16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Réfugiés palestiniens, citoyenneté et Etat - partie 1/2

jeudi 16 août 2007 - 15h:16

Sari Hanafi - Ceped

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Réfugiés palestiniens, citoyenneté et Etat.
Vers un nouveau modèle de l’Etat-Nation.

La question du retour dans les Territoires palestiniens d’un certain nombre d’exilés et de réfugiés depuis la signature des Accords d’Oslo en 1993 doit être appréhendée en dehors des approches classiques en termes de migration, d’intégration et d’assimilation, car elle est directement liée à la construction de l’État-nation. Dans leur forme contemporaine, la nation et le nationalisme palestiniens sont indissociablement liés à l’expulsion de plus de la moitié de la population palestinienne de sa terre en 1948. On peut même considérer que la définition de la nation palestinienne est très étroitement liée à une situation de réfugiés.

JPEG - 7.5 ko

Sari Hanafi

Il n’existe pas de solution simple au problème des réfugiés palestiniens, la seule solution possible est une solution créatrice. Il ne s’agit pas seulement du droit international ou de la capacité économique, sociale et technique d’absorption des réfugiés, mais aussi de la nature des États-nation palestinien et israélien, du concept de la souveraineté d’État et de la violence qui lui est inhérente, de même que de l’inclusion/exclusion que cet État exerce pour déterminer qui est un citoyen. Tandis que les migrants adoptent des stratégies transnationales généralement flexibles, les politiques des États-nation dans la région demeurent rigides. L’Autorité palestinienne, par exemple, semble réagir négativement aux pratiques transnationales des Palestiniens plutôt qu’elle ne cherche à les faciliter, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la solution du problème des réfugiés.

Dans cet article, je vais montrer que d’abord le retour ou résolution de la question des réfugiés palestiniens est un projet qui prend sens dans la mesure où il est capable de résister à tous les exercices paradigmatiques de la souveraineté : le bio-pouvoir, la création de l’état d’exception quasi permanent. Ensuite, j’argumente que le modèle standard d’État-nation basé sur la « trinité » État-territoire-nation est en crise profonde et je propose un modèle que j’appelle l’État-nation extra-territorial.

1. Le retour comme projet opposé au « spatio-cide » palestinien

Fondée sur le mythe sioniste « d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre », la politique des gouvernements israéliens successifs a consisté à s’approprier des terres en ignorant les habitants qui vivaient dessus. Cette invisibilité institutionnalisée des Palestiniens est entretenue par les pratiques coloniales quotidiennes d’Israël. Plus généralement, il n’y a jamais eu de réelle tentative d’assimilation des populations de Cisjordanie, de la bande de Gaza ni même de Jérusalem-Est, en dépit de son annexion unilatérale en 1967.

L’une des raisons principales de l’échec des accords d’Oslo tient au fait que les parties en présence ont manifesté la volonté de résoudre la partie visible du problème - la question des terres - sans la lier à ses aspects cachés - le problème des réfugiés - la responsabilité d’Israël dans la création de ce problème ou encore la non citoyenneté des Palestiniens d’Israël. De ce point de vue, il semble bien que l’on doive considérer le projet colonial d’Israël comme un spatio-cide qui se développe essentiellement sous la forme d’une captation de terre avec pour objectif concomitant de provoquer un inévitable transfert volontaire de la population palestinienne. Pour ce faire, Israël mène une forme de bio-politique en classant la population palestinienne en différentes catégories et en instaurant différents états d’exception qui laissent cette dernière sans aucun recours.

