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Naplouse, ville blessée

samedi 22 décembre 2007 - 07h:28

Palestine Monitor

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C’est bien plus qu’un simple bâtiment et des pierres. C’est notre mode de vie. Si de tels endroits, tels que la savonnerie ou les mosquées, sont détruits, c’est notre culture qu’on détruit dans le même temps.

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Le marché dans la Vieille Ville de Naplouse.

Bien qu’étant une petite étendue de terre, la Palestine présente de nombreux visages, depuis ses minuscules villages jusqu’à ses villes animées. Peut-être que l’un des lieux les plus impressionnants est la cité de Nablus [Naplouse]. Venant de Ramallah, pour rentrer dans la cité il faut passer par le check-point énorme, embouteillé, d’Huwwara. Une fois franchie cette porte rajoutée à la cité, installée par l’armée israélienne en octobre 2000, la première impression est celle d’une vile arabe flamboyante, avec cependant une sensation de tension dans l’air.

Située dans le nord de la Cisjordanie, Nablus est la plus grande cité des territoires palestiniens occupés, habitée par quelque 134 000 personnes. Avant la Seconde Intifada, au cours de laquelle Israël a bouclé la ville, Naplus était essentielle pour l’économie de la Palestine. Pendant des siècles, sa production la plus célèbre fut le savon à base d’huile d’olive, un fait certifié par les quelques savonneries traditionnelles qui restent dans la ville.

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Les murailles de l’ancienne Shechem.

Mais d’abord et surtout, Naplouse abrite cinq mille ans d’histoire. Les vestiges de l’ancienne Shechem, à quelques kilomètres à l’extérieur de la ville actuelle, avec leurs grands murs de pierres sèches, sont un témoignage frappant de l’histoire la plus ancienne de cette région. Puis, les Romains sont venus, ils ont reconstruit la ville et l’ont appelée « Neapolis », d’où le nom de « Nablus ». Alors est venue la période byzantine, suivie de l’arrivée de l’Islam, puis des invasions de croisés et de l’ère ottomane, lesquelles, toutes, ont laissé des traces à Nablus.

On sera peut-être étonné de voir que la Vieille Ville de Nablus est un lieu d’une splendeur incroyable. Son labyrinthe de rues pavées mène d’un site étonnant à l’autre. La structure architecturale dense de la Vieille Ville, faite de ruelles étroites et d’allées obscures, évoque des milliers d’histoires.

Il existe une autre source d’histoires, inépuisable, c’est Majde, coordinateur culturel international et passionné de Nablus, de premier ordre. « La plus grande partie de la Vieille Ville date de l’ère ottomane mais certains parties remontent aux Romains. Al-Balad Al-Qadima - nom de la Vieille Ville en arabe - consiste en 6 quartiers principaux dont chacun est rattaché à de puissantes familles qui contrôlaient Nablus dans le passé. Nablus n’a jamais eu de murailles, comme Jérusalem par exemple, aussi sa conception en forme de labyrinthe a été utilisée comme moyen de défense. »

Mais la Vieille Ville n’est pas un musée. Au contraire, ses rues sont animées et ses nombreuses boutiques vendent de tout, de l’électroménager à de malheureux poulets. « C’est vrai, c’est comme ça » assure Majde. « La Vieille Ville abrite, encore, plus de 20 000 habitants qui vivent et travaillent ici. »

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Un atelier dans un décor vieux de plusieurs siècles.

Nablus a beaucoup souffert ces dernières années. Bastion de la résistance, la cité est devenue la cible d’attaques terribles de l’armée israélienne depuis le début de la Seconde Intifada, en 2000, jusqu’à aujourd’hui encore. « Il y a toujours des incursions israéliennes, la nuit. Nablus est toujours assiégée, surtout la Vieille Ville » explique Majde. Outre les pertes humaines innombrables et les difficultés auxquelles sont confrontés ses habitants, Nablus ressemble à une cité dévastée. Beaucoup de ses constructions historiques et de ses éléments architecturaux ont été lourdement endommagés, voire complètement détruits. Une perte immense pour le patrimoine culturel de la Palestine.

La destruction par Israël du patrimoine culturel de la Palestine, et plus spécialement à Nablus, sort largement du prétexte des nécessités militaires. « Il existe des preuves évidentes que le patrimoine palestinien est pris pour cible, spécifiquement, en tant que tel » dit Naseer Arafat, défenseur de l’architecture à Nablus, lors d’un entretien accordé à l’Independent en décembre 2002. En tant que puissante occupante, Israël est tenu d’appliquer le droit international humanitaire. S’agissant du patrimoine culturel, la base juridique est la 4è Convention de Genève de 1949 et, plus particulièrement, la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé.
En vertu de ces traités, signés par Israël, la destruction délibérée de sites historiques ou l’importation de biens culturels sont des crimes de guerre.

La logique de ce saccage israélien du patrimoine culturel n’est pas difficile à saisir. Dan Cruickshank, journaliste à la BBC : « Les constructions ont une importance immense dans la région. On s’appuie sur des possessions d’immeubles pour justifier de positions politiques et militaires. Chacun des deux côtés tente de détruire l’histoire de l’autre, essayant par là d’affaiblir tout sentiment de propriété » explique-t-il lors d’une interview au Guardian.

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Là se trouvait une savonnerie.

Une des rues sombres de la Vieille Ville conduit à une place que l’on prendrait pour un parking. A tort. « Ici s’élevait l’une des plus anciennes savonneries de Nablus. Les Israéliens l’ont complètement détruite, juste avant leur départ » dit Majde. Il veut parler de l’opération Bouclier défensif, d’avril 2002, où l’armée israélienne a réoccupé plusieurs villes importantes palestiniennes. « La savonnerie existait depuis plus de 400 ans. Avec elle, ils ont rasé 25 maisons attenantes. De l’autre côté de la rue, la façade de l’église orthodoxe a été endommagée. C’est un ancien quartier chrétien ici, c’est pour cela qu’il y a plusieurs églises. »

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Autrefois, un projet de restauration ambitieux...
aujourd’hui un désert à cause du boycott international.

