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Six jours et 40 ans plus tard...

vendredi 8 juin 2007 - 06h:14

Guy Taillefer - Le Devoir

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Juin 1967, la guerre éclair entre Israël et le monde arabe bouleverse le Proche-Orient

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(Ph. AFP)

Il y a quarante ans éclatait et prenait fin presque aussitôt la guerre des Six Jours (5-10 juin 1967), à l’issue de laquelle l’espace territorial d’Israël avait triplé grâce à la conquête du Sinaï, de Gaza, des hauteurs du Golan, de la Cisjordanie et de la partie arabe de Jérusalem, sous contrôle jordanien. Six jours et quarante ans plus tard se poursuit une occupation dont on ne voit pas la fin, marquée depuis cinq ans par l’érection d’un « mur de séparation », considéré par certains comme « le chapitre le plus triste de la saga ininterrompue du processus d’appropriation par Israël des territoires palestiniens ». Parole aux démocrates palestiniens et au camp de la paix israélien.

Du belvédère du mont des Oliviers, très beau point de vue sur la vieille ville fortifiée de Jérusalem. On y monte de préférence le matin, recommandent les guides, pour faire des photos des vieux quartiers et de la coupole dorée du dôme du Rocher qui brille sous le soleil. Le regard embrasse 3000 ans d’histoire. Qui n’y serait pas sensible ?

N’y manque que la paix. Jérusalem repose au coeur du conflit israélo-palestinien, point focal des tensions, des haines et des indifférences mutuelles. N’échappe donc pas au regard le moindrement avisé le fait que le dôme du Rocher est le troisième lieu saint de l’Islam, après La Mecque et Médine. Il trône sur ce Jérusalem dont l’État hébreu célèbre ces jours-ci le 40e anniversaire de la « réunification » — alors que les Palestiniens revendiquent bec et ongles sa partie orientale comme capitale de leur futur État national.

Ne lui échappe pas non plus qu’il tourne le dos à un bouleversement qui, sur le terrain, est en train de transformer en profondeur la géographie urbaine et sociale de la ville — avec, à la clé, une guerre démographique. Il passe tout près, ce fameux « mur de séparation » qui court en tous sens sur 700 kilomètres autour de la Cisjordanie, les territoires palestiniens occupés. On l’atteint en quelques enjambées, par la route qui descend, en serpentant, de l’autre côté du mont des Oliviers, vers la mer Morte. « Clôture de sécurité » antiterroriste pour les Israéliens, « mur de l’apartheid » pour les Palestiniens, le gouvernement israélien en tisse la toile autour et au travers de Jérusalem et de la Cisjordanie depuis maintenant cinq ans, une tonne de ciment après l’autre, après en avoir entrepris la construction dans la foulée d’une effrayante vague de terreur signée par le Hamas au début des années 2000. Les travaux achèvent.

Proclamé « capitale éternelle et indivisible » d’Israël, Jérusalem n’a cependant jamais été reconnu comme telle par la communauté internationale. Des résolutions onusiennes ont dénoncé au cours des 40 dernières années l’illégalité de l’occupation israélienne et de l’établissement en territoires palestiniens de colonies de peuplement juives, dont l’extension se poursuit. En juillet 2004, la Cour internationale de justice de La Haye déclarait illégale la ligne de séparation et réclamait le démantèlement de l’ouvrage.

Si le mur et l’occupation soulèvent une profonde opposition parmi les Palestiniens, ils créent aussi des remous parmi les juifs israéliens. S’expriment des voix qui montrent bien que la société israélienne n’est pas monolithique et qui chassent l’impression que l’on peut avoir, arpentant les rues de Tel-Aviv, de Jérusalem ou de Haïfa, que, tous tournés vers l’Europe, les Israéliens vivent comme si les Palestiniens n’existaient tout simplement pas.

Petit à petit

La nouvelle réalité du mur, qui s’installe petit à petit, ne retient guère l’attention des médias, occupés ces dernières années à couvrir le retrait israélien de Gaza, la mort de Yasser Arafat, l’élection-surprise du Hamas aux législatives palestiniennes et la deuxième guerre du Liban. La « stratégie d’annexion unilatérale » de Jérusalem-Est et de larges portions de la Cisjordanie consiste précisément à procéder de façon graduelle, de manière à rendre la chose imperceptible, écrit Amira Hass, dans le quotidien israélien Haaretz.