Spatio-cide de la Palestine et biopolitique

Comparé à d’autres conflits coloniaux et/ou ethniques contemporains (Algérie, Serbie-Bosnie, Rwanda, etc.) le conflit israélo-palestinien allumé depuis plus d’un demi-siècle est relativement peu meurtrier. La « catastrophe » de 1948, la nakba, désigne davantage, pour les Palestiniens, la perte de la terre et le fait d’être devenu réfugié que l’ampleur des pertes en vies humaines.
Toute guerre est motivée par un certain nombre d’objectifs autour desquels se construit l’ennemi. De la définition des objectifs et de la caractérisation de l’ennemi dépend ensuite le choix des modalités d’action entre belligérants. Dans le conflit israélo-palestinien, l’objectif principal est sans conteste l’occupation de la terre et son corollaire : le « transfert volontaire » de la population palestinienne, selon les termes mêmes d’un ministre israélien (Ehoud Olmert). Alors que l’objective est les territoires (terre et souveraineté), les moyens est le bio-politique.

Aussi, la première des actions déployées afin d’atteindre cet objectif est la construction de colonies nouvelles ou le développement des colonies existantes, modalité d’action considérée comme illégale par le droit international. Ce processus n’a nullement été stoppé par les négociations de paix puisque, depuis la signature des accords d’Oslo, le nombre de colons a triplé, passant de 120000 à 430 000 personnes, et la zone d’implantation des colonies a doublé en surface.

Le contrôle de la terre est également facilité par le morcellement du territoire palestinien en zones A, B, B-, B+, C, H1 ou H2, tel que prévu par les accords d’Oslo. Dans ce contexte, le développement d’une infrastructure nationale palestinienne devient pratiquement impossible, non seulement à cause du morcellement de l’espace, mais aussi en raison de la fragmentation du territoire sur lequel se déploie l’autorité de l’appareil politique palestinien et des municipalités. On ne peut concevoir, par exemple, un projet de réservoir d’eau pour un groupe de villages si la canalisation doit traverser une zone classée C. De même, les travaux de construction de la route qui devait relier Bethléem à Hébron ont été interrompus en 1999 à la suite du refus israélien de délivrer une autorisation permettant de passer en zone C. Les constructions urbaines en zones A et B qui ont pu être réalisées durant la décennie 1990 ont par ailleurs toujours été encadrées par les autorités israéliennes qui entravaient rigoureusement toute tentative d’expansion urbaine, qu’il s’agisse des zones industrielles ou des zones résidentielles.

Transfert « volontaire » et politique des états d’exception

La caractéristique principale du spatio-cide poursuivi par l’État d’Israël en Cisjordanie et à Gaza est d’ignorer, voire de nier, le développement démographique de la communauté palestinienne en la cantonnant dans un espace de plus en plus réduit. Ainsi, depuis le début de l’intifada, quelques 100 000 Palestiniens ont quitté le pays (près de 3,3 % de la population en Cisjordanie et Gaza). Beaucoup de ces départs sont à mettre sur le compte des destructions de maison qui ont également eu pour conséquence la multiplication des migrations à l’intérieur des Territoire. À Hébron, encore, près de 5 000 personnes - 850 familles - ont quitté la vieille ville pour les villages avoisinants en raison de la trop grande proximité des implantations juives et du couvre feu qui leur été imposé. Il faut encore prendre en considération le transfert des personnes « dénaturalisées » : ces 20 000 Palestiniens qui se sont retrouvés vivre du côté israélien du mur de séparation érigé par Israël et qui ne font désormais partie ni de l’espace palestinien ni de l’espace israélien. Le spatio-cide mis en oeuvre par Israël a ainsi d’inévitables conséquences sur la société, l’économie et l’appareil politique palestinien puisqu’il vise à entraver le développement des liens sociaux, la mobilité des personnes et des biens et à détruire les institutions palestiniennes et tout ce qui peut incarner ses aspirations nationales.

