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Invasion de Naplouse : résistance, hypocrisie et morts en sursis

vendredi 23 mars 2007 - 10h:02

Anna Baltzer - The Electronic Intifada

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Ce qui m’a frappée le plus lors de l’invasion de Naplouse n’a pas été l’assassinat de civils sans armes ; ni les entraves aux déplacements du personnel médical et à la circulation des ambulances, ni la détention aveugle des hommes, ni les maisons occupées, ni les couvre-feux. Ce que je n’oublierai jamais autant que je vivrai, c’est la résistance résolue de la population de Naplouse.

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Arès une longue attente, une mère et son enfant ont finalement l’autorisation d’entrer dans la vieille ville avec du pain pour des familles affamées incapables de sortir pendant le couvre-feu

Je suis venue en Palestine pour m’interposer dans les violations de droits humains, les documenter et soutenir la résistance non violente à l’occupation. Alors que je livrais du pain et des médicaments avec les volontaires médicaux pendant toute la durée de l’invasion, je me demandais si je remplissais vraiment ma mission. Est-ce que la distribution d’assistance ne permettait pas simplement l’application du couvre-feu ?

Une organisatrice israélienne chevronnée dans le domaine de la solidarité, Neta Golan, m’a finalement éclairé la question. Elle m’a dit : « C’est très bien de distribuer du pain et des médicaments aux personnes dans le besoin, mais l’effet et le but réels de ce que nous faisons est ailleurs : avant tout, nous soutenons les Palestiniens qui violent le couvre-feu. Ça, c’est de la résistance non violente. Quand vous vous déplacez bien qu’assigné à résidence, vous donnez l’exemple aux autres. Si les soldats savent qu’il y a des dizaines, voire des centaines de civils dans les rues, et que plusieurs d’entre eux sont des volontaires internationaux, ils ne peuvent pas tirer sur tout ce qui bouge comme ils l’ont fait lors des couvre-feux par le passé ».

Neta avait raison. Le simple fait d’être dehors était une forme de résistance non violente puissante. Toutefois, les Palestiniens n’avaient pas besoin d’être beaucoup encouragés ; dès le premier jour de l’invasion, j’ai vu plusieurs civils circuler à pied et en voiture dans les rues, défiant l’armée, simplement en essayant de mener un semblant de vie quotidienne.

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Des volontaires de l’UPMRC (Union des Comités Palestiniens de Secours Médical) escortent une mère et son enfant vers une ambulance en dépit du couvre-feu.

Certains Palestiniens sont allés un pas plus loin dans la contestation. Alors que l’armée nous avait empêchés, Firas (de l’UPMRC) et moi, d’entrer dans la vieille ville avec du pain, Firas a attendu dix minutes, puis m’a dit : « Anna, viens avec moi ». Il a attrapé autant de sacs qu’il le pouvait et a commencé à dépasser les jeeps. J’ai pris douze livres de pain et je me suis ruée derrière lui passant devant les soldats qui étaient sortis de leurs jeeps en criant : « Hé, arrêtez ! Que faites-vous ? Nous avons dit que vous ne pouvez pas entrer ! » Firas a continué à marcher fermement et moi je me suis tournée vers les soldats en leur disant : « Nous allons livrer du pain à des gens affamés. Vous allez nous tirer dessus ? » Ils sont restés sans voix et ils n’ont pas tiré.

Comme nous nous éloignions, Firas me sourit et dit : « La prochaine fois, ce sera plus facile ». Et de fait, quand nous sommes retournés avec plus de pain, les soldats nous ont dit que nous pouvions y aller cette fois-ci, mais pour cinq minutes seulement. « Bien sûr » avons-nous répondu en continuant à marcher sachant bien que ces jeunes de 18 ans essayaient de sauver la face.

La résistance faisait preuve d’imagination et elle était partout. Quand nous nous sommes lassés de parler anglais à voix très haute pour rappeler aux soldats qu’il y avait des volontaires internationaux dans les parages, une jeune Palestinienne nous a suggéré de chanter sa chanson favorite de Whitney Houston « I will always love you ». Nous avons donc chanté ensemble en tournant les coins où les soldats entraient de force dans les maisons, agacés de nous voir troubler le silence de leur effraction.

