CPI : l’Autorité palestinienne va-t-elle se focaliser sur les colonies ?
vendredi 10 avril 2015 - 17h:16
Daoud Kuttab
Personne ne le dit à haute voix, mais il apparaît que la direction palestinienne choisit de suivre la piste « colonisation » plutôt que la piste « Gaza » dans le cadre des efforts pour inculper Israël de crimes de guerre.
- Un policier israélien retire un drapeau palestinien et un drapeau du Fatah au cours d’une manifestation contre les confiscations de terres palestiniennes au profit de colons juifs, à Abou Dis près de Jérusalem, le 6 mars 2015 - Photo : Mohamad Torokman
Les Palestiniens se sont exprimés publiquement sur la Cour Pénale Internationale (CPI) et les plaintes déposées pour crimes de guerre contre Israël, pour les morts et les destructions perpétrées à Gaza l’été dernier ainsi que pour les implantations coloniales illégales qui se poursuivent dans les Territoires Occupés. Puisque l’Autorité palestinienne est à présent un membre officiel de la CPI, la voie la plus sûre pour la direction palestinienne sera de poursuivre les colonies israéliennes et non les transgressions commises à Gaza.
La Palestine est devenue membre officiel de la CPI, le 1er avril dernier. Et tout en évoquant les deux pistes, les porte-parole palestiniens envoient des signaux indiquant qu’ils n’insisteront pas énormément quand il s’agira des dossiers concernant Gaza.
Il semble que dès janvier le procureur de la CPI avait entamé l’examen de la guerre de Gaza sous l’angle de supposés crimes de guerre, mais l’affaire prendra un temps très long. « Il n’y a pas de calendrier, certains des examens préliminaires de la Cour sont en cours depuis quatre ans » c’est ce que Richard Dickers, directeur du Programme Justice de l’ONG Human Rights Watch’s International a dit à Vice News. « Ce qui est en route n’est que la première phase du procès en justice ».
La CPI est considérée comme un tribunal jugeant en dernier recours. Son site web officiel dit : « Elle n’intervient pas lorsqu’une affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites dans un système judiciaire national, sauf si ces procédures ne sont pas menées de bonne foi ».
Concernant le retard possible, le Ministre palestinien des Affaires étrangères Riyad al-Malki aurait dit à Reuters que si l’investigation prenait plus de temps que prévu, « nous sommes prêts à renvoyer l’affaire ».
Israël ouvre une enquête de routine dans tous les cas comportant des morts. Et comme Amnesty International a mis en cause le sérieux des investigations sur les meurtres de Palestiniens par l’armée israélienne, l’existence même de telles enquêtes déforce tout cas de crime de guerre.
Par ailleurs, une fois entamée une enquête pour crimes de guerre, il n’y a pas de restrictions sur qui on enquêtera, et la possible investigation sur Gaza inclut un certain nombre d’embûches pour des Palestiniens. Bien que des Palestiniens sous occupation sont autorisés par le droit international à se défendre eux-mêmes d’attaques par l’occupant, il est probable que certains individus palestiniens (et non l’AP) pourraient être eux-mêmes accusés de crimes de guerre.
Pour prévenir ce point, Saeb Erekat, membre du Comité exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine et chef de l’équipe palestinienne chargée de suivre le dossier des crimes de guerre, a déclaré le 1er avril à la télévision al-Arabiya que les lois palestiniennes sont en cours de modification pour être conformes aux obligations d’adhésion à la CPI. Il a également révélé qu’un « comité de juristes a été mis en place pour étudier la nécessité d’une investigation sur de supposés crimes de guerre palestiniens », atténuant si possible le risque que des Palestiniens de Gaza ne fassent l’objet d’investigations pour crimes de guerre.
Par ailleurs, l’affaire contre les colonies israéliennes, les confiscations de terres et les mouvements de personnes du pays occupant vers les zones occupées constituent une cause bien plus aisée à gagner.
La Quatrième Convention de Genève prescrit clairement que les colonies et ceux qui les dirigent et protègent les colons commettent une violation du droit humanitaire international – ce qui renforce pour les Palestiniens la piste des colonies, car c’est un crime qui se continue toujours et dont ill est impossible de nier l’existence.
Le gouvernement israélien est responsable, via ses dirigeants militaires, de l’entreprise de colonisation, qui constitue un crime de guerre. En outre, la décision à titre consultatif de 2004 de la Cour internationale de Justice se réfère clairement au fait que les colonies en territoires occupés sont contraires au droit international.
Si elle poursuit Israël pour ses activités coloniales, l’équipe palestinienne devra décider quels individus seront accusés de crimes de guerre. Poursuivront-ils la direction militaire ou politique, ou les deux ? Les candidats les plus probables seront le commandant israélien du District central, le coordinateur des activités des Forces de Défense israéliennes le chef de l’administration civile et le ministre de la Défense. Il est possible que le Premier ministre israélien soit lui aussi inculpé.
Evidemment, les Israéliens baseront leur défense sur l’argument que les Conventions de Genève ne s’appliquent pas aux territoires occupés, qu’eux-mêmes considèrent comme « territoires disputés ». Israël a toujours argué que la Cisjordanie n’est pas territoire palestinien parce qu’elle a été prise à la Jordanie et que l’annexion de la Cisjordanie par la Jordanie n’avait pas été reconnue par la plupart des pays dans le monde.
Israël, dont l’annexion unilatérale de Jérusalem-Est n’a été reconnue par aucun pays, dit que l’acte de la Jordanie n’était pas légal parce que seuls le Royaume-Uni et le Pakistan avaient reconnu l’annexion de zones de Cisjordanie en 1950.
Pour les Palestiniens, la procédure contre Israël vise à éviter la perpétuation de crimes de guerre et non pas la vengeance de crimes passés. L’adhésion à la CPI fournit aux Palestiniens autant de privilèges que de responsabilités. Il serait insensé voire contre-productif, une fois lancée cette importante stratégie, que les Palestiniens s’engagent à nouveau dans des perturbations politiques et usent de prétextes pour retarder la procédure contre des Israéliens qui ont commis des crimes de guerre.
Si la piste des colonies doit être suivie, toutes les ressources juridiques et administratives doivent se focaliser sur la présentation de l’affaire le plus exhaustivement et le plus efficacement possible. Remporter un succès à la CPI permettra non seulement de rendre Israël responsable de ses actes, mais produira immédiatement le genre de dissuasion qui manquait à l’arsenal palestinien d’armes non violentes.
* Daoud Kuttab : journaliste palestinien né à Jérusalem, il a enseigné le journalisme à Princeton et dirige actuellement le Community Media Network, organisation dédiée au progrès du journalisme arabe indépendant . Il est producteur de documentaires et titulaire de nombreuses distinctions. Il est chroniqueur pour Palestine Pulse de Al-Monitor, The Jordan Times, The Jerusalem Post et The Daily Star (Liban).
Son compte Twitter : @daoudkuttab
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2 avril 2015 - Al-Monitor- Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2015/04/palestine-icc-war-crimes-israel-geneva-convention-jordan.html
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM