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L’impact du Printemps Arabe sur les droits des Palestiniens

dimanche 6 janvier 2013 - 09h:31

Un interview de Norman Finkelstein

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Ken Klippenstein : Quel est à votre avis l’impact du Printemps Arabe sur les droits des Palestiniens ?

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Norman Finkelstein

Norman Finkelstein : Le processus n’est pas terminé. Les résultats semblaient plus encourageants dans la phase initiale que maintenant. Peut-être que la phase actuelle va évoluer pour donner quelque chose de mieux, mais en ce moment, je dirais, si je peux utiliser le terme "démocratie", que la démocratie recule. L’axe réactionnaire du Qatar et de l’Arabie Saoudite, soutenu bien sûr par les Etats-Unis parvient actuellement à la faire reculer. Les évènements en Égypte de ces derniers mois n’ont pas été encourageants ni porteurs d’espoir. En ce moment le Qatar donne beaucoup d’argent aux Frères Musulmans, et cela n’est pas une bonne chose. En Syrie, ce qui a commencé comme la suite du Printemps Arabe avec des manifestations pacifiques pour faire tomber la dictature de Bashar a évolué en ce que certains personnes appellent une guerre civile. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse vraiment d’une guerre civile parce qu’il ne me semble pas que la population du pays ait encore son mot à dire sur ce qui se passe. C’est devenu une guerre par procuration dans laquelle beaucoup de puissances régionales et mondiales comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie et l’Iran jouent un rôle funeste. Et puis la Russie soutient un camp et les États-Unis l’autre et ce sont probablement eux qui tirent les ficelles. Et puis il y a évidemment les Anglais et les Français. Alors l’avenir de la Syrie pour le moment ne semble pas brillant ; on semble s’acheminer vers un beau désastre.

Le Printemps Arabe a bien commencé mais maintenant il recule. Quant à son impact sur la Palestine, on dirait qu’il est passé à côté d’elle. Il a eu un impact indirect sur Israël-Palestine à cause du nouveau rôle joué par l’Égypte et la Turquie : les États-Unis doivent en tenir compte dans toutes leurs décisions. Cela limite et contrôle les actions d’Israël. Concrètement, cela signifie qu’Israël ne pourrait pas refaire ce qu’il a fait en 2008-2009, à savoir l’Operation Cast Lead qui a consisté en un massacre intensif du peuple palestinien et la destruction de ses infrastructures civiles. La Turquie et l’Égypte ont tous les deux signifié à Washington qu’ils ne resteraient pas les bras croisés si Israël réitérait l’Operation Cast Lead. C’est pourquoi la dernière "opération" israélienne a été plus limitée et qu’au final ils n’ont pas réussi à l’emporter militairement et que dans les faits les Palestiniens, en l’occurrence les Gazaouis, ont empêché les Israéliens d’atteindre leurs objectifs. Mais pour ce qui est de mettre fin à l’occupation en mobilisant la population palestinienne pour des actions massives comme on l’a vu en Égypte, le Printemps Arabe est passé à côté. Il y a à cela plusieurs raisons : Il y a le fait que les Palestiniens sont découragés et désespérés et qu’ils ne croient plus qu’il soit possible de modifier ou d’améliorer leur situation ; il y a la répression sécuritaire qu’Israël a mis en place par l’intermédiaire de l’Autorité Palestinienne ; et ajouté à cela, il y a - et c’est sans doute le plus évident - le fait que les Palestiniens n’ont pas de direction unie et qu’il n’y a en fait personne qui dirige les Palestiniens.

KK : Quel rôle pensez-vous que les États-Unis d’après guerre ont joué dans la création de l’état hébreu ? Quels étaient à votre avis les motivations des décideurs étasuniens ?

NF : Il y a eu de nombreux ouvrages académiques sur la question. J’en ai lu beaucoup quand j’ai écrit mon livre Knowing Too Much dont j’ai consacré une bonne partie à essayer de détruire les illusions de mes lecteurs dans ce domaine.

