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Une manifestation à Ramallah

samedi 14 septembre 2013 - 06h:30

Rana Baker

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C’était mon premier jour en Cisjordanie. La soirée de ce 27 août tirait à peine à sa fin que la nouvelle faisait déjà le tour. Des voyous au service de l’Autorité Palestinienne ont tué Amjad Odeh, un menuisier du camp de réfugiés d’Askar, à Naplouse. Ces voyous étaient en fait partis dans le camp pour arrêter un autre homme, mais la situation a vite dégénéré lorsque les habitants leur ont barré le chemin.

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Intervention de Sheikh Khader Adnan durant la manifestation - Photo : Rana Baker

Je venais de rentrer à Ramallah lorsque j’ai finalement pris conscience de l’ampleur de la nouvelle. Mes deux amis Ziyaad et Ahmad étaient furieux et ça se sentait dans leur discussion et leurs commentaires. Quant à moi, j’essayais d’attirer leur attention en me donnant en spectacle et en posant des questions sur tout ce que j’ai vu à Jéricho et à Bethléem, ne donnant pas l’air d’accorder la moindre attention significative à ce qui a secoué toutes les personnes que j’ai connues en Cisjordanie et ailleurs.

Il aura fallu que des appels à manifester circulent pour que je réalise que je n’étais plus confinée dans la Bande de Gaza. Je maudissais l’Autorité Palestinienne et formulais des commentaires détachés lorsque mes amis de Ramallah sortaient pour protester et se faisaient tabasser et arrêter.

Très tôt dans la journée, à Naplouse, mes deux amis de longue date et moi avons pris le chemin de Ramallah où nous devions prendre part à une manifestation. Mes compagnons n’étaient autres que Banias et Muntaha que j’ai connu pour la première fois sur Twitter. Ces deux-là m’ont averti à deux reprises pour avoir négligemment parlé dans les taxis et dans la rue des manifestations planifiées. Souvent, Banias m’a secouée par les manches de mon pull pour me rappeler que les Mukhabarat, les agents des renseignements de l’Autorité Palestinienne, étaient présents « partout ».

Il a été donc convenu que tout le monde devait se rassembler à 17h à la Place Manara de Ramallah ; un endroit que j’ai toujours considéré comme la scène de la dissidence.

Surprise

A Ramallah, nous sommes passés par un café en plein air pour prendre Budour. J’ai été présentée à Budour au téléphone comme « une surprise » car nous nous connaissions pendant de longues années mais à cause des restrictions de la liberté de mouvement qu’Israël nous impose, nous n’avions pas eu la chance de nous rencontrer auparavant.

En effet, j’étais à chaque fois présentée aux autres comme étant une « surprise ». Et à chaque fois que quelqu’un s’amusait à dire que je suis une Gazaouie en Cisjordanie, à Jérusalem ou dans la Palestine de la Nakba, je mesurais l’ampleur de la bien triste réalité que j’étais l’ « exception » qui confirme la règle, même en simulant différentes identités, passant des fois pour une Belge, rien que pour être en mesure de bouger « librement » à travers les dédales des restrictions et des checkpoints imposés par Israël.

Nous pouvions jeter un coup d’œil sur la Place Manara à partir de Stars & Bucks. Ce dernier est la version « Ramallah » de Starbucks, situé au deuxième étage d’un grand immeuble. Tout comme KFC et Pizza Hut, Stars & Bucks est un endroit que mes amis de Ramallah ne cessent de décrire comme un produit des efforts infatigables de l’Autorité Palestinienne ambitionnant de donner à Ramallah l’aspect de la « capitale » d’un « état » moderne, alors que tout ce qu’il y a en dehors de la « bulle » témoigne de la misère abjecte et de la dure réalité de l’apartheid colonial où vivent les Palestiniens.

Aux environs de 14.30, la police de l’Autorité Palestinienne était déjà présente sur les lieux. La foule commençait à se rassembler à la Place où Banias et Muntaha reconnaissaient leurs pairs qu’ils me désignaient. A chaque fois qu’ils mentionnaient un nom qui m’était familier, je regardais par la fenêtre pour voir les visages de ceux dont je ne connaissais que les noms et les positions, au mieux je communiquais et chattais avec eux à titre non-officiel. A cet instant même, la très charismatique Banias nous a enjoints à rejoindre la foule.

J’étais engloutie dans une foule composée de plusieurs petits groupes. Chaque personne présente savait exactement ce qu’elle faisait et ce qui allait se passer. Les gens discutaient entre eux craintivement et échangeaient de vives paroles sur les noms et les places, une scène soi-disant familière à laquelle j’étais étrangère.

Un statut incertain

Ce sentiment de séparation et d’éloignement a été confirmé par Budour qui, préoccupée par mon statut précaire, celui d’une Palestinienne de Gaza présente à Ramallah grâce à une autorisation israélienne afin de se rendre à un consulat, m’a conseillée de ne pas trop me positionner en première ligne de la manifestation. « Pourquoi ne devrais-je pas le faire ? » lui ai-je demandé. La raison était que je risquais d’attirer l’attention sur moi ou pouvais afficher mon enthousiasme et tout cela menacerait le statut dont je me suis autoproclamée, à savoir celui d’être « chez moi ».

