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"French kiss" de guerre pour l’Iran

jeudi 20 septembre 2007 - 16h:40

Pepe Escobar - Asia Times Online

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Baiser français de guerre pour l’Iran

Le Président George W. Bush se rendra à New York la semaine prochaine, pour l’Assemblée Générale annuelle des Nations-Unies, afin de diaboliser encore plus l’Iran, confiant que son nouvel allié français fait un "super boulot". Le Président Nicolas Sarkozy - auquel on se réfère à Paris comme le Roi Sarko 1er - a lâche les chiens de guerre avec plus de panache qu’une grande dame du très chic 7ème arrondissement exhibant son pinscher nain.

La campagne de diabolisation dans toute l’Europe, soutenue par Sarkozy, a commencé. Talonnant Sarkozy, forgeant l’ultime phrase piège - "la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran", son diplomate humanitaire en chef, élégant et superbe, en a rajouté une.

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Bernard Kouchner, mercredi 18 septembre 2007 à Moscou (Ph. AFP/Natalia Kolesnikova)

"Nous devons nous préparer au pire et le pire c’est la guerre", a déclaré Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et fondateur de Médecins Sans Frontières, sur la chaîne d’information LCI.

Dans le raisonnement du "French Doctor", ainsi qu’on le connaît dans le monde entier, il y a toujours eu un sous-entendu lors des négociations avec l’Iran, au sujet de son programme nucléaire. Ce sous-entendu est que l’Iran pourrait "aller jusqu’au bout". Mais alors, est arrivée l’idée, gravée dans le marbre, qu’une bombe nucléaire iranienne est inévitable et qu’elle posera "un réel danger au monde entier".

La Maison-Blanche de Bush, les Républicains opportunistes et autres néoconservateurs assortis ont adoré cela. De Vienne, Mohammed el-Baradai, le chef de l’organe de surveillance nucléaire des Nations-Unies, l’Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA), a abandonné son comportement prudent dans un effort pour chasser toute l’hystérie que les commentaires français ont déclenchée, en déclarant : "Nous devons être calmes et ne pas gonfler la question iranienne".

El-Baradai ne s’est pas fait d’amis parmi les puissances occidentales conduites par la France et les Etats-Unis, sur l’accord que l’AIEA a passé avec l’Iran, exigeant qu’il réponde aux questions concernant la recherche nucléaire secrète du passé, mais sans discuter du programme d’enrichissement d’uranium.

Les remarques d’el-Baradai sont un rappel à tous les acteurs que seul le Conseil de Sécurité peut autoriser l’usage de la force contre l’Iran. Elles remettent aussi en mémoire les événements qui ont conduit à l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 et leur vaine recherche des armes de destruction massive.

"Il y a des règles sur la manière d’utiliser la force et j’espèrerais que tout le monde ait retenu la leçon après la situation en Irak, où 700.000 civils innocents ont perdu la vie sur la suspicion que ce pays possédait des armes nucléaires", a déclaré el-Baradai.

La ministre autrichienne des affaires étrangère, Ursula Plassnik, a contribué à donner une mesure de la perplexité qui règne dans les cercles diplomatiques européens : "Je ne comprends pas pourquoi [Bernard Kouchner] a eu recours, à ce moment-là, à une rhétorique martiale", a-t-elle déclaré en marge d’une réunion de l’AIEA à Vienne.

Autant que l’Europe peut être divisée sur cette question, le problème est qu’il y a une atmosphère fataliste qui s’approche dangereusement dans la plupart des chancelleries européennes, sans parler de l’Union Européenne à Bruxelles, selon laquelle une attaque contre l’Iran est tout sauf inévitable.

Le fardeau pétrolier de l’homme blanc

En attendant, il semble clair que le jeu de Sarkozy est celui de messager des grosses entreprises (du secteur de l’énergie). A Paris, on le connaît bien pour être l’homme du CAC 40.

Le rapprochement français avec l’administration Bush - à la fois au sujet de l’Irak et celui de l’Iran - ne peut que tourner autour du pétrole, ce qu’on a appelé "l’entrée de la France en Mésopotamie et en Perse". L’ancien oracle de la Réserve Fédérale, le planificateur central le plus puissant du monde, Alan Greenspan, a finalement admis ce que même le royaume minéral savait : l’Irak a été envahi à cause du pétrole. Une attaque contre l’Iran, si elle se produit, sera aussi à cause du pétrole (et du gaz).

