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Le Musée de la Tolérance prévu sur un site de l’héritage musulman à Jérusalem-Ouest

samedi 1er septembre 2007 - 08h:05

Susanna Mendoza - AIC

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Chronique d’un cimetière : Le Musée de la Tolérance prévu sur un site de l’héritage musulman à Jérusalem-Ouest

Le cimetière Mamilla, (son nom vient de « Maman Allah » qui signifie le sanctuaire de Dieu), se cache derrière une végétation dense à l’un des bouts du Parc de l’Indépendance au c ?ur de Jérusalem.

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Le cimetière Mamilla

C’est peut-être l’une des raisons qui explique que ce lieu est devenu le lieu de rencontre de la communauté gay de la ville : un endroit isolé où il encore possible de se cacher du regard strict que pose sur vous la Terre Sainte. Où que l’on se tourne à Jérusalem, on ne peut s’échapper du poids souvent suffocant des traditions religieuses. Il n’est donc pas surprenant que la communauté gay ait choisi l’ ?Independence Park’, au nom symbolique, comme point de départ de la dernière gay pride de juin 2007. En vérité, à part la communauté gay et quelques rares touristes distraits, très peu de gens viennent dans ce cimetière qui est même inconnu de beaucoup d’habitants de la ville.

Le cimetière Mamilla serait peut-être encore ignoré à ce jour si, il y a six ans de ça, le Centre Wiesenthal (une organisation juive des droits humains) n’avait pas annoncé son intention de construire sur le côté sud du cimetière la Musée de la Tolérance (musée qui prétendait montrer « l’unité et le respect entre juifs et les peuples de toutes traditions ») et ce, avec le soutien total de la municipalité de Jérusalem. Les premiers coups d’excavateur ont provoqué la colère de la communauté musulmane, particulièrement au moment où des restes humains ont commencé à être exhumés. « Ils n’auraient pas fait cela si le cimetière avait été juif. Il y a d’autres espaces pour construire cela. C’est encore une manifestation politique de plus car ils savent que cela ressemble à une provocation pour nous » affirme le Docteur Yussuf Nachti, expert en archéologie pour le Waqf, le tribunal islamique à Jérusalem. Quand on lui a posé des questions au sujet de l’état délabré du cimetière, le bureau du Waqf a répondu qu’ils n’avaient pas le droit de travailler à Jérusalem-Ouest et encore moins de s’occuper de quelques ruines, aussi vieilles soient-elles.

Charles Levine, ancien porte-parole du centre Wiesenthal, a déclaré que la communauté musulmane n’avait aucune raison d’être en colère. « Nous construisons sur une terre qui nous a été donnée par la municipalité de Jérusalem, destiné à être un espace public. De plus, je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas protesté il y a vingt ans quand un parking a été construit sur un terrain appartenant à ce même cimetière ». Dans un communiqué de presse récent, le centre Wiesenthal a prétendu que le cimetière n’était plus considéré comme sacré depuis 1967 quand le tribunal musulman a rendu un jugement déclarant que le cimetière avait perdu ses mundras (son caractère sacré) en tant que lieu de sépulture.

Avec ou sans caractère sacré, ce cimetière mérite une place dans tout guide touristique même s’il est pratiquement en ruines. C’est un merveilleux exemple de l’art islamique à Jérusalem et le dernier lieu de repos pour beaucoup de personnalités musulmanes des siècles passés. Si on décide de s’aventurer à travers les broussailles et les pierres tombales qui s’écroulent, on peut découvrir que, dans un mausolée cubique coiffé d’un dôme, se trouve le corps du Mamluk Emir Aidughi Kubaki, qui était gouverneur d’Alep et de Safed avant d’être exilé à Jérusalem, cité où il a finalement été enterré en 1289 de notre ère. C’est l’une des rares constructions qui continue à demeurer debout quoique très abimée par la pollution et les graffitis au milieu des maigres centaines de tombes restantes. Pour s’en approcher et voir de près les pierres tombales, on est obligé de franchir des sacs d’ordures, des canettes de Coca-Cola et les pierres éparpillées par les tumulus pillés.

Saïd, un expert archéologue de Jérusalem a dédié une partie de sa carrière à l’étude du cimetière. Pour lui, c’est beaucoup plus qu’une ancienne nécropole ; c’est l’exemple même de la vaste histoire de cette terre. Saïd explique qu’ici il existe la preuve d’un lien entre les pierres tombales qui s’élèvent aujourd’hui et les origines byzantines du cimetière. Ici se tenait une église appelée « The Red », où les moines avaient été enterrés depuis des siècles jusqu’à l’invasion perse de 614 de notre ère. Seul un quart du cimetière original demeure aujourd’hui : dans le temps, il s’étendait jusqu’à l’hôtel Sheraton d’aujourd’hui situé dans la rue King David, soit à 600 mètres à l’extrémité du cimetière actuel. Une grande partie a disparu suite à la construction de l’Independence Park en 1964, construit pour commémorer la guerre de 1948.

On peut également trouver dans le cimetière le « Mamilla Pool », utilisé en tant que citerne pour approvisionner la ville en eau. Il est connecté à un bassin plus grand appelé le « Sultan’s Pool » qui se trouve juste à l’extérieur de la Vieille Ville de Jérusalem. « C’est dommage que nous perdions petit à petit cet endroit. C’était à une époque le plus important cimetière musulman de Jérusalem, toutes les familles ont été enterrées là et maintenant il n’en reste presque plus rien. Personne ne s’en soucie » se lamente Saïd en enlevant un sac de chips d’une pierre tombale tombée.