L’outil de pression le plus efficace développé par l’administration israélienne est certainement sa politique de l’état d’exception. Rappelons que, selon Carl Schmidt, l’état d’exception ne se caractérise pas par l’ordre qu’il institue, mais par la suspension de cet ordre. Le souverain a le droit de suspendre la validité de la loi, mais ce droit n’est, bien entendu, pas reconnu dans la constitution. L’état d’exception vécu par les Palestiniens est particulièrement évident lorsque l’on considère leur statut sous la loi israélienne. Ils n’ont aucun recours devant la loi, alors même qu’ils y restent soumis. Le cas des Palestiniens de Jérusalem est l’exemple par excellence de ce jeu d’exclusion/inclusion.

Physiquement, ils sont inclus - dans la mesure où Jérusalem a été « re-unifiée ». Concrètement, ils en sont exclus, ne bénéficiant d’aucun service et ne faisant l’objet d’aucun plan d’occupation des sols. Ils sont exclus de l’accès à la citoyenneté alors qu’ils sont détenteurs d’un document d’identité qui peut être exigé à tout moment.

Le régime juridique sous lequel vit la population de Jérusalem constitue ainsi l’une des formes de l’état d’exception. Mais il existe au regard de l’autorité administrative israélienne une grande variété de populations palestiniennes : Palestiniens d’Israël, Palestiniens des différentes zones des Territoires occupés (A, B, etc.), réfugiés à l’intérieur et à l’extérieur des camps. Ces différentes catégorisations permettent à Israël de contrôler légalement l’extension du bâti. Ainsi à Jérusalem-est, les constructions résidentielles sont restreintes, ce qui permet aux autorités de détruire, sous couvert de légalité, bon nombre d’habitations érigées sans permis de construire. De même, les constructions résidentielles pour les Palestiniens dans les différentes zones des Territoires occupés sont restreintes.

L’ordre militaire 418 -« Ordre pour la planification des villes, villages et bâtiments en Judée et Samarie » - souligne les conditions d’obtention des permis de construire en Cisjordanie. L’article 7 intitulé « pouvoirs spéciaux » donne au Haut conseil du planning le pouvoir « d’amender, annuler ou suspendre pour une période définie la validité de tout plan ou de tout permis ; d’assumer les pouvoirs accordés à tous les comités mentionnés dans les article 2 et 5 ; d’accorder tout type de permis que ces comités sont habilités à délivrer ; de dispenser en cas de besoin de tout permis requis par la loi » (je souligne). Autrement dit, avec l’application de cet ordre militaire, l’État d’Israël se donne la possibilité d’utiliser de façon régulière des mesures d’exception permettant d’annuler tout ordre de régulation d’un permis de construire. Ces ressources légales permettent bien évidemment de traiter différemment les populations.

Pour conclure, le spatio-cide visé par l’État d’Israël s’appuie sur trois mécanismes. Il s’agit tout d’abord des mécanismes visant la terre et qui s’organisent essentiellement autour du diptyque colonisation-destruction que nous qualifions de « bio-pouvoir ». Il s’agit ensuite de la capacité de ce pouvoir, en tant que détenteur de la souveraineté ultime, de déclarer l’état d’exception à tout moment, interdisant ainsi à la population sous sa juridiction de recourir à la loi. ceci lui permet d’agir en dehors de la sphère juridico-légale - c’est le cas de l’érection du mur de séparation notamment. Enfin, un troisième mécanisme tend à être développé depuis le début de la seconde intifada. Il réside dans « l’état de suspension » qu’Israël et les États-Unis imposent : suspendre le conflit plutôt que de chercher à le résoudre ; promouvoir le cessez-le-feu et négocier la sécurité plutôt que de rechercher d’une fin à l’occupation et l’ouverture de négociations politiques. Face à ces trois mécanismes, la population palestinienne n’est pas passive.

Le déclenchement de la seconde intifada a certes focalisé l’attention sur les modes de réaction privilégiant la violence. Mais cette population a également déployé des modes de résistance non-violents. Durant toute la décennie 1990, les Palestiniens se sont par exemple particulièrement attachés à la construction, utilisant toutes les ressources disponibles pour ériger des bâtiments privés ou publics. Ils cherchaient ainsi explicitement à encercler les colons après avoir été eux-mêmes encerclés. Ils ont encore essayé, en dépit des difficultés quotidiennes, de construire une société à part entière en la rendant visible par la mobilisation des mouvements internationaux. C’est bien dans ce contexte qu’il fallait lire le retour des migrants palestiniens après les accords d’Oslo.

