qui ont suivi, une masse de Palestiniens dans Bureej ont été assassinés et des centaines de maisons ont été démolies. La débauche de meurtres n’a alors eu droit qu’à une faible couverture médiatique en Israël.

Je vivais à cette époque avec ma famille dans un camp de réfugiés adjacent : Nuseirat. Bien que d’une pauvreté extrême, ce camp était un lieu de vie normal pour une grande partie du mouvement de la résistance palestinienne. Notre maison était située à quelques mètres de ce qui était connu comme le cimetière "des martyres". C’était un secteur un peu élevé que les enfants du camp utilisaient souvent pour observer le mouvement des tanks israéliens alors que ceux-ci commençaient leur incursion quotidienne dans le camp. Nous avons sifflé ou crié chaque fois que nous avions repéré les soldats, et nous utilisions le langage des signes pour communiquer pendant que nous nous cachions derrière les tombes.

Bien qu’observer, crier et siffler étaient les seuls moyens à notre disposition, ils étaient loin d’être sans danger. Mes amis Ala, Raed, Wael et d’autres encore ont été tués dans ces incursions armées quotidiennes.

Durant ce couvre-feu de Bureej, alors de loin le plus mortel, le bruit des explosions venant du camp investi nous parvenait à Nuseirat. Les habitants de mon camp se perdaient dans des discussions sans fin qui n’étaient ni partisanes ni théoriques. Des gens étaient brutalement assassinés, blessés ou réduits à la pauvreté, alors que la Croix-Rouge se voyait refuser l’accès au camp. Quelque chose devait être fait.

Et soudainement cela s’est passé. Pas en raison d’une quelconque résolution approuvée par des intellectuels ou d’appels à l’action lancés dans des conférences, mais comme un acte non organisé et réalisé sur le moment par quelques femmes dans mon camp de réfugiés. Elles ont simplement lancé une marche dans Bureej, et ont été bientôt rejointes par d’autres femmes, par des enfants et des hommes. En une heure, des milliers de réfugiés ont convergé vers le camp voisin assiégé. « Que pourraient-ils faire de pire ? » a demandé un voisin, essayant de rassembler son courage avant de se joindre à la marche. « Les soldats ne pourront pas tuer plus d’une centaine d’entre nous avant que nous ne les maîtrisions. »

Les soldats israéliens ont été désorientés face à cette multitudes qui arrivait en chantant. Alors que beaucoup de marcheurs étaient blessés, un seul d’entre eux a été tué. Les soldats se sont par la suite retirés derrière leurs barricades. Les véhicules de l’ONU et les ambulances de la Croix-Rouge se sont mêlés à la foule et ensemble ils ont brisé le siège.

Je me rappellerai toujours de cette scène des habitants de Bureej ouvrant pour la première fois les volets de leurs fenêtres, poussant avec précaution leurs portes, faisant un pas hors de leurs maisons dans un état d’incrédulité se transformant en joie. Ma mémoire - celle des chants, des larmes, du mort qui devait vite être enterré, des blessés transportés avec les nombreuses mains venues à leur secours, des étrangers partageant la nourriture et les souhaits - confirme que cet événement était un des plus grands actes de solidarité humaine dont j’ai pu être le témoin.

La scène devait se répéter maintes et maintes fois durant le premier et le deuxième soulèvement palestinien : appliquée par les gens du peuple à qui cela semblait un acte ordinaire en réponse à une extraordinaire injustice.

Le père qui a perdu son fils pour libérer Bureej a dit à la foule : « Je suis heureux que mon fils soit mort pour que beaucoup d’autres aient pu vivre. »

Plus tard le même jour, notre camp de réfugiés est tombé sous le couvre-feu militaire le plus strict, pour revivre le cauchemar récent de Bureej. Nous n’étions pas étonnés et ne regrettions rien. Nous avions su c’était la bonne chose à faire et « nous l’avions simplement fait. »

Les femmes palestiniennes, une fois de plus, ont dirigé la société civile palestinienne de la façon la plus significative et la plus efficace. Au moment même où le ministre de défense israélien Ehud Barak se voyait félicité pour sa réussite à faire mourir de faim les Palestiniens de Gaza pour les amener à se soumettre, les femmes du peuple ont organisé une marche pour briser le blocus imposé à Gaza.

Le mardi 22 janvier, elles sont descendues vers la frontière entre Gaza et l’Egypte et ce que a suivi a été à la fois un moment de fierté et de honte : fierté pour ces personnes indestructibles refusant de se soumettre, et honte que la soi-disante communauté internationale ait toléré l’humiliation d’un peuple entier dans la mesure où les mères affamées ont été obligées de braver les matraques, les gaz lacrymogènes et la police militaire [égyptienne] afin de remplir un acte aussi élémentaire que d’acheter de la nourriture, des médicaments et du lait.

Le jour suivant, le courage de ces femmes a inspiré la même témérité que la celle des femmes de mon camp de réfugiés il y a presque vingt ans. Presque la moitié de la population de la bande de Gaza a franchi la frontière dans un élan collectif pour une simple question de survie. Et quand les gens avancent à l’unisson, il n’y a aucune force au monde qui puisse les arrêter, si ce n’est par des moyens mortels.

Cette « plus grande évasion d’une prison dans l’histoire », comme un commentateur l’a décrite, sera marquée dans la mémoire des Palestiniens et du monde entier pour les années à venir. Ce sera analysé sans fin dans quelques cercles, mais pour des Palestiniens de Gaza, leur acte est au delà de toute rationalisation : il devait simplement être fait.

Des armées peuvent être défaites mais l’esprit humain ne peut pas être soumis. L’acte de courage collectif de Gaza est l’un des plus grands actes de désobéissance civile de notre temps, apparentée aux marches des droits civiques en Amérique pendant les années 60, de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, et plus récemment des manifestations en Birmanie.

Le peuple de Palestine a réussi là où la politique et les milliers d’appels internationaux ont échoué. Il a pris son sort dans ses propres mains et il s’est imposé. Alors qu’il est difficile d’imaginer que ce soit le début de la fin des souffrances dans Gaza, c’est un rappel que la force d’un peuple est trop grande pour pouvoir être négligée.

(*) Ramzy Baroud est l’auteur de « The Second palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com »

Site Internet :
www.ramzybaroud.net

Du même auteur :

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- Exploiter politiquement la misère qui sévit dans Gaza ?
- Somalie : ce que la presse ne vous dit pas

5 février 2008 - Communiqué par l’auteur - Vous pouvez consulter cet article à :
http://ramzybaroud.net/articles.php...
Traduction : Claude Zurbach


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