16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Journal de guerre

lundi 10 décembre 2012 - 07h:12

Ahmed Ferwana

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Le présent article est le premier d’une série de témoignages qui décrivent dans le détail la vie à Gaza durant la dernière offensive israélienne, nommée Opération Pilier de Défense.

JPEG - 85.8 ko
Gaza, 15 novembre 2012 - Cortège funéraire d’Ahmad al-Jabari, commandant des Brigades Ezzedeene al-Qassam, l’aile armée du mouvement Hamas. Al-Jabari a été assassiné par les Israéliens, de façon à provoquer une réplique palestinienne devant ensuite servir de justificatif à une campagne de bombardements sur le territoire assiégé - Photo : Ashraf Amra/APA images

Le 14 novembre

Fin des cours en ce mercredi 14 novembre. Tout souriant malgré la fatigue, j’ai salué mes collègues et étudiants de l’école américaine de Gaza où j’enseigne la littérature et les langues en leur souhaitant de passer une bonne fin de semaine. Je suis alors sorti en direction de mon appartement qui se situe à Rue al-Shuhada, le plus beau quartier de la Bande de Gaza à mes yeux.

C’était une très belle journée, suivie par trois jours de repos (le jeudi étant férié), et j’avais prévu de me réunir avec quelques amis autour d’un barbecue.

Tout d’un coup, des bruits en provenance de la rue m’ont arraché de mes plans. J’étais intrigué par les cris forts des sirènes des ambulances et des camions de pompiers que je me suis dirigé vers la fenêtre où j’ai vu des journalistes sortir précipitamment d’un immeuble voisin. Inquiet, je me suis connecté sur des sites d’informations locales qui, en quelques minutes, ont élucidé le mystère.

L’information était sur toutes les ondes : ce mercredi 14 novembre, à 16h, les forces israéliennes ont assassiné Ahmed al-Jaabari, chef des Brigades Ezzeddine al-Qassam. Je voyais clairement venir la période de trouble et d’instabilité, et je n’avais rien d’autre à faire que d’allonger modestement mon corps paralysé sur le lit et, involontairement, je me suis effondré sur mon oreiller pour plonger ensuite dans un sommeil des plus pessimistes.

Je ne me serai pas réveillé s’il n’y avait pas eu le coup de fil de ma mère, quelques heures plus tard. Sa voix inquiète et anxieuse traduisait l’affolement d’une mère dont le fils est loin d’elle. Elle m’a supplié de quitter mon appartement de la ville de Gaza en direction du domicile familial de Rafah et ce, en prévision des rudes épreuves à venir.

J’ai tenté de la rassurer en lui disant que dès le lever du jour, je prendrai la route pour Rafah qui est, pour rappel, une ville à la frontière égyptienne, connue également pour ses centaines et centaines de tunnels qui seront sans l’ombre d’un doute la cible des avions de combat israéliens.

J’ai donc passé la nuit à planifier car je savais pertinemment que le trajet entre la ville de Gaza et Rafah ne serait certainement pas pavé de roses. En effet, aller à Rafah en cette période précise serait exactement comme celui qui, par innocence ou par naïveté, tente d’échapper à la mort sur une route ombragée d’une mort appelée « Pilier de Défense » ; la nouvelle offensive lancée par l’armée israélienne contre Gaza.

J’ai soudainement senti des changements me traverser ; une réflexion profonde, une planification stratégique, des jugements sages et une estimation du pourcentage de survie. Tout d’un coup, j’ai été transformé d’un individu ordinaire à la recherche d’une vie normale à un fervent survivant qui tente de résister à la guerre et de s’en sortir indemne.

Je dois quand même reconnaitre que mon appartement de la ville de Gaza est situé dans un quartier relativement sûr et moins ciblé par les frappes aériennes israéliennes. Néanmoins, j’étais hanté par le désir d’être en compagnie de ma famille dans notre maison sur la frontière égyptienne, et qui est à moins de 500 mètres des lourdes frappes aériennes israéliennes ciblant les tunnels.

Le lendemain, Gaza est devenue une ville fantôme et les rues étaient désertes. Fort heureusement, je suis tombé sur un chauffeur de taxi perplexe et angoissé qui accepta de me conduire jusqu’à chez moi. Il était 14h de la journée du 15 novembre.