2. Les returnees et les différents régimes de souveraineté

En dépit du contexte d’accélération de la mobilité des personnes et des biens ainsi que du développement des réseaux d’échange encouragés aussi bien par la mondialisation que par la guerre, l’État est loin d’avoir perdu ses prérogatives et ses moyens de contrôle. Au contraire, si l’on en croit l’analyse de Saskia Sassen, il a simplement réadapté les formes de sa souveraineté afin de répondre aux défis de la mondialisation, et plus particulièrement ceux de la mobilité des personnes et des biens et de la prolifération des organisations supranationales. En effet, « l’existence d’une instance ultime ou suprême de pouvoir sur un ensemble de personnes, de biens et de lieux » demeure centrale dans notre compréhension des relations changeantes entre l’État, le marché et la société, relations auxquelles la mondialisation n’a pas mis fin, mais qu’elle a sans conteste redessinées. Les ONG, qui appliquent en quelque sorte le concept foucaldien de gouvernance, conçoivent ainsi la souveraineté de manière flexible.

Elles s’appuient sur le fait que la mondialisation « a induit une situation de souveraineté graduelle, dans laquelle l’État, même s’il maintient un contrôle sur son territoire, peut être désireux, dans certains cas, de laisser des entités de droit international poser les termes de l’institution et de la régulation de certains domaines ou encore que des groupes plus faibles ou indésirables soient laissés à la charge de ces entités supranationales. Il en résulte un régime de citoyenneté variable dans lequel les populations relèvent de différents systèmes de droits, de devoirs, de prise en charge et de sécurité ».

Les différents régimes de la souveraineté palestinienne

Dans le cas palestinien, différents régimes de souveraineté se sont développés en relation avec la situation de réfugié et le retour des exilés. La souveraineté palestinienne, en interaction avec la souveraineté réelle de l’occupant israélien dont on a vu qu’il peut à tout moment proclamer l’état d’exception pour la suspendre, se déploie d’une manière différenciée : tandis que l’Autorité palestinienne est inflexible localement, elle se révèle être extrêmement flexible globalement.

Le premier régime de souveraineté concerne la catégorie des Palestiniens résidents qui font exclusivement allégeance à l’État palestinien. A travers une telle allégeance, l’Autorité palestinienne peut affirmer son pouvoir idéologique dans la construction d’une légitimité nationale. Cette catégorie rassemble les populations originaires de Cisjordanie et de Gaza ainsi que les réfugiés arrivés avec l’Autorité palestinienne et qui sont détenteurs d’un document de voyage palestinien improprement désigné comme le « passeport palestinien ».

Le second régime de souveraineté concerne les réfugiés vivant dans les camps de Cisjordanie et de Gaza et pour lesquels l’Autorité palestinienne laisse agir l’organisation supranationale qui les prend en charge : l’UNWRA. L’Autorité palestinienne considère ces camps comme des structures temporaires en attendant la mise en place d’un règlement de retour définitif. C’est pourquoi elle n’a quasiment pas initié de projets d’infrastructure dans ces camps. De manière similaire, les municipalités ne considèrent pas les camps comme faisant partie à part entière de leur territoire. A Naplouse, par exemple, la municipalité refuse de fournir le camp de Balata en électricité, bien que ce camp soit de fait situé à l’intérieur des limites municipales. Ajoutons qu’en Cisjordanie, la population des camps n’a pas été appelée à participer aux élections municipales - sur ce point, l’attitude a été différente à Gaza.

