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Tolérance à l’israélienne

samedi 14 avril 2007 - 13h:35

Amnon Kapeliouk - Le Monde diplomatique

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Quel beau projet, un Musée de la tolérance ! Sauf que le Centre Simon-Wiesenthal (du nom du chasseur de nazis récemment disparu) entend l’installer dans un bâtiment de vingt-quatre étages qu’il veut bâtir au beau milieu de l’antique cimetière musulman de Mamillah, à Jérusalem, pour la coquette somme de 250 millions de dollars.

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Musée de la tolérance - Maquette

Ce projet a bien sûr obtenu les autorisations nécessaires du gouvernement et de la mairie. Mais les responsables religieux musulmans parlent de violation flagrante de leurs droits. Sous le mandat britannique (1922-1948), il était interdit de toucher à ce cimetière. Et même la fameuse loi israélienne sur les « biens abandonnés » (1951), votée pour légitimer la dépossession des réfugiés palestiniens, exclut toute transmission de cimetières et de mosquées à un tiers.

Les musulmans en ont aussi appelé à leurs « frères ». Cheikh Raed Salah, le chef du Mouvement islamique, s’est ainsi rendu en novembre 2006 en Turquie, pour mobiliser le gouvernement d’Ankara. La Ligue arabe a également protesté contre un acte qui « atteint les sentiments profonds des musulmans du monde entier ».

A la suite d’un arrêt de la Cour suprême, au printemps 2006, les travaux devaient être suspendus jusqu’à un jugement sur le fond. Pourtant, on s’affaire encore, derrière une palissade qui dissimule les lieux aux yeux des passants. Selon la presse israélienne (1), les ossements de quelques centaines de tombes auraient été déplacés et enterrés ailleurs. Le Centre multiplie en effet les pressions pour arracher le droit d’achever son ?uvre.

Mamillah (en arabe Ma’manou-llah, le refuge de Dieu) est le plus important des cimetières musulmans de Palestine - comme, pour les juifs, le cimetière du mont des Oliviers. Selon la tradition, des compagnons du prophète Mahomet y seraient inhumés, ainsi que quatre-vingts combattants de l’armée de Saladin. A l’époque des mamelouks et des Ottomans, le cimetière s’agrandit.

On y trouve des pierres tombales ornées d’inscriptions de grande valeur, mais aussi un maqam. C’est un petit lieu saint d’une pièce, destiné à la prière sur la tombe d’un juste - en l’occurrence, celle d’un des compagnons de l’Emissaire de Dieu. Or il est sale, rempli de sacs de ciment et couvert de graffitis. Car les autorités ne laissent pas les responsables musulmans l’entretenir, Mamillah s’étant retrouvé dans la partie israélienne de la ville après la guerre de 1948.

Cette affaire « va entacher l’image de la ville de Jérusalem, de l’Etat d’Israël et du peuple juif », protestent, dans une pétition, cent professeurs et chercheurs israéliens de renom, dont cinq titulaires du prestigieux prix d’Israël. Soulignant que l’on ne saurait à la fois dénoncer les attaques contre les cimetières juifs et s’en prendre à un cimetière musulman, ils ajoutent : « Si une quelconque institution avait tenté de construire un immeuble dans l’enceinte d’un cimetière juif quelque part en Europe, cela aurait provoqué un scandale énorme. » Et l’un des signataires, Séfi Ben-Yossef, insiste : « Imaginez qu’on bâtisse un musée de la tolérance au milieu de l’ancien cimetière juif du Caire, qui date du Moyen Age. Ne serions-nous pas fous de rage ? »

Initiateur de l’appel, spécialiste du Proche-Orient à l’université de Tel-Aviv et ancien ambassadeur d’Israël en Egypte et en Jordanie, le professeur Shimon Shamir relève « le paradoxe que représente la création d’un musée de la tolérance sur la base d’une pratique intolérante à l’égard d’un lieu si important pour les sentiments religieux musulmans ».

Note :

(1) Yerushalayim, Jérusalem, 24 novembre 2006.






Amnon Kapeliouk est journaliste à Jérusalem. Auteur de la biographie Arafat l’irréductible, Fayard, Paris, 2004, et de Sabra et Chatila, enquête sur un massacre, Seuil, Paris, 1982.

Amnon Kapeliouk - Le Monde diplomatique, février 2007


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