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Des soldats israéliens confisquent les pièces d’identité de volontaires humanitaires et les empêchent de fournir des services médicaux.

J’espérais que les soldats ne se sentiraient pas menacés par la chanson et qu’elle les humaniserait tout en nous permettant d’arriver au but. Quand l’armée empêcha les travailleurs médicaux et les volontaires internationaux d’entrer dans la vieille ville, ceux-ci ont rassemblé des affiches et de la peinture et monté une manifestation impromptue relayée par tous les médias qui étaient également exclus de la vieille ville. Les manifestants ont crié des encouragements devant un hôpital occupé jusqu’à ce que les jeeps leurs lancent des gaz.

La manifestation la plus puissante se produisit une semaine plus tard en l’honneur de la Journée de la Femme. L’Union des femmes de Naplouse avait organisé un meeting et une marche conjointement avec le Comité public contre les bouclages, l’UPMRC, l’Union des Comités de santé et d’autres groupes locaux de la ville de Naplouse pour réaffirmer leur pouvoir et leurs droits après une semaine d’incursions. Des centaines de Palestiniens, en majorité des femmes, se sont rassemblées et ont marché sur Huwwara - le poste de contrôle qui ferme la ville depuis le Sud - en portant des drapeaux et des photos de leurs maris, frères et pères recherchés ou emprisonnés, ou encore tués par l’armée. Des centaines de femmes ont tenu bon alors que les soldats en tenue anti-émeute repoussaient la foule.

Ma collègue, Nova, reconnut un des soldats parce que nous avions eu un échange mémorable avec lui lors de l’invasion. Le mercredi pendant le couvre-feu, nous escortions un médecin en service quand un soldat empêcha notre groupe de passer. Il expliqua : « Cet homme n’est pas un médecin. C’est un tueur ». Incrédules, nous lui avons demandé pourquoi. « Un Arabe a tué mon ami et cet homme est un Arabe » a-t-il avancé. J’ai répondu : « Je suis désolée d’entendre ce qui est arrivé à votre ami, mais cela ne veut pas dire que tous les Arabes sont des tueurs ». Il est resté imperturbable. Et il n’était pas le seul. Le soldat qui nous empêchait Firas et moi de passer a, lui aussi, clamé de façon éhontée sa colère contre les Arabes. C’est vrai qu’il y a des racistes partout dans le monde, mais il est particulièrement frappant d’entendre une telle haine dans la bouche d’un adolescent à qui on a mis un M16 entre les mains et qui jouit d’une quasi-totale impunité dans un pays dont il méprise la population.

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Après avoir été relâché, le docteur Ghassan soigne un enfant grièvement brûlé. Après l’avoir arrêté, des soldats israéliens ont essayé de ré-arrêter le Dr Ghassan lors d’une manifestation le 7 mars à Huwarra.

Bien entendu, tous les soldats n’ont pas fait de remarques de ce genre et ils se considéraient sans doute charitables vis-à-vis des Palestiniens, vu les circonstances. Un soldat qui nous a retenus pendant une demi-heure se vantait de toute la nourriture et des médicaments qu’il avait laissé passer. Il ne comprenait pas de quoi les Palestiniens se plaignaient encore. Je lui demandai d’où il venait et il me répondit « de Tel-Aviv ».

Moi : « Alors, si des Palestiniens armés envahissaient Tel-Aviv, enfermaient tous les habitants chez eux, et permettaient à des travailleurs humanitaires de leur apporter à manger et des médicaments, vous n’auriez pas de quoi vous plaindre ? »

Il me dit que ça c’était différent et je lui demandai, en quoi ? Il a changé de sujet. Je lui ai demandé pendant combien de temps il allait nous punir mon collègue et moi en nous retenant dans la rue. Il a répondu qu’il ne nous punissait pas, que nous devions simplement attendre un peu, ce qui était normal.

