16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Le judéocide, un atout politique

mardi 19 juin 2007 - 05h:58

Amira Hass - Ha’aretz

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Le cynisme inhérent à l’attitude des institutions
de l’Etat juif à l’égard des survivants du judéocide
ne surprendra pas ceux qui sont nés et vivent avec elles. Nous avons grandi avec
l’écart béant entre la représentation de l’Etat
d’Israël comme lieu de la renaissance du
peuple juif et le vide que rencontre chaque survivant du judéocide et sa famille. La réadaptation dépendait de la force de chacun : les
faibles ne recevaient pas de soutien de l’Etat.

JPEG - 24.9 ko
Amira Hass

Durant les années 1950 et 1960, nous avons
été confrontés à la vision dégradante de nos
parents qui avaient marché “comme des
moutons » vers le massacre : la honte des
nouveaux Juifs, les Sabras, à propos de leurs
parents malchanceux de la Diaspora. Durant
les deux premières décennies, une grande
part de cette attitude pouvait être attribuée
au manqué d’information, et à l’impossibilité
tellement humaine de vraiment comprendre
la signification du génocide industrialisé commis
par l’Allemagne.

Mais la prise de conscience des aspects matériels
du judéocide, elle, se répandit vite : dès
le début des années 1940 les institutions
juives et sionistes commencèrent à discuter de
la possibilité de demander des réparations. En
1952, un accord fut signé avec l’Allemagne,
qui accepta de payer des centaines de millions
de dollars à Israël pour couvrir le coût de
l’absorption des survivants et payer pour leur
réadaptation. L’accord obligeait également
l’Allemagne à payer des compensations individuelles
aux survivants, mais la loi allemande
distinguait ceux qui appartenaient au « cercle
culturel allemand » et les autres. Ceux
capables de prouver leur appartenance au
premier cercle recevaient des sommes plus
importantes, même s’ils avaient entre temps
quitté l’Allemagne.

Les survivants des camps
qui n’appartenaient pas à ce cercle recevaient
la somme ridicule de 5 marks par jour. Les responsables
israéliens acceptèrent cette distorsion.
Ce mécanisme fait partie des racines du cynisme
financier que les médias découvrent
aujourd’hui pour différentes raisons : l’âge
avancé et la santé déclinante des survivants,
l’affaiblissement délibéré de l’Etat providence,
l’arrivée de survivants de l’ex Union soviétique
qui n’avaient pas été inclus dans l’accord
de réparations initial, l’activisme médiatique
des ONG, et l’engagement, bienvenu,
de journalistes spécialisés en affaires sociales.
Ceux-là sont choqués par le contraste entre
l’appropriation officielle de l’Holocauste par l’Etat, comprise et acceptée en Israël, et
l’abandon des survivants.

Le judéocide constitue un atout politique
avant tout dans la lutte contre les Palestiniens.
Quand le judéocide, rejoint par la culpabilité
(légitime) de l’Occident, est mis dans
la balance, la dépossession des Palestiniens de
leurs terres en 1948 ne pèse pas lourd.
Le slogan « sécurité pour les Juifs » a été
consacré comme un synonyme pour « les
leçons du judéocide ». C’est ce qui permet à
Israël de pratiquer une discrimination systématique
envers ses citoyens arabes. Pendant
40 ans, cette « sécurité » a également justifié
le contrôle de la Cisjordanie et de Gaza, et de
leurs citoyens dépossédés de leurs droits,
vivant aux côtés de résidents juifs israéliens
bénéficiant, eux, de nombreux privilèges.
Cette sécurité sert à créer un régime de séparation
et de discrimination sur base ethnique,
“à l’israélienne”, sous couvert de pourparlers
de paix qui n’aboutissent jamais.

Le judéocide sert également à présenter
toutes les méthodes de la lutte palestinienne
(même la résistance non armée) comme un
autre maillon de l’antisémitisme qui a culminé
à Auschwitz. Israël se donne ainsi le droit
de construire des barrières, des murs et des
miradors autour des enclaves palestiniennes.
Séparer le génocide des Juifs du contexte historique
du nazisme et de ses objectifs de
meurtre et de domination généralisés, l’isoler
de la série de génocides perpétrés par l’homme
blanc hors d’Europe, a créé une hiérarchie
des victimes, dont nous sommes à la tête.
Ceux qui étudient le judéocide et l’antisémitisme
cherchent leurs mots lorsque à Hébron,
l’Etat met en oeuvre une politique de nettoyage
ethnique à travers ses émissaires les
colons ; ils ignorent les enclaves et le régime
de séparation mis en place.

Quiconque critique les politiques de l’Etat
d’Israël est dénoncé comme antisémite, si pas
négationniste. De façon absurde, cette délégitimisation
de toute critique à l’égard d’Israël
ne fait que rendre plus difficile le rejet
des comparaisons qui sont faites entre la
entre la
machine à tuer nazie et le régime israélien de
discrimination et d’occupation.
L’abandon des survivants par les institutions
de l’Etat est dénoncé de tous côtés. L’instrumentalisation
du judéocide comme atout politique
de la lutte contre les Palestiniens se
nourrit du même réservoir de cynisme officiel,
mais elle fait, elle, partie du consensus national.


De la même auteure :

- L’éloge de l’occupation
- Des rapports à la place des actes

Et aussi :

- Israël serait le pays au monde dans lequel les rescapés de la Shoah sont le moins bien traités

Amira Hass - Ha’aretz, le 18 avril 2007
Version anglaise sur Znet : The Holocaust as political asset
Traduit de l’anglais par Caroline Sägesser, Points Critiques, mai 2007


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.