« Jusqu’à mon dernier souffle, je ferai tout pour revoir ma fille »
vendredi 2 août 2013 - 13h:20
PCHR Gaza
Le visage ridé de Fatma révèle la profonde souffrance d’une mère qui n’a pas vu sa fille depuis onze ans. Fatma Khalil Moubarak (78) vit à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Sa fille, Lamees Ahmad Mubarak (âgée de 44 ans), vit à Hébron en Cisjordanie depuis qu’elle s’est mariée en 1988. La dernière fois que Fatma a vu sa fille, c’était en 2002.
- Fatma Khalil Mubarak
Depuis lors, Lamees a tenté de rendre visite à sa famille à Gaza, mais l’accès lui a été refusé à chaque fois qu’elle a demandé un permis de visiteur pour traverser [la ligne de séparation] à Beit Hanoun (« Erez »). Le passage de Beit Hanoun est le seul point d’accès pour les gens de Gaza qui veulent se rendre en Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et / ou Israël.
Fatma nous explique : « Ma fille Lamees est allée à Hébron avec son mari quand elle s’est mariée dans les années 80. Elle me rendait alors souvent visite, et j’avais l’habitude de lui rendre visite aussi car mon état de santé était bien meilleu, et traverser la Cisjordanie était beaucoup. plus facile. Mais depuis la seconde Intifada, nous ne l’avons plus vue. La dernière fois qu’elle est venue ici, c’était en 2002, et elle n’a jamais pu revenir depuis. »
Depuis 2002, plusieurs tentatives ont été faites par Lamees et sa famille pour se réunir , mais les requêtes déposées par Lamees pour un permis de visiteur vers la bande de Gaza ont toujours été refusées. « Cette année, nous avons déjà instruit deux requêtes, mais en vain. Le permis a été à nouveau refusé. Nous n’avons pas encore abandonné. Je continuerai à demander un permis pour voir ma fille jusqu’à mon dernier souffle ».
Le profond désir de Fatma de voir sa fille se renforce chaque jour, surtout en raison de son état de santé qui se détériore car elle souffre d’une maladie cardiaque et d’une hépatite. « Je ne sais pas pourquoi je suis privée de voir ma fille », ajoute-elle. « Elle est ma fille et tout ce qu’elle veut, c’est venir me voir alors que je suis très malade. Pourquoi lui refuse-t-on toujours l’entrée ? Elle n’est pas une menace pour leur sécurité. Elle veut seulement venir pour que je puisse la voir ».
« Nous avons tout essayé. La dernière fois que nous avons fait une demande, nous avons joint une copie de mon rapport médical certifié par les médecins et témoignant de ma malheureuse condition, mais même cela n’a pas fonctionné. Les autorités israéliennes ont refusé de lui donner un permis . Nous pensions tous que cela fonctionnerait et qu’elle allait enfin réussir à venir. »
« La dernière fois que je suis allé visiter Lamees à Hébron, elle avait dix-sept ans. Depuis que je suis très malade, il est difficile pour moi de voyager seule. Je n’arrive même plus à quitter cette maison. Je sais que je pourrais obtenir un permis si j’en demandais un, en raison de mon âge et de mon état de santé, mais qu’est-ce que je ferais avec un permis alors que je ne peux pas bouger et ne puis aller seule nulle part ? Mon état de santé ne me le permet pas. Que faire si je meurs en chemin ? Les autorités israéliennes ne permettront pas à mes enfants de m’accompagner en Cisjordanie. »
Israël impose une politique de séparation territoriale entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. La séparation des territoires a eu de graves conséquences sur le tissu même de la société. Cela a influencé tous les aspects de la vie sociale du peuple palestinien. Fatma explique comment le bouclage israélien de la bande de Gaza l’a encore empêché, elle et sa famille, de remplir son rôle de mère et de grand-mère. « Lamees est tombée très malade récemment. Je ne pouvais pas aller lui rendre visite ou m’occuper d’elle. Aucun de sa famille ne le pouvait non plus. Elle est là, toute seule. Son père était devenu très malade avant de mourir en 2008. Il voulait la voir, et nous avons donc demandé un permis de visiteur, mais le permis a été refusé. Il est mort sans la voir, et elle n’a pas pu assister à ses funérailles. Maintenant, j’ai sept petits-enfants que je ne connais pas. Deux de mes petites-filles se sont mariées et je ne pouvais assister à aucun de leurs mariages. »
La séparation de la bande de Gaza et la Cisjordanie a rendu de simples réunions familiales très difficiles. Selon Fatma, Lamees espérait assister au mariage de son neveu dans la bande de Gaza, prévu pour la fin du Ramadan, afin de célébrer l’heureux événement avec sa famille. « Nous étions prêts à la recevoir pour le mariage et nous l’attendions. Nous avons été déçus d’apprendre que son permis avait été à nouveau refusé. Peu importe combien de fois on lui refusera la permission de venir, je suis toujours pleine d’espoir qu’elle finisse par l’obtenir la prochaine fois et que je vais revoir ma fille. Je ne peux pas me résigner à ces refus. Je vais continuer à demander des permis, encore et encore. »
Fatma se souvient de l’époque où les restrictions israéliennes sur les déplacements des personnes via le passage de Beit Hanoun étaient moins strictes : « Dans le passé, lorsque je demandais un permis, je le recevais le lendemain, et je prenais un taxi pour Hébron dans la ville de Gaza. Nous partions pour Hébron dans le matinée et d’arrivions avant midi. Il ne fallait guère qu’une heure. Aujourd’hui, c’est plus facile pour moi de voir ma fille qui vit en Norvège que de visiter ma fille qui habite à une heure d’ici. »
Les Palestiniens dans la bande de Gaza se voient encore et toujours refuser leur droit à la liberté de mouvement, et souffrent terriblement des restrictions imposées sur les déplacements via le passage de Beit Hanoun. Les restrictions ont été imposées pour la première en 1994 et elles sont devenues de plus en plus strictes depuis l’Intifada al-Aqsa. Pour finir, le passage a été complètement bouclé le 16 février 2006. Depuis lors, les Palestiniens ont été empêchés de voyager via le point de passage, à moins qu’ils ne relèvent de certaines catégories très spécifiques.
En conséquence, les civils dans la bande de Gaza ne peuvent se rendre dans les lieux saints de Jérusalem et de Bethléem pour accomplir les rituels religieux. Les étudiants sont empêchés de se rendre dans les universités de Cisjordanie. Les familles sont empêchées de visiter leurs proches en Cisjordanie et vice-versa. Depuis la prise de contrôle du Hamas [sur le territoire assiégé] en juin 2007, les autorités israéliennes n’ont autorisé que des catégories limitées de personnes de passer par le poste-frontière : des malades dans un état critique, des journalistes étrangers, des agents d’organisations internationales. Ces personnes sont autorisées à quitter ou à entrer dans Gaza dans des circonstances limitées, par le biais de procédures compliquées, et sont souvent soumises à des traitements dégradants.
La fermeture de la bande de Gaza - qu’Israël impose depuis maintenant six années consécutives - constitue une forme de punition collective, en violation du droit international humanitaire. À la suite de ce bouclage permanent, voyager entre la bande de Gaza et la Cisjordanie est devenu pratiquement impossible pour les Palestiniens et des familles entières sont aujourd’hui séparées. La séparation forcée des familles est une claire violation de l’article 16 de la Déclaration universelle de 1948 des droits de l’homme (DUDH) et de l’article 23 du Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui oblige les États à protéger le droit de se marier et de fonder une famille.
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1e août 2013 – PCHR Gaza – Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach