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Israël - Le raid sur la Syrie, une répétition avant l’Iran ?

mardi 25 septembre 2007 - 06h:24

Peter Beaumont - The Observer

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L’incursion de l’aviation israélienne menée le 6 septembre sur le territoire syrien avait un but précis : prouver que Tsahal est capable de répondre à toute menace régionale. Un avertissement pour Téhéran.

Le général Eliezer Shkedi, commandant en chef de l’armée de l’air israélienne, visitait la semaine dernière une base dans la ville côtière de Herzliya. Pour cet officier de 50 ans, qui dirige également le commandement iranien de Tsahal, l’organisme qui serait chargé de mener une guerre contre Téhéran si on lui en donnait l’ordre, il s’agissait de remonter le moral des troupes en rencontrant les pilotes et les navigateurs qui avaient volé durant le mois de guerre contre le Liban, en juillet 2006. Les journalistes, présents en grand nombre, étaient là pour une autre raison : ils comptaient interroger Shkedi à propos d’un mystérieux raid aérien mené tout récemment en territoire syrien, et qui portait le nom de code de “Verger”.

Le général a ignoré toutes les questions, donnant ainsi le ton pour les jours suivants. Il a continué à garder résolument le silence, tout comme les politiciens et les responsables israéliens, même quand les interrogations sont venues du ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner, alors en visite officielle. Mais les rumeurs circulaient non seulement en Israël, mais à Washington et ailleurs. Le New York Times a affirmé que la cible du raid était un site nucléaire géré conjointement avec des techniciens nord-coréens. D’autres ont prétendu que les avions avaient frappé soit un convoi du Hezbollah, soit une usine de missiles, soit un camp terroriste.

Au beau milieu de la confusion, quelques détails troublants sont venus corroborer les faits connus. Deux réservoirs largués par un chasseur israélien ont été retrouvés de l’autre côté de la frontière turque. D’après des sources militaires turques, ils appartiendraient à un Raam F-15 I, la dernière génération de bombardiers israéliens à longue portée, qui dispose d’une autonomie de combat de plus de 2 000 kilomètres quand il est équipé de réservoirs largables. Cela leur permettrait d’atteindre des cibles en Iran, d’où les spéculations sur le fait qu’il s’agissait d’une “répétition” pour une frappe sur les installations nucléaires de Téhéran.

Quoi qu’il en soit, les premières informations tangibles ont enfin commencé à faire surface vers la fin de la semaine dernière, grâce à une source israélienne impliquée dans l’opération Verger. Les détails sont encore flous, mais une chose est claire. Loin d’avoir été une incursion mineure, le survol de l’espace aérien syrien par les Israéliens, qui sont passés par le territoire de leur allié turc, aurait été beaucoup plus ambitieux. Environ huit appareils y auraient participé, dont les F-15 et les F-16 les plus modernes, équipés de missiles Maverick et de bombes de 250 kilos. The Observer est en mesure de révéler qu’un appareil de collecte de renseignements électroniques aurait accompagné les chasseurs.

En dépit du scepticisme ambiant, la nature des allégations, à défaut des faits eux-mêmes, s’est précisée, essentiellement d’après des sources proches du gouvernement Bush. Une succession de fuites fragmentaires de la part de responsables américains, fuites laissant l’impression d’avoir été coordonnées, permet de reconstituer un récit qui associe magouilles nucléaires et les derniers membres de l’“axe du mal” - Iran, Corée du Nord et Syrie.

Une désinformation comme avant la guerre en Irak

Elle inclut également plusieurs des priorités de la politique étrangère des néoconservateurs : le fait que la Corée du Nord n’ait pas été suffisamment surveillée dans le cadre de l’accord portant sur son désarmement nucléaire, et qu’elle se déleste de son matériel en Iran et en Syrie, lesquels, à leur tour, aident le Hezbollah à réarmer. Sous-tendant toutes ces accusations, on retrouve un soupçon qui n’est pas sans rappeler les renseignements falsifiés qui ont abouti à la guerre contre l’Irak : les trois pays collaboreraient pour fournir une arme non conventionnelle au Hezbollah.