L’immense champ de pétrole de Madjmoun dans le sud-est de l’Irak près de la frontière iranienne (le quatrième plus grand du pays avec des réserves de plus de 12 milliards de barils) a été attribué à ELF par Saddam Hussein. De toute évidence, l’occupation américaine a rendu caducs tous les contrats passés sous Saddam.

Ensuite, le mois dernier, le géant américain Chevron et le français Total ont signé un accord pour prospecter et développer ensemble Madjmoun. Ils ont déjà un partenariat concernant le champ de Nahr ben Omar au sud de l’Irak (6 milliards de barils).

Le récent voyage de Kouchner à Bagdad avait un thème central non-humanitaire : le pétrole. Mais il y a un énorme piège : la nouvelle loi sur le pétrole - la "référence" clé de Bush, voulant dire une dénationalisation de fait de l’industrie pétrolière iranienne - doit être approuvée par le parlement irakien (le débat a déjà été retardé depuis des mois).

En juin, les dirigeants de Chevron et de Total ont rencontré les représentants du gouvernement irakien pour discuter de leur accord - mais il n’y avait toujours pas de nouvelle loi pétrolière. Et même s’il y avait une loi, il devrait y avoir une sorte de sécurité sur le terrain. Et quid de la résistance sunnite qui attaque quotidiennement les installations pétrolières ?

Voyez qui est ce si charmant guerrier

L’ancien secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, a dépeint Kouchner comme "un missile non guidé". Ce missile est mû par une arme mortelle : la vanité. Il y a beaucoup d’opacité derrière les portraits élogieux, mièvres et doucereux de ce charmant "patriote humanitaire".

Beaucoup de temps s’est écoulé depuis les barricades de mai 68 au Quartier Latin à Paris, lorsqu’il voulait changer le monde en défiant l’ordre bourgeois "ringard" ; un bail depuis les années 70 où il fut envoyé par le visionnaire Jean-François Bizot, le fondateur du magazine branché contre-culturel "Actuel", partout dans le monde comme reporter pour faire documenter les maux de la planète ; un bail depuis la fondation de l’organisation médicale non-gouvernementale - avec le très discret Richard Rossin - pour soulager la misère et la souffrance des peuples et défendre leurs droits humains dans les théâtres de guerre.

Kouchner était pour la guerre d’Irak - sur la base que les droits de l’homme étaient sérieusement violés par Saddam (comme si l’occupation américaine allait transformer l’Irak en Suède). Dernièrement, il est devenu le premier ministre français des affaires étrangères depuis 1988 à se rendre en Irak- proposant vainement la médiation française comme "arbitre honnête" entre les Sunnites, les Chiites et les Kurdes. Aucun d’eux, peut-être avec sagesse, n’a pris la peine de la considérer.

Un autre mythe perpétré par la majorité des Français, et de larges pans de la presse américaine, est que Kouchner et Sarkozy nourrissent des "motivations humanitaires" pour une intervention au Darfour, au Soudan. Il y a des rumeurs à Paris à propos d’un coup d’état louche, soutenu par les Français, qui serait sur le point d’être ourdi contre le gouvernement de Khartoum. Si c’est le cas, le motif est le précieux pétrole soudanais - que l’on ne peut tout simplement pas laisser atterrir entre les mains des seuls Chinois.

Un héros médiatique ? Certainement. Un égocentrique éhonté ? La plupart du temps !

Il y a de bonnes raisons de penser que Kouchner soit aussi un humaniste tordu. Le French Doctor est sans doute le partisan le plus populaire en Europe de l’impérialisme à visage humain. Ce phénomène a été disséqué implacablement et avec brio par Jean Bricmont, dans son livre Humanitarian Imperialism : Using Human Rights to Sell War [l’Impérialisme humanitaire : Se servir des droits de l’homme pour vendre la guerre] (Monthly Review Press, New York, 2006).

