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1967 : Une guerre par inadvertance

dimanche 3 juin 2007 - 06h:59

Henry Laurens - Le Courrier international

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L’historien Henry Laurens, professeur au Collège de France, revient sur les causes complexes et pour une part accidentelles du conflit de 1967.

Vous publiez ce mois-ci le troisième tome de La Question de Palestine* - L’accomplissement des prophéties, qui couvre la période de 1948 à 1967. Lors de vos recherches, avez-vous découvert des documents nouveaux ?

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Henry Laurens

Le Foreign Relations of the United States (FRUS) a récemment rendu publics in extenso des documents relatifs à cette période, alors qu’auparavant on n’avait droit qu’à des témoignages fragmentaires. A cela s’ajoutent des progrès considérables de l’historiographie israélienne. En revanche, les recherches arabes restent bloquées. La théorie du complot contre Nasser, développée par le journaliste égyptien Mohammad Hassanein Heykal, demeure la thèse officielle. Ce qui est sûr, c’est que Nasser a mal calculé. Aujourd’hui, on a l’impression que la guerre de 1967 a été une guerre par inadvertance, accidentelle, et non une guerre planifiée de longue date.

Comment une guerre aux conséquences aussi dramatiques peut-elle éclater par inadvertance ?

Pour les militaires israéliens, le relatif isolement politique de la Syrie dans le monde arabe poussait Damas à adopter une politique de provocation vis-à-vis d’Israël afin de régler des litiges frontaliers. Par ailleurs, Israël voulait punir la Syrie de son soutien à des organisations palestiniennes telles que le Fatah, qui menait une guerre d’usure à partir du territoire syrien. Tsahal n’était pas prêt pour ce type de guerre. C’était une armée formée pour attaquer, et non pour rester en position statique aux frontières afin d’empêcher les infiltrations.

Avait-on peur de se retrouver dans une situation de harcèlement, comme au Vietnam ?

En réalité, les attaques du Fatah étaient loin de constituer une menace. En juin 1967, presque deux ans et demi après sa création, ses attaques avaient fait peu de victimes (quinze au total)... Les Israéliens étaient persuadés que les Etats-Unis interviendraient pour empêcher toute conquête territoriale de leur part, comme lors de la guerre de 1956 [guerre anglo-franco-israélienne contre l’Egypte après la nationalisation du canal de Suez]. C’est au cours de la guerre elle-même que les Américains ont abandonné l’idée d’interdire aux Israéliens des conquêtes territoriales.

Comment expliquer l’engagement soviétique dans cette guerre ?

Les raisons de l’engagement soviétique demeurent controversées. Il semble qu’il y ait eu une vraie manipulation : des services secrets israéliens manipulant des agents doubles qui auraient transmis de fausses informations à l’URSS. Moscou était sûr qu’Israël voulait attaquer la Syrie.

Nasser a-t-il poussé à la guerre ?

Comment le président Nasser aurait-il réagi à une attaque israélienne contre la Syrie ? Les sources égyptiennes écrites a posteriori rendent le maréchal égyptien Amer grand responsable de la guerre et de la défaite. Or, en 1967, Nasser n’admettait pas le règlement de 1957 du différend frontalier entre l’Egypte et Israël, à la suite de la guerre de 1956 : démilitarisation du Sinaï, installation de casques bleus et liberté de navigation dans le détroit de Tiran. Il y avait un consensus au sein du pouvoir égyptien pour revenir à l’avant-1956 et fermer le détroit de Tiran. Mais Nasser pensait plus à la guerre froide à l’intérieur du monde arabe, à son combat contre l’Arabie Saoudite et ses alliés dans la région : il voulait créer un grand mouvement d’opinion arabe antisaoudien, en enrôlant aussi dans son camp le roi Hussein de Jordanie, de façon à isoler encore plus Riyad.

La stratégie de Nasser était complexe. Il était parfaitement conscient que l’armée égyptienne n’avait pas les moyens de mener une guerre offensive, mais il pensait qu’un dispositif de guerre égyptien solidement installé dans le Sinaï avait de bonnes chances de dissuader Israël. Nasser travaillait dans la perspective d’une attaque israélienne. En revanche, le général Amer défendait une stratégie plus offensive. Cet incompétent propulsé à la tête de l’armée va faire de la grande muette un instrument de pouvoir. On sait aujourd’hui que Nasser et Amer ne s’entendaient pas, mais cette opposition entre les deux hommes était peu connue à l’extérieur.