Le 15 novembre

Triomphant ! Tel était mon sentiment en voyant les visages souriants des miens à mon arrivée. Oui, je me sentais victorieux en les voyant m’entourer et me demander si le chemin du retour était semé d’embûches. J’étais tout simplement triomphant lorsqu’on m’étreignit avec un torrent de remerciements et de louanges adressés à Dieu qui m’a apporté chez moi, sain et sauf.

Mais cette explosion de joie a malheureusement été interrompue par une forte explosion proche qui a bien secoué la maison pendant quelques secondes. Mes parents, mes quatre frères, mes deux sœurs, mes trois neveux et mes deux nièces se sont tus pour un moment. J’ai donc voulu briser ce silence et j’ai balancé : « Les Gazaouis ont du talent ! Même les maisons font la dance du ventre ! »

Ce fut un commentaire stupide, je reconnais, mais il a quand même réussi à dérider toute la famille et à redessiner le sourire sur les visages. Mes neveux et nièces, quant à eux, ont commencé à sauter et à rigoler lorsque je me suis mis à m’amuser avec eux.

Malgré cela, je dois avouer qu’à cet instant, je me suis senti impuissant, vaincu et par-dessus tout, moins victorieux.

En effet, comment pourrais-je encore me sentir triomphant alors que je connais, dans mon for intérieur, la puissance destructive de la guerre qui nous guette juste au coin ? Comment pourrais-je me sentir victorieux alors que la seule chose que je peux faire dans cette guerre est une collection de paroles rassurantes qui pourraient diminuer la terreur, l’inquiétude et l’abattement de ma famille ? Comment pourrais-je me sentir victorieux alors qu’en parallèle, je sais pertinemment que je suis incapable de me protéger de cette guerre, encore moins ma famille ? Enfin, de quelle victoire pourrais-je me réjouir si je sais que Gaza avance vers une flaque de sang tandis que le maître-nageur que je suis n’est qu’un spectateur aveugle ?

J’étais comme submergé par tout ce flot de questions qui m’ont entraînées dans un sentier où chagrin et affliction se mélangent. Rien ne pouvait m’extraire de là hormis le sourire indescriptible de l’un de mes neveux s’approchant de moi avec les bras grands ouverts, comme s’il me disait : « Je sais ce que tu subis ! Ne t’en fais pas, vas-y doucement et prends-moi dans tes bras ! »

Ce fut un geste qui révèle l’innocence d’un petit enfant en temps de guerre où le destin est désormais inconnu : le geste de mon neveu a incroyablement fait fondre mon cœur et m’a poussé à défier mes sentiments intérieurs. A ce moment précis, je me suis demandé « Que dois-je faire ? Fermer mon cœur sur eux pour les protéger en gardant un sourire intact, ou bien fermer les yeux et m’abandonner à ma tristesse et à mon désarroi qui me trahiront en larmes ? »

Plongé dans mes pensées, j’avais presque oublié que je serrais le garçon très fort au point où il se débattait pour se détacher de moi, et ce fut, là aussi, un geste pour m’avertir de son besoin de se libérer de mes idées confuses.

Quelle serait vraiment ma position ?

Dois-je me sentir comme un gazaoui inquiet qui doit se soucier de ses chers concitoyens à Gaza, de la guerre, du stress, de la destruction, de l’échange des missiles entre Israël et Gaza, des pertes matérielles, des nombres alarmants de morts, des civils innocents, des frappes aériennes et de toute cette folie ?

Ou bien, dois-je être le membre d’une famille tremblante qui doit faire face à une préoccupation majeure : la sécurité de ses membres ; une sécurité que je ne serai pas en mesure d’apporter sauf si je tente, tant bien que mal, de les aider à garder leur calme et à se sentir en sécurité ?

Toute cette confusion dans ma tête m’a replongé dans le climat instauré par l’offensive israélienne de décembre 2008 sur Gaza. L’Opération Plomb Durci a duré 22 jours et j’avoue que je suis un miraculé puisque j’ai échappé à la mort, j’ai survécu, ma famille a eu la vie sauve et par-dessus tout, j’ai beaucoup appris sur la façon d’agir pendant la guerre.

En effet, et bien que cette opération militaire ait occasionné des destructions incommensurables de plusieurs maisons, mosquées, familles, usines, fermes, écoles et hôpitaux de la Bande de Gaza, elle a servi de leçon pour les Gazaouis, devenus experts des périodes de guerre.