D’une manière générale, le président Truman, à l’époque, recherchait le vote des Juifs. Il est avéré qu’il voulait que les Juifs le financent, de façon à gagner l’élection de 1948. Il avait donc de bonnes raisons de soutenir le Plan de Partage de la Palestine de 1947 et de reconnaître Israël en 1948. Mais surtout, il n’y avait pas d’intérêt étasunien significatif en jeu et c’est la raison pour laquelle il a pris ces initiatives. A l’époque les seuls intérêts significatifs des États-Unis au Moyen Orient étaient leurs investissements en Arabie Saoudite et dans l’industrie du pétrole saoudienne. Le dirigeant saoudien, le roi saoudien, avait dit aux États-Unis qu’il ne verrait pas d’inconvénient à ce qu’ils reconnaissent Israël ni à ce qu’ils soutiennent Israël, à condition que les États-Unis n’interviennent pas militairement si un conflit éclatait dans la région suite à la partition de la Palestine ou à la création d’Israël. Et c’est exactement ce que l’Administration étasunienne a fait : elle a soutenu le Plan de Partage, reconnu Israël et puis Truman à imposé tout de suite un embargo sur les armes à tous les pays du Moyen-Orient. Il a donc suivi à la lettre les termes de l’accord conclu avec l’Arabie Saoudite. En fait, à l’époque, George Marshall (le secrétaire d’État) et toutes les agences étasuniennes dans leur ensemble, pensaient que, si une guerre éclatait, ce serait les Arabes qui la gagneraient. C’était une erreur, mais ils le croyaient quand même. Mais cette croyance n’a pas empêché Truman d’imposer un embargo sur les armes et de déclarer qu’il n’enverrait pas de troupes là-bas.

Alors en fin de compte ce qui est arrivé c’est que, comme les intérêts vitaux des États-Unis n’étaient pas en jeu et que Truman en tirait un bénéfice électoral, il a soutenu le lobby sioniste dans la création d’un état juif ; mais aussitôt que cela est entré en contradiction avec les intérêts fondamentaux des États-Unis, il a cessé de le soutenir.

KK : Pensez-vous que Morsi et les Frères Musulmans vont soutenir davantage la Palestine que le régime égyptien précédent ?

NF : Je pense que le tableau sera contrasté. Le gouvernement égyptien actuel veut rester en bons termes avec les États-Unis ; il a besoin de "l’aide étrangère" étasunienne qui consiste principalement en des transferts militaires ; il a aussi besoin des prêts du FMI qui dépendent du bon vouloir des États-Unis. Et donc d’une manière générale les dirigeants égyptiens essayeront de garder de bonnes relations avec les États-Unis. Mais d’un autre côté, à cause de leur position idéologique et afin de garder le soutien populaire, il leur faudra adopter une ligne plus ferme en ce qui concerne Israël. Ils ne collaboreront donc pas comme Moubarak l’avait fait ; mais il y aura des limites significatives à ce qu’ils pourront faire pour la Palestine.

KK : Quel rôle pensez-vous que l’Égypte a joué dans la récente victoire du Hamas (suite à l’opération Pilier de Défense).

NF : Je pense que le rôle principal que l’Égypte et la Turquie ont joué a été de dire très tôt à Barack Obama qu’ils ne tolèreraient pas une réplique de l’Operation Cast Lead ni une invasion terrestre israélienne. Israël, empêché de semer la mort et la destruction tous azimut selon sa stratégie habituelle, ne pouvait donc pas gagner.

KK : Vous savez certainement qu’Israël menace de construire des nouvelles colonies en Cisjordanie, ce qui serait une catastrophe pour la cause palestinienne. Que peut-on faire pour empêcher cela ?

NF : Le problème est qu’on ne peut pas faire grand chose. Il faut que les Palestiniens prennent l’initiative. Il y a des gens qui essaient de faire obstacle à la puissance israélienne. Les Européens, au moins verbalement, font pression sur Israël de manière plus ferme. Les États-Unis font un peu pression ; peut-être que ça limitera l’expansion des colonies. Ce qui serait une bonne chose. Mais en fin de compte ce qu’il faut, c’est mettre un terme à l’occupation. Je crois que pour qu’une pression extérieure de quelque importante puisse s’exercer, il faudrait qu’un mouvement pacifique de masse se développe dans les Territoires Palestiniens Occupés et qu’il soit soutenu par un mouvement de solidarité comme le Mouvement de Solidarité Internationale. Je pense que c’est la combinaison des deux qui obligera Israël à se retirer de Palestine.