Je lui ai demandé : « Donc, si des Palestiniens armés vous arrêtaient devant chez vous, vous demandaient votre carte d’identité et vous empêchaient d’aller travailler, vous trouveriez cela normal ? » Là encore, il changea de sujet.

L’occupation et l’invasion durent depuis si longtemps que les soldats oublient qu’ils occupent la région illégalement et qu’ils n’y ont aucun autorité légitime. C’est comme si la Mafia prenait le contrôle de New York ; il serait peut-être judicieux d’obtempérer parfois, mais cela n’aurait absolument rien de légal. En vertu du droit international, l’occupation elle-même est illégale. Même d’après les accords signés par Israël, Naplouse est dans la Zone A, c’est-à-dire dans les 12 à 17 pour cent de la Rive occidentale où il est interdit aux Israéliens de pénétrer d’après Oslo II. Ce même Oslo II est parmi les accords dont Israël et le reste du monde exigent que le Hamas les reconnaisse pour que la population palestinienne ait à nouveau accès au flux d’assistance économique qui a été suspendu il y a un an.

Il est toujours instructif de renverser les rôles. Israël arme des adolescents et les envoie dans les villes palestiniennes où ils tuent quotidiennement des civils non armés. Que se passe-t-il quand des adolescents palestiniens armés entrent dans une ville israélienne ? Israël enfreint Oslo II tous les jours, mais le gouvernement palestinien ne sera pas reconnu ni ne recevra ses propres recettes fiscales avant d’avoir accepté intégralement les dispositions de ce même accord. (Accord qui, en passant, est loin de correspondre au droit international et de reconnaître les droits humains intégraux des Palestiniens).

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Des soldats israéliens occupent la vieille ville.

Israël se justifie pour ses grandes offensives contre les combattants palestiniens. Qu’en est-il des attaques contre les combattants israéliens, les soldats ? Il vaut la peine de relever que ce sont les soldats qui sont la cible des hommes recherchés et non les civils israéliens. La Brigade des martyrs d’Al Aqsa prépare des assauts contre des combattants armés qui occupent et confisquent illégalement leur terre, terre palestinienne. Il semblerait que les chasseurs et ceux qu’ils chassent sont coupables du même crime à Naplouse : l’attaque des soldats ennemis. Sauf que la lutte armée contre des forces d’occupation illégales est en fait protégée par le droit international, ce qui n’est pas le cas de l’occupation israélienne.

J’ai rencontré quelques uns des hommes recherchés, la veille de mon départ de Naplouse, entre autres un chef de la Brigade des martyrs d’Al Aqsa que j’appellerai Moussa. Une connaissance nous en avait présenté plusieurs qui buvaient du jus de fruits dans la vieille ville. Ils nous ont souhaité la bienvenue et nous ont servi un café sucré. Moussa parlait doucement et n’avait guère plus de quarante ans, tandis que la plupart des autres hommes recherchés n’étaient que des adolescents, tout curieux et excités à l’idée de rencontrer des étrangers. Moussa n’a élevé la voix qu’une seule fois pendant notre entretien pour crier sur un des garçons qui essayait de prendre ma photo avec son téléphone cellulaire. Il dit qu’il était extrêmement dangereux que des soldats trouvent la preuve de notre rencontre si, ou quand, les hommes étaient attrapés ou tués et il refusa ma carte de visite pour la même raison.

Après quelques minutes, je demandai à Moussa s’il avait un message pour le peuple américain. Il m’a remercié de l’occasion que je lui donnais de parler et commença :
Je fais partie de la résistance armée palestinienne contre l’Occupation. Je suis contre la violence envers les civils, qu’ils soient palestiniens ou israéliens, musulmans ou juifs. Je déteste me battre, mais quand les soldats envahissent nos maisons, notre terre et nos vies, nous avons le devoir de leur résister, de résister contre le vol de notre eau, de notre auto-détermination et de notre dignité. Nous sommes des êtres humains tout comme vous. Nous voulons vivre, avoir une famille, mener une vie normale. Mais s’il nous faut nous battre à mort pour protéger ce qui est à nous, notre terre, l’avenir de nos enfants, nous sommes prêts à le faire.