Une petite porte dans la palissade de métal sur l’arrière de la savonnerie détruite donne sur un chemin qui conduit à un autre point zéro de Nablus. « C’est le Al-Khan » explique Majde. « C’était quelque chose comme un grand motel pour voyageurs, de la période ottomane. Au rez-de-chaussée, il y avait des écuries, puis des tavernes et au deuxième étage, des pavillons. Un projet de restauration par l’UNESCO le remettait en activité dans le but d’en faire un centre culturel, une auberge de jeunesse et des boutiques d’artisanat d’arts. Mais il fut détruit lui aussi en 2002. » Bien que le projet de restauration soit toujours réalisable, l’endroit est devenu aujourd’hui désert, exceptée la présence de gardes amis. « En raison du boycott international après les élections et la victoire du Hamas, le projet est paralysé depuis 6 mois déjà. » dit Majde.

L’arrêt suivant est l’un des rares bains turcs qui restent dans la cité. « Nous avons connu trois invasions ici » explique Majde. « A chaque fois, le bain a été reconstruit. C’est bien plus qu’un simple bâtiment et des pierres. C’est notre mode de vie. Si de tels endroits, tels que la savonnerie ou les mosquées, sont détruits, c’est notre culture qu’on détruit dans le même temps. C’est pourquoi il est important de restaurer les bâtiments et notre mode de vie. »

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Le bain turc.

La dévastation n’a pas cessé après les jours les plus difficiles de la Seconde Intifada. L’armée israélienne continue d’envahir la Vieille Ville, presque toutes les nuits, cherchant certains Palestiniens. Le résultat de cette violence quotidienne est planifié. Majde en souligne certains détails marquants. « Dans toute la Vieille Ville, il ne reste plus une seule porte ancienne en bois, ou portail. Tous, ils ont été détruits. »

Nouvel arrêt à une petite porte verte mènant à une cour. Deux hommes sont occupés à nettoyer des gravats. « Cette maison a été démolie il y a deux mois par l’armée israélienne » expliquent-ils. « Les soldats ont prétendu qu’un Palestinien qu’ils recherchaient faisait partie de cette famille, mais ce n’était pas vrai. Ils ont fait sauter la maison après avoir obligé ses habitants à sortir. Maintenant, 50 personnes sont sans abri. » Cette forme de punition collective et la destruction de propriétés et du patrimoine culturel, sans nécessités militaires, sont des violations graves du droit international. La partie la plus ancienne de la maison était vieille de 400 ans, elle datait de la période ottomane. Maintenant, ce n’est plus qu’un tas de ruines mélangées avec des objets appartement à cette famille.

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Une maison récemment détruite dans la Vieille Ville.

A la sortie de la Vieille Ville, au bout d’une petite rue, se présente une autre scène pénible. A cet endroit presque totalement recouvert d’ordures et coincé entre deux immeubles d’habitation, il y avait un cimetière, bien conservé, datant des Romains. Maintenant, c’est un désastre. Majde rappelle les évènements qui y ont conduit. « En 2002, pendant l’invasion, les soldats israéliens ont brisé les tombes sous prétexte que des armes auraient pu y être cachées. Mais ils ont tout pris sur le site, même les mosaïques. Aujourd’hui, l’endroit est totalement abandonné. » Il était prévu de restaurer les tombes avec l’aide d’une association italienne, mais là encore, à cause du boycott international, le projet a été stoppé. « La même chose est arrivée au musée. On ne sait pas vraiment qui a pillé le musée, mais cela a eu lieu en pleine occupation israélienne, de sorte qu’elle en prend la responsabilité. Il ne reste rien, sauf quelques objets en pierres, trop lourds pour être déplacés. »

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Les tombes de la période romaine, détruites puis délaissées.

Mais les Palestiniens eux-mêmes ne sont pas sans reproche dans cette guerre contre l’histoire. Juste à l’extérieur de Nablus, près de Balata, les restes d’un incendieen témoignent. Le bâtiment, connu sous le nom de Tombe de Joseph, est un site juif sacré. Dans les années 80, des colons juifs ont construit une école religieuse et un petit avant-poste autour du tombeau, protégés par l’armée israélienne. Au cours des émeutes contre le mur occidental en 1996, de durs affrontements ont eu lieu autour de la tombe et elle a été endommagée. Elle a été réparée par la suite mais en octobre 2000, une foule palestinienne en colère a chassé les colons et les militaires. La tombe a alors été saccagée et elle est restée telle quelle. Des ordures jonchent le sol calciné et les restes du tombeau sont éclairés par un rayon de la lumière du soleil qui tombe à travers un grand trou dans le plafond.

Certains pourraient se demander, pourquoi se soucier de vieux bâtiments et de reliques ? C’est que ce ne sont pas seulement des bâtiments, mais des endroits où un peuple a vécu, travaillé et prié. En les détruisant, on détruit aussi son mode de vie. Et les actions portées contre un patrimoine culturel visent à effacer la mémoire collective d’un peuple. C’est pourquoi ces exemples ne sont pas seulement des dommages collatéraux dans le conflit israélo-palestinien, mais des victimes muettes d’une guerre contre l’histoire.

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La tombe de Joseph, incendiée.




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17 décembre 2007 - Palestine Monitor - Les photos sont de Palestine Monitor - Traduction : JPP


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