Le Palestinien Abu Hasan, qui habite à Jérusalem-Est, est un ancien journaliste qui a rompu avec la profession il y a quelques années, écoeuré par la paresse et le penchant pour le sensationnalisme de ses collègues. « Des gens meurent dans ce conflit, et c’est tragique, mais la catastrophe infligée aux Palestiniens obéit à des ressorts dont plusieurs n’ont tout simplement pas la patience de décrire la complexité. » Il s’est recyclé en guide de « tours alternatifs » et promène dans sa camionnette, pour 20 $US par personne, ceux que la question intéresse. « J’accompagne souvent des diplomates occidentaux. J’en amène demain à Hébron. Ils rentrent ensuite chez eux estomaqués par ce qu’ils ont vu, font des rapports scandalisés par le sort réservé aux Palestiniens. Mais rien ne change. »

Que leur montre-t-il ? Un ouvrage dont l’ampleur et la complexité sont, en effet, stupéfiantes : un mur en béton de neuf mètres de haut, ponctué d’énormes tours de surveillance et dont l’impressionnant zigzag, foi d’Abu, dément catégoriquement la version officielle, « absurde », du gouvernement israélien voulant qu’il ne soit construit qu’à des fins de sécurité pour protéger la population israélienne contre les terroristes du Hamas. Ici, le mur colossal contourne un point d’eau pour faire en sorte qu’il soit du côté israélien (le contrôle de l’eau étant un enjeu majeur du conflit). Là, le mur tourne subitement à 90 degrés pour inclure une maison du côté israélien et rebifurque 30 mètres plus loin. Là encore, la « clôture » court au beau milieu d’une rue traversant un quartier palestinien de Jérusalem-Est.

Abu Hasan gare sa voiture. Devant nous, quelques jeunes Palestiniens, des paquets sous le bras, attendent que les soldats israéliens aient le dos tourné pour passer par-dessus le mur, qui ne fait pour le moment que trois ou quatre mètres de hauteur. « Leur famille, leur travail ou leur école sont de l’autre côté. »

La scène est anodine et ne l’est pas. Elle va au coeur du sentiment de spoliation et d’exclusion dont se disent victimes les Palestiniens. « Cette cicatrice de béton emprunte une route politique à Jérusalem et dans ses banlieues qui a moins à voir avec la sécurité qu’avec l’incorporation de colonies juives de peuplement à l’intérieur des frontières de la municipalité », affirme, dans un récent rapport intitulé The Wall, le Centre international pour la paix et la coopération de Jérusalem (CIPC). Et bien que la séparation ethnique soit un de ses objectifs, il semble que le mur vise autant à séparer les Israéliens des Palestiniens que les Palestiniens des Palestiniens, souligne le rapport. « Cherchant à unifier les Israéliens, le mur fragmente les Palestiniens. »

Addition et soustraction

Le nerf de la guerre est démographique. Marquant le 40e anniversaire de la réunification, le maire de Jérusalem, Uri Lupoliansky, ne cachait pas à la mi-mai que la principale préoccupation de la municipalité était de faire en sorte que la ville demeure majoritairement juive. Le nombre de Hiérosolymites (les habitants de Jérusalem) est de 732 000, selon le recensement de 2006 : 64 % de Juifs, 32 % d’Arabes. La tendance veut théoriquement que le ratio soit de 50 pour 50 d’ici deux ou trois décennies. La peur est que « Jérusalem pourrait, que Dieu nous protège, se retrouver, non pas sous juridiction juive, mais sous celle du Hamas », s’est alarmé le maire.

Aussi le mur redessine-t-il les limites de la ville pour englober, par addition, les grands blocs de colonies qui l’entourent et où vivent déjà, en terres occupées, 200 000 colons juifs. C’est le cas de la plus grande, Ma’ale Adumin, située immédiatement à l’est, entre Jérusalem et Jéricho.

Abu Hasan immobilise sa voiture dans la « colonie » juive de Pizgat Ze’ev. Le paysage urbain est celui d’un quartier confortable et bien rangé de la classe moyenne, comme il en existe à Montréal. Ce qui égratigne le cliché qui veut que les colonies soient pour l’essentiel peuplées d’ultra-orthodoxes. « Les gens se laisseraient-ils aussi facilement convaincre, note M. Hasan, si les autorités ne leur donnaient pas congé de taxes municipales pour quelques années et n’offraient pas de généreux programmes d’accès à la propriété ? »

Par soustraction et en parallèle, la construction du mur, combinée à des restrictions de plus en plus coercitives à la liberté de mouvement, a continué de laminer le rôle de Jérusalem-Est, habité par 250 000 Palestiniens, comme métropole de la Cisjordanie, affirme Rami Nasrallah, directeur du CIPC. Avec le résultat que Jérusalem-Est « est aujourd’hui à ce point diminué qu’il n’est plus le centre institutionnel, religieux, intellectuel et commercial des Palestiniens ».