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Véhicules de l’armée israélienne endommageant les bâtiments et les ruelles de la vieille ville.

Je vous invite à regarder les cartes et les statistiques de ce conflit sur une longue période. Je déplore la mort de personnes innocentes dans les deux camps, mais la disproportion énorme entre les droits à la terre et à l’eau, les libertés civiques et les victimes civiles dans les deux camps est indéniable. La communauté internationale nous appelle des terroriste, mais une présence internationale objective qui témoignerait de ce qui se passe ici et qui tirerait ses propres conclusions serait la bienvenue. Est-ce que le fait de battre des enfants sans armes, des travailleurs médicaux, voire des bénévoles internationaux ne participe pas de la terreur ? Est-ce que profiter des accalmies dans la violence - quand la presse ne regarde pas - pour accélérer l’expansion des colonies dans les zones riches en terre et en eau n’est pas un crime ?

Les Palestiniens ont vécu dans l’harmonie avec les juifs par le passé et nous sommes disposés à le faire à nouveau. Après tout, les juifs sont nos frères et nos s ?urs, leur foi est comme la nôtre. Ainsi que notre parti, le Fatah, l’a dit très souvent auparavant, nous sommes prêts à vivre en paix avec Israël s’il peut y avoir une solution juste et viable aux questions des frontières, de la répartition de l’eau, des colonies, de Jérusalem et des réfugiés. Ce sont nos conditions, mais ce sont aussi nos droits.

Moussa est un homme mort en sursis, mais il continuera à résister aussi longtemps qu’il le pourra tout comme toute la population de Naplouse, chacun à sa manière. Je relaie le message de Moussa non pas pour défendre la violence, mais parce que je crois qu’il a le droit de faire entendre son point de vue. Les différentes parties à n’importe quel conflit ont droit à la parole, mais il est peu probable que les grands media retiendront le discours de Moussa, tout comme ils n’ont retenu que les aspects à sensation de l’invasion. Ils n’ont pas parlé de la destruction de belles vieilles maisons par des soldats à la recherche de tunnels inexistants.

Ils n’ont rien dit des murs de la vieille ville que les hummers israéliens, trop larges pour passer dans les rues étroites, ont endommagés de même que les tuyaux d’eau le long des murs qui ont été crevés et perforés pendant le couvre-feu, faisant perdre à la ville des tonnes de son approvisionnement précieux en eau propre. Ils n’ont pas mentionné les bains turcs vieux de 400 ans que les soldats ont utilisé comme base entre les opérations et ont ensuite détruits de fond en comble. Plusieurs familles vivaient de ce joyau culturel que nous avons trouvé en ruine, avec, jonchant le sol, des cartes à jouer que les soldats ont laissées au pied des bancs sur lesquels ils dormaient probablement.

Les medias n’ont pas fait état du feu qui a consumé une maison, ni des proches des hommes recherchés que l’on avait battus et arrêtés, ni du gamin de quinze ans qui a reçu une balle en caoutchouc dans le poignet alors qu’il était sorti acheter du pain pour sa famille. Ils n’ont pas signalé que les jeeps revenaient chaque nuit, même après qu’Israël eut annoncé que l’opération était terminée. Je voudrais vous parler de chacun de ces incidents en détail, mais franchement, au fil des heures, de nouvelles tragédies se succédaient et appelaient mon témoignage et mon aide. Je sais aussi que ce récit dépasse ce que la plupart des Américains très occupés auront normalement le temps de lire. Si vous l’avez lu jusqu’ici, je vous remercie, et jusqu’à ce que le monde cesse de passer sous silence les tragédies et les voix palestiniennes, je vous demande de m’aider à les faire entendre.

(Photos de Anna Baltzer)

* Anna Baltzer est volontaire au Service international des femmes pour la paix dans la Rive occidentale et auteur du livre Witness in Palestine : Journal of a Jewish American Woman in the Occupied Territories.
Pour toute information au sujet de ses écrits, photos, DVD et tournées de conférences, consulter le site
http://www.AnnaInTheMiddleEast.com

13 mars 2007 - Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction : amg [Info-Palestine]


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