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Pris au piège de sa victoire, le Hamas cherche à éviter l’isolement total de la bande de Gaza

samedi 23 juin 2007 - 06h:02

Michel Bôle-Richard - Le Monde

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Comme abasourdis par la facilité avec laquelle le pouvoir a été conquis dans la bande de Gaza, les dirigeants du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) s’interrogent sur la manière de gérer cette victoire. Manifestement, ce coup de force n’est pas du goût de tout le monde, notamment de Ghazi Hamad, ancien porte-parole du gouvernement d’union nationale, mal à l’aise dans cette nouvelle situation. "Nous ne voulons pas contrôler la bande de Gaza. Nous ne sommes qu’un seul peuple. Nous voulons rester unis, dit-il. Il faut trouver une solution. Il faut se parler, essayer de préserver l’intérêt national, trouver des procédures, tous les moyens possibles car on ne peut pas se permettre de maintenir cet état de fait." Nerveux, gêné, Ghazi Hamad reconnaît que "la situation n’est pas facile, même pour Mahmoud Abbas".

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Un Palestinien portant un enfant marche vers le point de passage d’Erez, le 21 juin 2007. Depuis la victoire du Hamas, des centaines de personnes se sont réfugiées près du poste-frontière israélien, dans l’espoir d’une évacuation vers la Cisjordanie (Ph. AP/Adel Hana)

Mais le président de l’Autorité palestinienne refuse tout dialogue et accuse le Hamas d’avoir voulu l’assassiner. Il ne sera pas facile de réparer les pots cassés. Alors les islamistes tâtonnent, ne cessent de se réunir, cherchent des remèdes et espèrent dans les bons offices du monde arabe et des "frères" islamiques pour qu’une solution soit trouvée et que la fracture survenue entre la Cisjordanie et la bande de Gaza ne s’élargisse pas davantage. "Il faut quelque chose de rapide. Nous ne voulons pas d’un gouvernement du Hamas pour une population du Hamas. Il n’y aura pas d’Etat palestinien ici", s’empresse de souligner Alaa Al-Aradj, ancien ministre de l’économie.

Totalement désorientés par ce qui leur arrive, comme ils l’avaient été après leur victoire électorale du 25 janvier 2006, les chefs islamistes ne savent plus très bien comment faire face à cette nouvelle donne. "Il faut tout faire pour éviter l’isolement, trouver une issue politique", s’inquiète Salah Al-Bardawil, président du groupe parlementaire du Hamas au Conseil législatif palestinien (Parlement). De son côté, Basem Naim, ministre de la jeunesse et des sports, reconnaît qu’il y a eu des erreurs, que "l’image du Hamas a été ternie, mais que la sécurité et le bien-être de la population sont plus importants" et que, sur au moins l’un de ces points, l’apaisement est revenu dans la bande de Gaza.

"Réaction spontanée"

C’est pourquoi tous s’accordent à dire que la situation ne pouvait plus durer et que la décision qui a été prise de prendre le contrôle des forces de sécurité adverses a été imposée par un accroissement jugé intolérable des désordres de toute nature. "Cela a été une réaction spontanée, une réaction émotionnelle. Il n’y a pas eu de plan préparé. On a nettoyé la cité du chaos et de l’anarchie", affirme Ahmed Youssef, conseiller politique du premier ministre Ismaïl Haniyeh.

Mais aujourd’hui, que faire de cette victoire embarrassante ? Il faudra encore du temps pour savoir comment le Hamas va digérer ses nouvelles responsabilités et savoir quelles structures vont être mises en place. Ahmed Youssef estime que Mahmoud Abbas a violé la Loi fondamentale qui fait office de Constitution et qu’il n’est pas question de procéder à des élections anticipées. "Pourquoi en faire puisque l’on n’a pas respecté les résultats des dernières ? s’interroge-t-il. De plus, on va donner beaucoup d’argent au Fatah pour les gagner et elles seront faussées." Pour le moment, aucune réponse n’est fournie sur la façon dont le Hamas va répondre à la situation créée et éviter d’être encore plus ostracisé et de plus en plus dépendant de l’aide internationale. "Nous sommes un peuple sous occupation. Israël doit assurer nos besoins vitaux et nous comptons sur nos frères arabes pour ne pas nous laisser tomber", se rassure Ahmed Youssef.

Officiellement, personne ne reconnaît, au sein du Hamas, que l’on est allé trop vite et qu’il aurait fallu donner une chance supplémentaire au gouvernement d’union nationale. L’heure n’est pas encore à l’autocritique. Toutefois, pour Ibrahim Ibrach, professeur de sciences politiques à l’université Al-Azhar de Gaza, "le Hamas est pris au piège de sa victoire. Il ne sait pas quoi en faire et commence à se demander s’il ne s’est pas tiré une balle dans le pied. La question se pose de savoir s’il n’a pas fait le jeu d’Israël et des Etats-Unis d’autant qu’en Cisjordanie, le sort de ses militants est devenu très critique". Pour cet analyste, "la situation est très certainement irréversible et l’on va assister, petit à petit, à la mise en place d’un mini-Etat islamique. Les indices sont nombreux".

"Faux ! réplique Salah Al-Bardawil. Nous ne sommes pas des talibans. On ne va pas appliquer la charia. Nous voulons protéger les droits de l’homme." Ahmed Youssef s’indigne que l’on puisse comparer les Palestiniens, "peuple ouvert et éduqué" à des intégristes arriérés. "Nous ne sommes pas des extrémistes, plaide-t-il : nous respectons la démocratie, le pluralisme, la liberté d’expression. Ici, ce n’est pas le "Hamastan", c’est le "Démocratistan". Il n’a jamais été question d’un Etat islamique." Une seule préoccupation anime les nouveaux maîtres de Gaza : rassurer pour renouer le dialogue. Jeudi soir, les brigades Ezzedine Al-Qassam ont organisé une conférence de presse devant la maison de Mahmoud Abbas et l’ont fait visiter aux journalistes afin de démontrer qu’aucun dommage, aucune déprédation n’avait été causé dans la maison d’un président... qui n’est pourtant plus celui de la bande de Gaza.

Michel Bôle-Richard, envoyé spécial à Gaza - Le Monde, le 22 juin 2007

Du même auteur :
- Hypocrisie internationale autour de Gaza
- Un gouvernement d’indépendants autour de Mahmoud Abbas


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