Une balade depuis les beaux quartiers juifs de Jérusalem-Ouest est parlante. Habite dans la partie orientale 30 % de la population. Mais ne lui est consacré que 10 % du budget municipal. En éditorial récemment, Haaretz raillait les politiciens israéliens célébrant la réunification en les invitant à traverser la ligne qui divisait la ville jusqu’à la guerre des Six Jours : « À quelques centaines de mètres de Jérusalem-Ouest, ils découvriront des quartiers négligés et des infrastructures en ruine, de la pauvreté, du surpeuplement et du chômage. Le résultat de 40 ans de discrimination délibérée. »

Le mur est un mur dans tous les sens du terme. En rognant des quartiers palestiniens au nord et à l’est de Jérusalem, il se trouve à couper 55 000 Palestiniens de la ville, a évalué le groupe pacifiste israélien Ir Amim (Cité des peuples). Ce qui a donné lieu depuis 2003 à un exode, explique Meir Margalit, ancien conseiller municipal et l’une des voix les plus importantes du camp de la paix israélien. « Des familles entières quittent leur maison et déménagent du côté israélien du mur, si ce n’est que quelques centaines de mètres plus loin, pour ne pas être coupées de leur travail, de l’hôpital, de l’école, de leurs proches et pour s’éviter les humiliations quotidiennes d’avoir à traverser des points de contrôle israéliens. »

De crainte aussi que ne soit remis en cause le statut de « résident permanent » de Jérusalem qui leur a été octroyé après l’annexion de 1967. Un droit qui tient dans une précieuse carte d’identité bleue.

Ont-il tort d’avoir peur ? L’année dernière, 1363 personnes ont perdu leur droit de résidence, six fois plus qu’en 2005, à la suite de l’application de nouvelles règles administratives — forcées, si elles ne quittent pas tout simplement le pays, d’aller vivre à Ramallah, à Jéricho ou à Bethléem... « Tous les moyens sont bons pour essayer de nous chasser, dit Abu Hasan. Impossible pour un habitant de Ramallah, où il n’y a pas de travail, de travailler à Jérusalem sans permis. Impossible pour un garçon de Jérusalem-Est qui voudrait marier une fille de Ramallah de la faire venir chez lui. Ou il laisse tomber, ce qui est fréquent, ou il renonce à son permis de résidence et va vivre en prison de l’autre côté du mur. »

Le déplacement massif de Palestiniens vers l’intérieur de l’« enveloppe » municipale a provoqué à Jérusalem-Est une crise du logement. D’une part, les loyers ont augmenté de 100 %. De l’autre, devant la quasi-impossibilité pour un Palestinien d’obtenir un permis de construction, le nombre de maisons construites illégalement (1189 dans la seule année de 2004) a grimpé en flèche. La réaction des autorités municipales a été féroce, affirme M. Margalit, qui travaille pour le Comité israélien contre la démolition des maisons : 350 maisons « buldozzées » de 2003 à 2005, « un sommet », dit-il. « Une maison juive sans permis est un problème urbain. Une maison palestinienne sans permis de construire constitue une menace stratégique. » Beau cas, dit-il, de situation créée de toutes pièces par l’État et dont celui-ci a du mal aujourd’hui à s’extirper.

Immense succès

Le gouvernement récuse ces sombres procès d’intention, affirme que le jour où il y aura la paix et qu’un État palestinien pourra voir le jour, la clôture sera démantelée. Il plaide surtout que celle-ci est un « immense succès » en ce qu’elle a rempli son objectif sécuritaire : faire cesser les attentats suicide contre la population civile israélienne. Là où il a été érigé, dit-on au ministère des Affaires étrangères, le mur a permis de réduire de 90 % les tentatives d’attentat. Ce dont lui sont incontestablement reconnaissants la grande majorité des juifs israéliens.

Dans cette perspective, il est « naturel », estime-t-on, que les planificateurs du mur prennent en considération l’augmentation de la population arabe. Un porte-parole gouvernemental, Mark Regev, déclarait en décembre dernier à la presse : « Nous comprenons qu’il y ait un impact négatif sur la qualité de vie et il est de notre devoir de tout faire pour le minimiser... Mais nous parlons ici de qualité de vie, alors que, de mon côté de la clôture, il s’agit d’une question de vie ou de mort. »

Des arguments qui n’émeuvent guère Rami Nasrallah. Il n’en pense pas moins que sont en train d’être créées sur le terrain des « réalités virtuellement irréversibles » qui rendent de plus en plus difficile d’imaginer que Jérusalem-Est devienne un jour la capitale d’un éventuel État palestinien.

De fait, la capitale de facto des Palestiniens est de plus en plus Ramallah, que l’on atteint en une petite demi-heure par transports publics depuis la porte de Damas, à Jérusalem, après avoir franchi un poste de contrôle qui a les dimensions d’une importante frontière internationale. « Mais c’est la frontière d’un pays sans État et sans monnaie [les gens y vivent en dinars jordaniens et en shekels israéliens], dit M. Nasrallah. Un pays découpé en enclaves, contrôlé par quelque 400 points de sécurité. En l’absence de continuité territoriale, il est illusoire de parler d’un pays palestinien viable dans l’état actuel des choses. »

Rencontré à Ramallah, dans ses bureaux du Jerusalem Media and Communication Center (JMCC), une organisation de recherche, d’information et de sondage qui existe depuis 1988, le directeur Ghassan Khatib affirme carrément : « Il n’existe pas de volonté politique du côté israélien de mettre fin à l’occupation. » Mais il tient à ajouter : « Je lutte contre l’occupation comme je milite pour que le Hamas ne remporte pas les prochaines élections. »

Guy Taillefer - Le Devoir (quotidien canadien), le 2 juin 2007

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