KK : Vous dites que Pilier de Défense a été une "défaite retentissante pour Israël". Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous pensez que c’est une défaite pour Israël et une victoire pour les Palestiniens.

NF : Il est facile de comprendre pourquoi c’est une défaite. Le but d’Israël était, comme il l’a dit lui même, de restaurer sa capacité de dissuasion : c’est à dire, de terroriser les Arabes en général et les Palestiniens en particulier. Quand tout a été fini, il était évident par la liesse qui régnait à Gaza et la mine déconfite des trois leader israéliens (Lieberman, Barak et Netanyahu) qui, pendant leur conférence de presse, faisaient penser à Huck Finn* assistant à ses propres funérailles, qu’ils n’avaient pas réussi à terroriser davantage les Palestiniens.

KK : Peut-on comparer les roquettes lancées par le Hamas sur Israël avec les armes qu’Israël a l’habitude d’utiliser contre Gaza ?

NF : On parle beaucoup des armes perfectionnées que le Hamas a utilisées. Je n’y crois pas un seul instant. La différence entre une roquette et un missile est que la roquette n’a pas de système de guidage tandis que le missile en a un. Quand une roquette est lancée, on connaît sa trajectoire et on peut la détruire. Mais on ne connaît pas la trajectoire d’un missile parce qu’il est guidé. En fait le Hamas a utilisé des roquettes très primitives -même pas des roquettes d’ailleurs, plutôt des pétards et des chandelles romaines. Les roquettes de courte portée que le Hamas a lancées n’ont pratiquement eu aucun impact et celles de longue portée qui ont atteint les secteurs de Tel Aviv et de Jérusalem ne comportaient pas d’explosifs. Enlever les explosifs était la seule manière de leur permettre d’aller aussi loin. Aussi, à peu de choses près, les armes que le Hamas a utilisées étaient les mêmes que celles qu’il avait pendant l’Operation Cast Lead.

KK : Vous vous êtes impliqué dans les efforts de désinvestissement**. Quelles autres méthodes recommandez-vous aux habitants des États-Unis pour mettre fin aux brutalités des Israéliens envers les Palestiniens ?

NF : Il n’y a pas de solution magique. Tout ce qu’on fait déjà -s’organiser, informer, boycotter, sanctionner - il faut continuer à le faire. Mais je pense que c’est aux Palestiniens qu’il revient de relever le véritable défi. Nous ne pouvons jouer qu’un rôle auxiliaire. Nous ne pouvons pas libérer les Palestiniens, ce qui de toutes façons ne serait pas une bonne chose. Si on libère quelqu’un, on en fait simplement la victime d’une autre force extérieure. Les gens doivent se libérer eux-mêmes parce que la libération ne se fait pas en un seul coup. Il faut faire preuve d’une vigilance éternelle. Autrement vous changez seulement de maître. Aussi le mieux que nous pouvons faire est de tenir le rôle d’auxiliaires.

* Ken Klippenstein vit à Madison, Wisconsin, où il tient le website de gauche : http://whiterosereader.org

Notes :

* Les aventures de Tom Sawyer, par Mark Twain.
** BDS : Boycott, Divestment, Sanctions

* Norman Gary Finkelstein est un analyste politique américain. Titulaire d’un doctorat en sciences politiques de l’Université de Princeton, il a ensuite enseigné au Brooklyn College, au Hunter College, à l’Université de New York puis à l’Université DePaul jusqu’en septembre 2007.
Son ouvrage le plus connu est : L’Industrie de l’Holocauste publié en 2000.

Lire également les articles de Norman Finkelstein :

- La tranquille détermination de Gaza - 2 mai 2010
- Les dessous du dernier bain de sang à Gaza : contrer une offensive de paix palestinienne - 18 janvier 2009
- Quelques faits à propos du Hamas et de l’attaque israélienne sur Gaza - 15 janvier 2009
- Tuez des Arabes, criez à l’antisémitisme ! - 12 janvier 2007

4 janvier 2012 - CounterPunch - Pour consulter l’original : http://www.counterpunch.org/2013/01...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet


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