L’Autorité palestinienne n’a pas seulement délégué ses responsabilités envers les réfugiés palestiniens aux organisations internationales, elle leur laisse encore le soin de s’occuper du retour de professionnels qualifiés. Cette Autorité souhaite que le rapatriement des experts soit pris en charge par l’intervention internationale, à savoir plus précisément le programme TOKTEN (Transfer of Knowledge Through Expatriate Nationals) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Cet exemple soulève la question de la capacité des États-nation à régler les questions de la migration des professionnels qualifiés. De ce point de vue, le programme TOKTEN peut être perçu comme un mécanisme à travers lequel les pays occidentaux compensent leur pouvoir d’attraction sur ces professionnels qualifiés par rapport aux pays en développement qui ne peuvent leur offrir un niveau de salaire équivalent. Un tel mécanisme est vital dans le cas palestinien caractérisé par une situation économique et politique qui n’encourage nullement, quand elle ne dissuade pas, le retour de la population diasporique et qui connaît à l’inverse un fort mouvement d’expatriation de ses diplômés.

Le troisième régime de souveraineté se rapporte aux personnes revenues après un long séjour dans les pays occidentaux - principalement les États-Unis - et qui décident de s’installer dans les Territoire palestiniens pour y exercer leur profession ou y investir.

L’attitude de l’Autorité palestinienne vis-à-vis de cette population est paradoxale : si elle garantit l’exonération fiscale sur ses activités pendant un certain temps afin d’encourager l’investissement, elle demeure extrêmement suspicieuse quant à la possibilité de double allégeance. Autrement dit, l’érosion des prérogatives régaliennes de l’État-nation telles que les pratiques de régulation, de taxation ou encore d’application de la loi qui est censée faire émerger de nouvelles structures de coopération entre États est ici remise en cause par la tendance de l’Autorité palestinienne à se fermer aux autres pays de la région.

Les Palestiniens résidant à l’intérieur de la ligne verte, c’est-à-dire dans l’État d’Israël, sont soumis au quatrième régime de souveraineté. La nature de leur relation avec le quasi-État palestinien est relativement complexe. Cette population souhaite avant tout demeurer sous la citoyenneté israélienne bien qu’elle souhaite également conserver ses relations sociales, économiques et politiques avec les Palestiniens des Territoires.
Cependant, de nombreux cercles à l’intérieur de l’Autorité palestinienne manifestent des réticences devant cette double volonté, réticences qui se traduisent notamment dans la manière de réguler les interactions entre sociétés civiles de part et d’autre de la ligne verte. Par exemple la Loi de régulation des ONG promulguée par le ministère de l’Intérieur palestinien en 1999, stipulait que la participation ou le service bénévole des Palestiniens israéliens dans les comités ou les bureaux administratifs des ONG palestiniennes seraient désormais interdits.

Cette politique a été partagée, dans une certaine mesure, par certaines entreprises du secteur privé désireuses de renforcer la séparation économique entre les Territoires et Israël. Ce fut notamment le cas de la compagnie de télécommunications palestinienne PALTEL qui a décidé en 1998, pendant un certain temps, d’appliquer le tarif international à tous les appels émis de Cisjordanie et de Jérusalem-est vers Jérusalem-ouest ou le reste d’Israël. Cette décision politique ne prenait évidemment pas en compte l’impact négatif sur une société soucieuse de maintenir actifs les réseaux familiaux en dépit de la dispersion.

Le casse-tête des régimes de souveraineté : le cas de la Banque palestinienne internationale

Un certain nombre d’incidents ont mis en évidence les difficultés à gérer ces différentes catégories de Palestiniens du point de vue du concept classique d’État-nation et de droits et devoirs des citoyens.
L’imbroglio de la Banque palestinienne internationale dirigée par un Palestinien de nationalité qatarie, qui a nui durablement aux relations diplomatiques entre l’Autorité palestinienne et l’émirat, en est un exemple parmi d’autres.