Mais une fois de plus, c’est Banias, la source de la sagesse compatissante, qui attesta que j’avais le « droit » de me mettre là où je voulais.

En l’espace d’une demi-heure, le nombre des manifestants a grimpé à environ 60. Puis des murmures curieux nous ont signalé l’arrivée de Sheikh Khader Adnan, l’ancien détenu administratif libéré de la prison israélienne suite à une épique grève de la faim qui a duré 66 jours.

Sheikh Khader et Banias ont échangé quelques mots, puis comme ce fut le cas depuis que je suis à Ramallah, j’ai été présentée à lui comme la « Gazaouie », ce qui m’a valu un très court, mais assez spécial souhait de bienvenue de sa part. Quant à moi, je n’ai fait que le contempler et découvrir son caractère réservé visible à travers ses brèves apparitions et disparitions parmi les différents groupes.

Les manifestants avaient ramené deux cercueils vides pour organiser les funérailles symboliques de Amjad Odeh et de trois autres tués la veille à Qalandiya par al ihtilal, c’est-à-dire l’occupation.

J’ai marché à côté de Budour, très connue pour ses talentueux slogans éloquents. L’ « Autorité » a été publiquement – et rigoureusement – accusée de collaboration, de corruption et de protection du bien-être et la sécurité de l’occupation israélienne, comme l’exprimait l’une des affiches « Celui qui a négocié, a trahi. »

Essayer de comprendre

J’étais partagée entre mon côté observateur et mon côté Palestinien, voulant participer à la manifestation mais en même temps, essayant de comprendre les raisons pour lesquelles mes amis s’étaient dits « frustrés » par de tels spectacles.

La police de l’Autorité Palestinienne nous a interceptés pendant que nous marchions vers al-Muqataa, le quartier-général de Mahmoud Abbas à Ramallah. Avec leurs haut-parleurs, ils nous ont donné l’ordre de faire « demi-tour » et d’aller protester « ailleurs ». Les slogans se sont immédiatement élevés, couvrant ainsi les appels et les ordres de la police. Des passants se sont arrêtés pour prendre des photos ou simplement fascinés par le spectacle qui s’offrait à leurs yeux.

J’ai reconnu Yara, une autre amie de très longue date qui m’a toujours impressionnée. Mais dans la foule, je ne pouvais pas confirmer si c’était elle parce qu’elle paraissait beaucoup plus jeune que je ne le pensais.

L’idée d’aller demander au milieu de la foule m’avait quelque peu embarrassée, alors j’ai étouffé ma curiosité et poursuivi ma marche. Plus tard, c’est elle qui m’informera qu’ils étaient « entourés » des mukhabarat.

Cette manifestation m’a permis d’établir et de développer mon premier contact avec toutes ces personnes dont l’amitié et la perspicacité ont contribué à la création et à l’évolution de mes idées et de ma compréhension de ce que le « reste de la Palestine » signifiait.

D’impressionnantes rangées de policiers de l’Autorité palestinienne (AP) bloquaient la route menant à al-Muqataa. La minute où mes yeux sont tombés sur eux, les images des policiers israéliens qui harcèlent si souvent les fidèles musulmans le vendredi à Jérusalem, se sont imposées à mon esprit.

Comme eux, les voyous de l’AP étaient équipés de gilets pare-balles, de casques et de boucliers, et brandissaient de lourdes matraques noires. Comme les fidèles, nous n’étions ni protégés ni armés, et nous avons été harcelés .

Ils se tenaient devant nous dans un lourd silence, nos slogans devenant plus directs et plus forts. Les manifestants se relayaient pour reprendre nos protestations là où d’autres s’étaient arrêtés, parfois se chevauchant.

Poussant en avant

Idfaa ! Poussez ! » Cria quelqu’un derrière nous soudainement. Nous avons commencé à pousser contre les boucliers, surpris de la résistance des policiers, incapable de les faire reculer d’un centimètre.

Ceux qui étaient derrière nous poussaient de l’avant et continuaient à crier les slogans. La ligne de front était surtout composée de femmes, la raison étant que les voyous de l’AP sont censés être plus « doux » avec les femmes qu’avec les hommes. J’ai reçu un coup ou deux, puis je suis repartie en arrière. Muntaha a été battue encore plus sévèrement, mais elle n’a jamais reculé. J’étais pétrifiée par son courage et ma lâcheté.

« Frappe-moi », a déclaré, rigolard, un voyou de l’AP alors qu’il se tenait derrière son bouclier. Bien sûr, il n’y avait aucun moyen que je puisse l’atteindre. À un moment donné, un voyou dans la deuxième rangée a légèrement relevé son casque. J’ai vu là une magnifique opportunité, et j’ai réussi à le gifler. Il a essayé de mettre la main sur moi, mais, contrairement à Muntaha, j’ai couru aussi vite que j’ai pu. D’autres voyous de l’AP, en civil, circulaient dans la manifestation se faisant passer pour des gens de bonne volonté voulant épargner à tout le monde la « violence ».