Bricmont est un intellectuel européen rigoureux de première classe. Professeur de physique théorique à l’université de Louvain, il est l’un des directeurs exécutifs du très respecté Tribunal de Bruxelles (une association "d’intellectuels, d’artistes et de militants qui dénoncent la logique de la guerre permanente encouragée par le gouvernement américain et ses alliés"). Récemment, il a co-organisé la compilation extensive des ?uvres de Noam Chomsky dans la collection française prestigieuse "L’Herne".

Dans son livre, Bricmont décrit comment l’impérialisme humanitaire est devenu l’ordre du jour :

Un discours moralisateur combiné à une pratique parfaitement cynique (notamment en Afghanistan) a étonnamment réussi. En Europe, en particulier en France, où les illusions révolutionnaires s’estompaient, l’intelligentsia a assumé la charge d’un retournement majeur. De la critique systématique du pouvoir, associée à [Jean-Paul] Sartre et [Michel] Foucault, on est passé à sa défense systématique - en particulier la puissance des Etats-Unis - symbolisée par l’émergence des "nouveaux philosophes" comme stars des médias [André Glucksman, Alain Finkelkraut, Pascal Bruckner - tous fervents partisans de la guerre d’Irak - ou Bernard Henri Lévy - plus modéré]. La défense des droits de l’homme est devenue le thème et l’argument principal de cette nouvelle offensive politique, à la fois contre le bloc socialiste et contre les pays du Tiers Monde émergeant du colonialisme.

L’époque, ainsi que Bricmont l’écrit dans son livre à propos de la guerre d’Irak, où la France pouvait "agir indépendamment des structures européennes" et s’opposer à l’hégémonie américaine "sans avoir à tirer un seul coup", est révolue. Dans un article récent paru dans CounterPunch, Bricmont expliquait comment il n’y aurait aucune opposition, au c ?ur de l’Europe, à une attaque contre l’Iran :

La France a changé. Elle est passée du pays européen le plus indépendant à celui de premier caniche (en fait, c’était la question principale de la dernière élection présidentielle, mais cela n’a jamais été mentionné durant la campagne). Qui plus est, la "gauche" laïque française, pour l’essentiel, est va-t-en guerre contre l’Iran pour les raisons habituelles (les femmes, la religion). En France, aussi bien avant qu’après les bombardements, il n’y aura pas de manifestations de grande ampleur et, sans le soutien français, l’Allemagne - où la guerre est probablement très impopulaire - peut toujours être réduite au silence en lui rappelant l’Holocauste. Ainsi, aucune opposition importante à la guerre ne viendra d’Europe (à l’exception peut-être de sa population arabe, ce qui constituera un argument supplémentaire pour prouver qu’ils sont "arriérés", "extrémistes" et qu’ils sont des ennemis de notre "civilisation démocratique").

Bien sûr, Kouchner est conscient qu’il joue dans le camp "gagnant". Néanmoins, il y a pas mal d’intellectuels européens qui se retrouvent confondus qu’un médecin qui a créé une association venant en aide aux populations détruites par la guerre ne fait rien d’autre désormais que de défendre la guerre (l’impérialisme humanitaire comme moyen de "sauver" les femmes et les jeunes d’Iran). En suivant les directives de Sarkozy - dont les connaissances en politique étrangère rivalisent avec celles de Miss France - Kouchner semble ignorer comment l’Irak s’est transformé en un désastre éthique, politique, stratégique - et humanitaire - aux proportions bibliques.

Toutefois, l’opinion publique française n’avalera pas que Sarkozy se prélasse dans la douce sensation du courtisan préféré de Bush, rôle qu’il s’est lui-même attribué. L’excellent blog français "Rue89.com" a fait remarquer que la politique étrangère en France est tissée "en dehors d’un débat national, même pas une discussion parlementaire".

Kouchner, "le missile non guidé", a suffisamment été sur les théâtres de guerre pour le savoir mieux que quiconque : il devrait faire gaffe que ses missiles ne le réduisent pas - lui et son maître - à un dommage collatéral.


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Pepe Escobar - Asia Time Online, le 19 septembre 2007 : "French-kissing the war on Iran"
Traduit par Jean-François Goulon, Questions Critiques.


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