La Banque palestinienne internationale fut créée en 1997 à l’initiative de ministres qataris en association avec des entrepreneurs installés dans le Golfe. En décembre 1999, ?Issam Abu ?Issa, son président, est accusé par l’Autorité palestinienne d’avoir détourné vingt millions de dollars sous couvert de prêts non garantis et poursuivi à ce titre. Lorsque le 20 décembre 1999, ?Issam Abu ?Issa, citoyen de l’émirat, trouve refuge dans les locaux de la représentation qatarie à Gaza, ceux-ci sont cernés durant vingt-quatre heures par les Forces de sécurité palestiniennes. Dans les deux semaines qui suivent cette manifestation de force de la part de l’Autorité palestinienne, le consul qatari est rappelé dans sa capitale. Un accord sera finalement trouvé le 3 janvier par lequel les autorités palestiniennes acceptent l’extradition de ?Issam Abu ?Issa et de ses deux frères emprisonnés vers le Qatar, tandis qu’un audit mené par un bureau indépendant serait chargé de viser les comptes de la banque.

 ?Issam Abu ?Issa ne cessera par ailleurs de clamer son innocence, accusant en retour l’Autorité palestinienne de pressions politiques visant à empêcher le fonctionnement des banques privées.

Dans cette affaire, un certain nombre des membres de l’Autorité palestinienne auprès desquels j’ai mené des entretiens affirment qu’Abu ?Issa, citoyen palestinien résidant sur le sol palestinien, n’aurait jamais dû être autorisé à faire valoir son passeport qatari. Il est notamment extrêmement intéressant de prêter attention au vocabulaire employé par l’officier qui définit Abu ?Issa comme « citoyen palestinien », « détenteur d’un passeport qatari », établissant ainsi une hiérarchie entre le pays d’origine et le pays hôte. L’officier traduit ainsi l’esprit du document constitutionnel. En effet, selon la troisième version de celui-ci, « les résidents de l’État de Palestine doivent être exclusivement soumis à la juridiction palestinienne ». En revanche, le consul de l’émirat a uniquement fait valoir la nationalité qatarie de l’accusé, défendant comme tout à fait normal et légitime le fait de lui avoir offert une protection contre l’action des forces de sécurité palestiniennes.

Selon J. Friedman, dans le passé, « l’identité diasporique entraîne l’accusation politique de traîtrise, la suspicion d’être une cinquième colonne qui cherche à pénétrer et à conquérir la nation de l’intérieur ». Ces perceptions sont partagées dans de nombreux pays du Moyen-Orient, parmi lesquels les Territoires palestiniens comme l’attestent les discours des officiers de la sécurité palestinienne. Ces discours se traduisent par une violence symbolique exercée à l’encontre des individus détenteurs d’une double nationalité, et donc, d’une double allégeance possible.
En d’autres termes, le système politique hégémonique réagit violemment à la fragmentation de l’identité politique et exerce des pressions contre les personnes concernées les amenant à cacher le pluralisme de leur identité. Ainsi, on n’a pas assez souligné que, si l’affaire de ?Issam Abu ?Issa a été tellement mise en avant dans les médias, c’est bien en raison des liens de proximité entre Abu ?Issa et le gouvernement qatari. Il est clair que ce cas, parmi d’autres, révèle de la part de l’Autorité palestinienne une peur de l’hybridité de l’identité et une forte valorisation d’une identité pleine, palestinienne ou non-palestinienne.

Vers une nation extra-territoriale ?

La tension ainsi observée entre les pratiques transnationales des migrants / réfugiés / returnees palestiniens et la politique de l’État palestinien à leur égard amène à se demander si l’Autorité palestinienne ne doit pas évoluer vers une forme d’État-nation extra-territorial plutôt que dé-territorialisé. En fait, ce type d’État est territorialisé de la même manière que les autres, à cette différence près qu’il distingue entre citoyenneté et nationalité. Ainsi, les droits et les devoirs des personnes vivant dans les Territoires palestiniens ne seraient pas exclusivement définis en fonction de leur nationalité - c’est-à-dire du fait qu’ils soient ou non Palestinien. De même, les personnes d’origine palestinienne qui vivent en dehors des Territoires pourraient jouir de droits et remplir des devoirs vis-à-vis de cet État, même s’ils ne résident pas physiquement dans les Territoires.

