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L’éloge de l’occupation

jeudi 14 juin 2007 - 10h:18

Amira Hass - Ha’aretz

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Les occupations qui ont suivi la guerre de 1967 ont réalisé une chose formidable : elles ont réuni la plus grande partie du peuple palestinien à l’intérieur des limites de sa patrie.

Pour la première fois en 19 ans, il fut de nouveau possible aux Palestiniens d’habiter et d’exister ensemble, collectivement, sur l’étendue de terre entre la mer Méditerranée et le fleuve du Jourdain.

Jusqu’au début des années 90, ce fut une expérience fondamentale considérée comme reconnue et elle a joué un rôle de libérateur et de rassembleur du peuple palestinien après la catastrophe et la désagrégation qui sont tombées sur lui avec l’instauration de l’Etat d’Israël. C’est seulement aujourd’hui, alors que cette étendue de terre a été débitée en dizaines de morceaux différents et éloignés, dans un processus qui est en train de mener la société palestinienne à l’émiettement, qu’il est possible de saisir l’importance de cet intervalle d’un quart de siècle ?

En 1967, Israël a tiré la leçon de l’ « erreur » qu’il a commise en 1948. Il a bien pris garde à ne pas accorder la citoyenneté aux habitants des territoires occupés, même à ceux des 70 kilomètres carré qu’il a annexés à Jérusalem. Mais il a commis une autre « erreur » : il a ouvert cette étendue de terre à la fois aux Juifs et aux Palestiniens. Naturellement, les Juifs ont eu le privilège hégémonique de s’installer sur toute cette étendue, de s’emparer des terres et des précieuses ressources en eau des Palestiniens pour se construire des colonies extensives. Ce droit fut refusé non seulement aux Palestiniens d’Hébron ou aux réfugiés de Jaffa, qui vivent maintenant dans le camp de Jabalya, mais aussi à ceux de Nazareth et de Sakhnin qui sont des citoyens israéliens.

Mais avec le droit de se déplacer à l’intérieur de ce territoire et les droits essentiels qu’on en retire - celui de gagner sa vie, d’étudier et de développer des liens culturels - cela a conduit à des possibilités de développement et de progrès pour le peuple, que ce soit en tant qu’individus ou comme communauté nationale. Faire l’expérience de cette étendue de terre a compensé beaucoup de vides créés par la politique israélienne de discrimination.

Pendant environ un quart de siècle d’occupation, les parents et les natifs d’un même village vivaient encore ensemble. Les gens de Galilée et de la bande de Gaza ont étudié ensemble dans les établissements d’enseignement de Cisjordanie et de Jérusalem, ont tissé des liens culturels et politiques, se sont rencontrés à la mosquée et dans les églises ; les gens qui jusque-là avaient été séparés par des panneaux disant « Danger : frontière » se sont retrouvés à travailler ensemble dans les mêmes hôpitaux, les mêmes usines, sur les mêmes marchés, les mêmes chantiers de construction et ensuite dans les entreprises qu’ils ont eux-mêmes créées ; des couples se sont formés et des enfants sont nés, ils ont appris les paysages évolutifs de leur patrie non par les chansons nostalgiques d’autrefois mais en visitant leurs parents.

En effet, le droit de vivre ensemble sur cette étendue de terre était refusé non seulement aux réfugiés de 1948 mais aussi aux nouveaux réfugiés de 1967 : environ 240 000 personnes qui habitaient la Cisjordanie et la bande de Gaza ont été chassés ou ont fui craignant les combats, ainsi que 60 000 autres environ qui étaient à l’étranger quand la guerre a éclaté. Le jeune Etat, qui n’existait que depuis 19 ans à l’époque, a agi comme s’il était mature et expérimenté : il s’est empressé de refuser à une immense majorité d’entre eux la qualité de résident sur leur propre terre. Grâce à différents stratagèmes, il a aussi refusé le droit de résidence à 100 000 autres individus partis à l’étranger pour travailler ou étudier après 1967 et ce, avec une habileté qui lui a permis d’ajouter un nouveau maillon à la chaîne de dépossessions commencée en 1948 et à laquelle il n’a toujours mis un terme à ce jour.

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Des bulldozers israéliens arasent la terre palestinienne dans le camp de réfugiés d’Aïda, près de Bethléhem, pour la construction du mur de séparation qui traverse la Cisjordanie.

Mais c’est seulement à la 24ème année d’occupation qu’Israël a commencé à « corriger » son « erreur » libératrice de 1967 : si jusque-là, l’occupation se distinguait par le vol de la terre (et de l’eau), elle s’est caractérisée alors par le vol du territoire palestinien. En 1991, Israël a commencé à créer deux genres de territoires entre la Méditerranée et le Jourdain : un espace de qualité supérieure, ouvert, développé et bien aménagé, pour les Juifs, et un espace éclaté, dénué volontairement de tout développement, à l’attention des Palestiniens.

Ce changement radical a vu le jour en janvier 1991 quand Israël a retiré le droit à tous les Palestiniens de se déplacer librement dans tout le pays et qu’il a instauré tout un système d’autorisations avec des durées limitées et remises au compte gouttes à une minorité. D’abord, les habitants de Gaza ont été coupés de tout ce territoire. Puis, est venu le tour de ceux de Cisjordanie. Plus tard, les constructions accélérées des colonies juives et celles des routes de contournement en Cisjordanie (toutes sous le couvert du « processus de paix ») ont séparé le nord du sud de la Cisjordanie et éloigné de plus en plus les villages de leurs terres et de leur grande ville.

Progressivement, Israël a également restreint les possibilités pour les citoyens non juifs de son Etat de se rendre dans ce territoire ; il leur a refusé de pénétrer dans la bande de Gaza (à partir de 1994), puis en Cisjordanie (2000). Et c’est ainsi qu’on en arrive à aujourd’hui avec un archipel de dizaines de petites enclaves étiolées, coupées les unes des autres, et dont la distance qui les sépare augmente toujours.

Ne demandez pas s’il y a une nostalgie de la période d’occupation d’avant 1991 !

12 juin 2007 - publié sur IMEU ; initialement sur Ha’aretz - photo du camp d’Aïda : Magnus Johansson - Maan Images - traduction : JPP

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