Nasser a-t-il été une victime de cette guerre ?

Nasser, comme souvent, a été victime de sa propre propagande. Le discours nassérien est relativement raisonnable, il ne parle pas de rayer Israël de la carte, contrairement aux médias égyptiens et à l’appareil de propagande, qui sont nettement plus virulents et échappent à son contrôle direct. Ces médias donnent aux Israéliens l’impression qu’ils sont à la veille d’une guerre d’extermination.

Comment cette guerre a-t-elle été préparée, côté israélien ?

Israël vivait une crise profonde entre les militaires et le pouvoir civil. Le Premier ministre de l’époque, Levi Eshkol, essayait de calmer les militaires prêts à prendre des initiatives. Ils étaient sûrs qu’ils pouvaient gagner la guerre. Il y eut une quasi-mutinerie des généraux face à Eshkol. C’était en fait un problème de décalage de civilisation et de génération, entre des hommes politiques nés en Europe et ayant grandi dans la période qui avait précédé l’établissement de l’Etat d’Israël et de jeunes militaires nés en Palestine. Les militaires se considéraient comme les véritables Israéliens et, pour parler du gouvernement, disaient : “Les Juifs” !

Comment peut-on interpréter le jeu américain dans cette guerre ?

Pour les Israéliens, cette guerre ne servait à rien si Washington s’opposait au maintien des gains qu’Israël engrangeait. Le message du gouvernement Johnson était ambigu : Washington acceptait la légitimité des Israéliens pour mener cette guerre, mais en même essayait de les dissuader de la mener. Cette position américaine, Nasser l’interprète comme un remake de la guerre de 1956 [les Américains avaient forcé les Israéliens et les troupes franco-britanniques à se retirer d’Egypte]. Une défaite arabe ne servait pas les intérêts des Américains. Elle faisait basculer le Moyen-Orient dans le camp de l’URSS.

Manifestement, le président égyptien sous-estimait le potentiel militaire de l’Etat hébreu, pensant qu’Israël aurait toujours besoin de l’aide des armées occidentales. Mais les Américains vont interpréter les risques de guerre comme un moyen de faire émerger un “nouveau Moyen-Orient” et accepter implicitement qu’Israël attaque ses voisins. C’est un feu orange, et non vert, que Washington donne à Israël. Il faut ajouter que la question du nucléaire au Moyen-Orient était déjà à l’ordre du jour. Les avions égyptiens avaient survolé Dimona, la nouvelle centrale israélienne du Néguev. Israël était déjà tout près du seuil nucléaire. Pour les Israéliens, traumatisés par l’idée d’extermination et obsédés par les questions de sécurité, le survol égyptien était une raison supplémentaire pour agir.

Quarante ans après, quelles leçons peut-on tirer ?

La guerre des Six-Jours a donné aux Israéliens une assise territoriale et une forte supériorité sur les Arabes. Mais ces acquis censés assurer la sécurité d’Israël causeront à l’Etat hébreu des pertes plus lourdes et plus permanentes que dans les années avant 1967.



* Les deux premiers tomes sont : La Question de Palestine - I. L’invention de la Terre sainte (éd. Fayard, 1999) et La Question de Palestine - II. Une mission sacrée de civilisation (éd. Fayard, 2002).




Le rêve israélien

“ ?Vous aussi, vous pouvez acheter une maison et renforcer le rêve sioniste’, proclame une publicité publiée par le Conseil représentatif des colons (Yesha) et l’organisation Amana, qui se définit comme le mouvement des colons de Goush Emounim [Bloc de la foi]. Les deux groupes ont lancé une campagne pour convaincre les Juifs américains d’acheter une résidence secondaire dans une colonie (en Cisjordanie) en soulignant que le risque est nul”, note Yediot Aharonot. En principe, le gouvernement israélien n’autorise plus les nouveaux projets de construction dans les Territoires palestiniens, et les Israéliens hésitent à s’y installer. “Aussi Yesha et Amana ont-ils décidé de se tourner vers les Américains.” Ces derniers se sont montrés “inquiets, mais en même temps réceptifs à l’offre”.

Henry Laurens - Le Courrier international

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