Tabasser les manifestants

Personne n’a été dupe. Tout le monde, sauf les gens comme moi, savait qui ils étaient vraiment. J’aurai ensuite tout loisir de saisir le « tableau complet » lorsque ces « civils » protégeront la police et tabasseront les manifestants. Sur les trottoirs, une foule de badauds, de journalistes et de « militants » étrangers regardait ou prenait des photos .

J’ai vu des jeunes hommes vouloir assumer leur rôle de « protecteurs » des femmes en tirant celles-ci vers l’arrière. Banias, elle aussi, a été emmenée, mais comme beaucoup d’autres femmes, elle ne le permettait pas et elle a crié sa colère au visage « de son protecteur » .

Bien que je n’ai pas vu si l’attaque a réellement eu lieu, beaucoup disaient qu’un manifestant a été aspergé de gaz poivré. A la fin de la manifestation, j’ai été invitée à rendre visite à la victime à l’hôpital, mais je ne pouvais pas y aller ce soir-là .

Quelqu’un de Gaza

La manifestation a pris fin de façon décevante. Khader Adnan a prononcé un discours pour expliquer que les voyous de l’AP ne doivent pas être nos ennemis, que ce sont les accords d’Oslo qui sont notre ennemi et que nos efforts doivent tendre vers cela. C’est ainsi que se termine chaque manifestation à Ramallah, m’expliquent des amis : à un moment donné, une figure respectée prononce un discours et la manifestation se disperse. Nul n’atteint les murs imposants d’al- Muqataa.

J’ai dit à Banias ma consternation devant le discours de Khader Adnan. Elle m’expliqua alors que si Adnan n’avait pas agi ainsi, les conséquences en auraient été très « graves » pour lui. La scène m’a laissée avec des sentiments mitigés.

Plus tard ce soir-là, dans tous les cas, j’allais regarder la répétition de dabke d’un ami plus jeune dans ce ce qui ressemblait à un club de danse plutôt huppé de Ramallah. J’étais un peu honteuse de l’accompagner dans un lieu si élégant avec mon look débraillé et meurtri. Malgré mon apparence, les collègues de mon ami me dirent que je « ne ressemblait pas » à quelqu’un de Gaza. Quand je leur ai demandé ce qu’ils avaient à l’esprit en disant « quelqu’un de Gaza », ils me répondirent par un laconique « comme ceux que nous voyons à la télévision ».

Naplouse , un rappel de Gaza

Plus tôt dans la journée, Muntaha m’avait accompagnée à Naplouse. C’est là que je encontrais Banias pour la première fois, après trois ans d’amitié virtuelle. Je voulais lui pincer la joue de temps en temps en plaisantant, lui disant que je voulais simplement vérifier qu’elle était « réelle ».

Nous avons pris notre petit déjeuner de ijjeh - un type d’ omelette avec du persil, de l’oignon, et des épices ajoutés au tout - dans un restaurant vieux de 130 ans. Deux jeunes hommes en uniforme de la police palestinienne prenaient leur petit déjeuner à la table voisine de la nôtre. Lorsque nous avons commencé à discuter de la situation à Ramallah et de la prochaine manifestation, Banias nous dit de baisser nos voix, en indiquant les deux hommes du regard.

Naplouse est l’opposé complet de Ramallah. Les affiches omniprésentes des hommes tués lors de la seconde Intifada m’ont rappelé Gaza.

« Ce parking », m’indiqua Beesan, « était auparavant un masbaneh [une savonnerie] . Ils [les Israéliens] l’ont démolie durant la seconde Intifada pour y garer leurs chars. »

« Dans cette maison », ajouta-t-elle, « une famille entière a été tuée, et dans celle-ci un homme a été poignardé dans son sommeil. »

Nous sommes allés à Balata, le plus grand camp de réfugiés de Naplouse. Ammani, un jeune homme qui vit dans le camp, a été recherché pendant un an par l’armée d’occupation. L’Autorité palestinienne s’est alors saisi de lui et l’a livré, seulement pour qu’il soit ensuite relâché par l’armée israélienne .

Sur le chemin du retour, j’ai vu Jalazone, un camp de réfugiés à l’extérieur de Ramallah. Jalazone s’étale dans une vallée, ses constructions qui tiennent du bidonville, et ses maisons en couleur brute. Bet El, une colonie juive qui abrite le tribunal militaire où tant de Palestiniens subissent la « justice » de l’occupant, est juste de l’autre côté, sur une colline, moderne et entourée d’arbres.

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* Rana B. Baker est diplômée en business administration à Gaza et membre de la Campagne des Étudiants Palestiniens pour le Boycott Académique d’Israël. Son blog et son compte Twitter

De la même auteure :

- Gaza se prépare pour la Semaine contre l’Apartheid israélien - 13 mars 2012
- Résilience dans les champs de Gaza - 2 mai 2011
- Mon journal de prison - 23 avril 2011

7 septembre 2013 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/blogs...
Traduction : Info-Palestine.eu - CZ & Niha


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