Le raid en lui-même paraît étrange, tout autant, ironie du sort, que l’atmosphère de mystère délibéré qui l’entoure, quand on sait à quel point Israël s’est vanté par le passé d’avoir accompli de telles opérations - y compris une frappe sur un réacteur irakien. Là, le secret avait été si bien gardé qu’au moment où ils sont montés dans leurs appareils, les pilotes israéliens ne connaissaient rien de la nature de la cible qu’ils avaient reçu l’ordre de “traiter”. Selon un spécialiste du renseignement cité dans le Washington Post qui s’est entretenu avec des pilotes ayant pris part au raid, la cible de l’attaque, qui ne leur a été révélée qu’une fois en l’air, était une installation située dans le nord de la Syrie, présentée comme un centre de recherche agricole sur l’Euphrate, près de la frontière turque. D’après cette version des événements, un navire nord-coréen, transportant officiellement une cargaison de ciment, avait accosté trois jours plus tôt dans le port syrien de Tartous. Il aurait également transporté des équipements nucléaires.

Andrew Semmel, adjoint au secrétaire d’Etat américain pour les questions de non-prolifération, a été le plus direct. Depuis Rome, il a déclaré le 15 septembre que “des Nord-Coréens se trouvaient en Syrie” et que Damas avait peut-être eu des contacts avec des “fournisseurs secrets” pour se procurer du matériel nucléaire. “Certaines indications montrent qu’ils sont bel et bien actifs dans ce secteur, a-t-il dit. Nous savons qu’un certain nombre de techniciens étrangers se sont rendus en Syrie. Nous savons qu’il y a peut-être des contacts entre la Syrie et certains fournisseurs secrets d’équipements nucléaires. Reste à savoir si cela a débouché sur quelque chose.”

D’autres responsables ou anciens responsables connaissant à la fois la Syrie et la Corée du Nord ont accueilli ces affirmations avec scepticisme. Ils ont souligné que la Syrie, au bord de la faillite, n’a ni les moyens économiques ni la base industrielle nécessaire pour soutenir le type de programme nucléaire dépeint, et ont ajouté que Damas avait depuis longtemps renoncé à s’engager dans la voie du nucléaire. D’autres encore ont rappelé que, de toute façon, la Corée du Nord et la Syrie entretiennent depuis longtemps des relations étroites. La présence des Nord-Coréens en Syrie n’aurait donc rien d’exceptionnel.

Bruce Reidel, du centre Saban de la Brookings Institution, un ancien membre des services secrets américains, se montre lui aussi sceptique dans les colonnes du Washington Post : “Il s’est agi d’une opération israélienne importante, mais je n’arrive pas à savoir si la cible était nucléaire”, ajoutant que “cette hypothèse rencontre un fort scepticisme” et qu’en réalité les installations auraient pu être liées à des armes chimiques ou biologiques.

Le flou qui entoure l’opération Verger s’est encore accru. En effet, certains ont prétendu que les informations dont disposaient les Etats-Unis à propos du prétendu “site agricole” ne venaient pas de leurs propres renseignements et de leurs satellites, mais leur avaient été transmises par Tel-Aviv au cours des six derniers mois.

L’armée de l’air israélienne sans égale dans la région

Quelle que soit la vérité de ces allégations contre la Syrie - Israël étant connu pour avoir souvent recours à des man ?uvres de désinformation pour masquer ses opérations -, le message de Tel-Aviv est, lui, sans ambiguïté : si l’allié de la Syrie, l’Iran, est sur le point d’acquérir une arme nucléaire et que le monde ne parvient pas à l’en empêcher par la voie diplomatique ou militaire, alors l’Etat hébreu l’en empêchera par ses propres moyens.

On peut donc considérer l’opération Verger comme une répétition, un raid déployant le même type d’appareils modifiés à longue portée achetés précisément aux Etats-Unis en ayant les sites nucléaires iraniens à l’esprit. Israël fait ainsi la démonstration, à l’intention de Damas et de Téhéran, des capacités de ses avions. Le raid pourrait par conséquent avoir pour but de dissuader la Syrie d’intervenir dans l’éventualité d’un raid sur l’Iran. C’est également une façon de rappeler que, si les forces terrestres d’Israël ont été humiliées lors de la deuxième guerre du Liban, son armée de l’air reste puissante et sans égale dans la région.