Un tel arrangement n’est possible qu’à la condition que l’Autorité palestinienne passe des accords spéciaux avec les pays qui hébergent des réfugiés palestiniens. De tels accords faciliteraient l’obtention, par ces réfugiés, d’une double citoyenneté pleine et entière. Autrement dit, la citoyenneté palestinienne serait accessible même aux personnes qui résident hors de Palestine. Il pourrait s’agir d’une solution envisageable, notamment au regard des faibles capacités d’absorption des réfugiés palestiniens dans les Territoires. Et certainement d’une solution appréciable pour ceux des Palestiniens qui ne souhaitent pas revenir, mais désirent néanmoins être reconnus comme appartenant à la nation palestinienne et participer à sa vie publique.

Il faut encore souligner que la réalisation de ce régime d’extraterritorialité ne relève pas uniquement de l’Autorité palestinienne.

De fait, la gouvernance palestinienne s’est historiquement développée plus comme structure d’autorité dispersée que comme un système étatique, hiérarchisé et bureaucratique. En termes financiers, par exemple, les acteurs transnationaux et internationaux, institutions donatrices et ONG, ont assumé dans les faits, et comme elles avaient entrepris de le faire avant même l’arrivée de l’Autorité palestinienne, de nombreuses responsabilités relevant théoriquement du proto-État palestinien. D’une manière générale, cette remarque permet d’attirer l’attention sur l’importance politique des instances locales comme les ONG et les municipalités.

L’État extra-territorial mondialisé n’implique pas (seulement), dans ce modèle que nous défendons, un passage du pouvoir au marché, mais aussi aux institutions sans ancrage territorial. Evolution qui offre, de surcroît, une protection des citoyens contre la menace d’une privation de leur capacité d’action politique.

Dans l’histoire nationale palestinienne, l’OLP a été l’exemple le plus significatif de ce type d’institution sans ancrage territorial.

Cependant, il est évident que l’Autorité palestinienne, en qualité d’investissement territorialisé de l’OLP, n’a pas été suffisamment efficace et responsable devant ses citoyens. Ceci est dû, principalement, au manque de coopération entre l’Autorité palestinienne et l’OLP dans l’élaboration d’un mécanisme capable d’effectuer des choix collectifs. Contrairement à ce que suggèrent nombre de nouveaux modèles de gouvernance, la prédominance des questions nationalistes ne conduit pas nécessairement au phénomène de « plus de nation, moins d’État ». En dépit d’une tendance prédominante à l’intégration mondiale, les États-nations sont encore considérés comme arbitres politiques ultimes, en termes de culture, de sécurité et de bien-être pour leurs citoyens.

Néanmoins, en raison de la perte de confiance envers les institutions politique de par le monde, le « déclin de la déférence » selon les termes employés par Richard Siméon, qui s’observe également de la part des citoyens palestiniens envers l’Autorité palestinienne, le rôle des ONG et autres institutions extraterritoriales mérite d’être considéré dans toute politique d’extra-territorialité. Il est donc important d’analyser maintenant la manière dont l’Autorité palestinienne a tenté de résoudre du point de vue juridique le problème de sa population palestinienne dé-territorialisée.



- Réfugiés palestiniens, citoyenneté et Etat - partie 2/2

Sari Hanafi - Ceped (Centre Population et Développement)
Colloque "L’asile du sud : Afrique, Méditerranée..." du 6 au 8 juin 2006, à Ouagadougou (Burkina Faso)
Ceped, décembre 2006, n° 53


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.