Mais le c ?ur du problème n’est néanmoins pas la protection du cimetière argumente l’avocat Shmuel Berkowitz, consultant pour le Centre Wiesenthal contre la pétition qui a été soumise à la Cour Suprême d’Israël en vue d’arrêter la construction. Assis dans son bureau près de la rue Jaffa, l’avocat explique qu’il avait publiquement fait connaître ses intentions de construire sur le cimetière de Mamilla il y a dix ans de ça. « Ce projet a été rendu public cela fait 10 ans et à l’époque personne n’a porté plainte. Le plan du projet a été publié dans les journaux et le nom de l’architecte a même été donné : Frank Gehry. Alors pourquoi est-ce que le groupe islamique qui fait un tel bruit devant le tribunal aujourd’hui n’a-t-il rien dit à l’époque ? Ils essaient clairement de profiter des circonstances politiques ».

Le groupé qui a intenté le procès devant le tribunal il y a 4 ans est le Parti Islamique Israélien. Il affirme que le fait de construire sur le site d’un cimetière est un sacrilège car, selon la décision du président du tribunal Islamique, le Sheikh Ahmad Natour, un cimetière ne perd jamais son caractère sacré. « Nous savons pertinemment, et les musulmans ne peuvent pas le nier, que le verdict de la religion islamique est que s’il n’y a pas d’enterrements pendant 30 ou 40 ans, le lieu n’est plus sacré ». Pour soutenir son argument, Berkowitz se réfère à Fajer al-Sailai Ibn Ali, le dirigeant religieux du 19ème siècle qui a fixé cette règle. De plus, argumente Berkowitz, en 1964, l’Autorité Islamique a révoqué la sainteté de cet endroit afin de justifier la construction de l’Independence Park. « A partir de cela, il n’y a donc pas de problèmes ».

Mais Mahmoud Awari, l’un des principaux historiens de la ville, réfute ce point : « Après 1948, tous les lieux saints de l’Islam sont tombés aux mains des Israéliens tout comme l’Autorité Islamique qui s’en occupait. A l’époque, c’était les israéliens qui élisaient les dirigeants de la Cour alors il est probable que la décision de retirer l’aspect sacré du cimetière de Mamilla venait d’un ordre direct du gouvernement israélien ».

Entre temps, la construction du Musée a été arrêtée dans l’attente d’une décision de la Cour Suprême. Cent cinquante millions de dollars ont été investi dans ce projet et le délai de près d’un an pour la construction représente une perte financière considérable pour le Centre Wiesenthal ainsi que pour la municipalité de Jérusalem. Ce projet ambitieux a été considéré à l’origine comme une grande victoire pour la municipalité de Jérusalem et lors de la cérémonie en 2004 pour la pose de la pierre de fondation, Arnold Schwarzenegger et Ehud Olmert faisaient partis des invités de marque. Frank Gehry qui a conçu entre autres le Musée Guggenheim de Bilbao, a été choisi comme architecte de ce projet qui devait être fini en 2009. Le Musée, une fois terminé, aura un hall d’expositions, une librairie sur l’Holocauste et un centre d’études.

Une des raisons d’avoir choisi cet endroit était sa situation centrale. Le projet fait partie d’un plan visant à revitaliser toute la zone qui, depuis maintenant beaucoup d’années, s’est détériorée en un des quartiers les plus pauvres de Jérusalem. Ce plan prévoyait aussi d’injecter plus d’argent en construisant un centre commercial exclusif et des appartements de luxe. La zone serait appelée le « Mamilla Complex » et encouragerait, espèrent les planificateurs, les familles à venir s’y promener. Pourquoi permettre à quelques vieux os, dont personne ne se souvient encore, d’interférer dans un tel projet ?

Seuls quelques centaines de mètres séparent cet opulent projet de Jérusalem Est où vit la population palestinienne de la ville. Que se passera-t-il quand les habitants palestiniens voudront aller se promener à travers Mamilla ?

Le Dr Nachti dit que tout cela n’est qu’une démarche de plus visant à diviser les deux côtés : Jérusalem-Ouest, le côté juif, et Jérusalem Est, le côté palestinien. Que ce soit vrai ou pas que la Mamilla Complex crée une autre barrière déchirée par les dissensions, il est peu probable que ce Complexe soit à la portée de beaucoup des résidents palestiniens dont le niveau de pauvreté est près de 50% plus élevé que celui des citoyens israéliens.

Mais au-delà du débat sociopolitique et du conflit, le cimetière de Mamilla s’étiole dans l’oubli. Les soldats enterrés de Saladin qui a conquis Jérusalem aux Croisés, sont devenus un problème et cela fait bien longtemps que personne ne vient plus pleurer les morts dans ce cimetière. Qui aurait pensé que le grand Kubaki serait mêlé à un débat tellement terre à terre ? Dans une ville si diverse ethniquement et religieusement comme Jérusalem, dans le réseau complexe des vulnérabilités de la ville, rien n’est trivial et tout finit par avoir un fondement politique, social ou historique qui émerge au plus petit contact.

Le Centre Wiesenthal a découvert un obstacle plus compliqué que la topographie même de Jérusalem et se retrouve maintenant engagé dans un conflit dont les ramifications s’étendent bien au-delà de son propre projet : à la fondation même du développement urbain. Même avec Arnold Schwarzenegger à ses côtés, le combat va être dur.


Sur le même thème :

- Tolérance à l’israélienne, (Amnon Kapeliouk - Le Monde diplomatique)

27 août 2007 - The Alternative Information Center (AIC) - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.alternativenews.org/cont...
Traduction de l’anglais : Ana Cléja


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