Surtout, ce raid sur la Syrie a eu lieu alors que, après un été relativement tranquille, les spéculations à propos d’une guerre contre l’Iran vont à nouveau bon train. Il est peut-être plus inquiétant d’apprendre que, selon des sources bien informées proches de consultants conservateurs aux Etats-Unis, le bureau du vice-président Dick Cheney aurait diffusé des “instructions” recommandant de battre le rappel en faveur d’une guerre contre Téhéran. Au bout du compte, il n’y a pas de mystère. Tout juste un avertissement terrifiant. Dans un monde de menaces et d’actions par procuration, le risque d’une opération militaire contre l’Iran reste apparemment à l’ordre du jour.

Peter Beaumont


Black-out

Alors que les médias internationaux se répandent en “révélations”, les médias israéliens n’ont pas avancé la moindre information sur la nature de l’attaque israélienne contre des installations syriennes le 6 septembre. Comme le regrette amèrement Arieh Bender dans le quotidien de droite Maariv, “les autorités israéliennes, manifestement sur l’insistance de notre allié américain, ont décidé d’imposer un black-out complet sur la nature de l’incident, un black-out qui ne peut qu’alimenter les fuites les plus folles et les angoisses les plus vives. Même la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset est tenue dans l’ignorance la plus totale.”

La fenêtre de tir est ouverte

Editorial du Courrier international

On vous aura prévenus. Dès décembre 2004, Courrier international titrait “Bush : objectif Iran”. Début 2007, nous récidivions : “Cet homme [Bush] osera-t-il attaquer l’Iran ?” Entre-temps, on s’était penché sur la partie adverse : “L’Iran qui dit NON : Les mollahs et l’Occident”... Aujourd’hui, nous arrivons dans une période particulièrement sensible. Car le programme nucléaire iranien se poursuit, les négociations piétinent et l’agressivité des Américains monte en gamme. Or, dans quelques mois, la campagne présidentielle outre-Atlantique commencera, et il sera plus difficile à l’actuel locataire de la Maison-Blanche de se lancer dans une aventure militaire, sauf si Téhéran lui en donne le prétexte (ce qu’il ne fera pas).

Le raid aérien de l’armée israélienne en Syrie, le 6 septembre, conforte l’idée qu’une action d’envergure contre l’Iran est bien à l’ordre du jour. S’agissait-il d’un coup de semonce pour impressionner les pays de “l’axe du mal” ou bien de la destruction préventive d’un site sensible ? Pour l’heure, les bouches sont cousues et cela fait craindre le pire. Il y a chez Dick Cheney et les derniers “neocons” de Washington un double calcul stratégique. En frappant Téhéran ils empêchent ce pays qu’ils considèrent comme un “Etat voyou” musulman de posséder l’arme atomique, et dans le même temps ils croient protéger Israël et renforcer la position des alliés américains de la région, à commencer par l’Arabie Saoudite. La bombe iranienne n’aurait en effet que peu d’effet direct sur Israël, mais donnerait un poids régional à l’Etat chiite. Et nul doute que Riyad ne souhaite pas voir ses populations chiites se rebeller dans les provinces du nord-est.

Tout cela n’est pas nouveau. Ce qu’on ne pouvait imaginer en revanche il y a un an, c’est de voir la France partie prenante et pour ainsi dire héraut de la croisade, Paris demandant à Total et aux autres entreprises de ne plus investir en Iran, et Bernard Kouchner jouant les va-t-en-guerre, au nom sans doute d’une ingérence humanitaire !
Entre deux maux, il faut choisir le moindre - et ne pas attiser la haine contre l’Occident par une guerre inutile et dangereuse, fût-elle réduite à des frappes aériennes.

Philippe Thureau-Dangin, le 20 septembre 2007

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Peter Beaumont - The Observer, le 16 septembre 2007 : Was Israeli raid a dry run for attack on Iran ?
Via le Courrier international du 20 septembre 2007


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