J’ai alors commencé à penser aux dégâts que je pourrais éviter. J’ai donc commencé par ouvrir toutes les fenêtres de la maison et laisser les portes entrouvertes car lors de la dernière guerre, ces mêmes fenêtres et portes se sont arrachées des murs en résultat de la forte pression des explosions provoquées par les frappes aériennes.

Ensuite, j’ai exhorté ma famille à s’éloigner de la partie de la maison qui donne sur la route principale afin d’éviter les balles et éclats d’obus volants. Après cela, j’ai fait en sorte de détourner la curiosité de mes frères et sœurs contraints d’évacuer la maison tout en essayant de regarder par les fenêtres pour voir ce qui se passe à l’extérieur.

Ces précautions, bien qu’elles soient peu solides tel un ballon fragile qui risque d’exploser à n’importe quel moment, elles ont été d’un réconfort aussi minime soit il pour ma famille qui a sauté sur ce soupçon de sentiment de sécurité.

Nous n’étions qu’au deuxième jour de l’attaque injuste sur Gaza et j’étais déjà psychologiquement prédisposé au choc et à la folie. Seul dans la nuit, agité et importuné par le bruit des drones de surveillance qui grouillaient dans le ciel noir, je me suis mis à suivre et à compter le nombre des frappes aériennes, des victimes parmi les civils et des enfants non armés et aussi le nombre des pertes chez les deux parties : Israël et Gaza.

Mais j’ai fini par constater que Gaza ne représentait que des chiffres pour les médias. Oui, les différentes chaînes de télévision, les sites internet, les articles, les reportages et les analyses évoquent les victimes de Gaza comme s’il s’agissait d’un nombre de « dommages collatéraux » dans une guerre qui leur a été imposée et dont ils n’auraient jamais voulu y être entraînés.

Qu’en est-il alors du « dommage collatéral » de chaque mort injustifiée ? Des parents qui ont perdu un enfant, des enfants qui ont perdu un parent, ou bien une famille entière qui vient de perdre son droit de vivre dans la dignité et dans la paix ?

C’était bel et bien un « dommage collatéral » pour les médias, pour la communauté internationale, pour le monde arabe et pour l’oppresseur contre l’opprimé. C’était un « complot moral inhumain » visant à déprécier la valeur de l’humanité ; la valeur d’être en mesure de représenter les Gazaouis comme ils les sont, c’est-à-dire des êtres humains et non des chiffres. Cette guerre injuste avait donc un « objectif bas et abject » qui aspire à déshumaniser et à incriminer les innocents de Gaza.

Et pour les gazaouis, comme pour moi d’ailleurs, c’était le chemin indésirable du doute. C’était le chemin avec des signes majeurs parsemés sur ses bords ; des signes à retenir qui permettraient au citoyen de Gaza d’errer dans un monde qui a justement permis et autorisé la chape de plomb médiatique, la tromperie, l’ignorance, l’injustice, l’humiliation, le déplacement, le génocide et la discrimination contre une groupe de personnes dont le seul tort était la quête de leurs droits les plus fondamentaux.

La tête saturée par des idées sans fin, j’ai finalement pensé à mettre fin à cette nuit épuisante. Avant de dormir, je suis allé jeter un coup d’œil sur les membres de famille, un par un. Je voulais en fait leur souhaiter bonne nuit en espérant les retrouver le lendemain, en vie. Ainsi s’achevait la journée du 15 avec une nuit dont la berceuse est chantée par les frappes aériennes israéliennes et le bruit non-stop du grouillement des drones de surveillance.

Le 16 novembre

Les échos des explosions de masse causées par les avions de guerre israéliens F-16 qui visaient Rafah étaient les signes d’une nouvelle journée d’atrocités. C’était le vendredi 16 novembre. Debout, mon seul souci était d’aller faire un petit tour bien prudent auprès de chaque membre de ma famille dans le but de consoler et réconforter mon âme angoissée qui espérait les voir sains et saufs.

Ensuite, j’ai fait le tour des chaînes d’informations et des sites web en analysant minutieusement la couverture de l’évènement avec l’espoir, même si j’en doutais fort, de voir la communauté internationale intervenir avec des décisions pour parvenir à une trêve, ou bien des décisions qui arrêteraient le terrible cauchemar d’une guerre sans merci.

Les doutes que j’avais ne m’ont pas empêchés d’être quand même déçu de voir l’annonce qu’a faite Israël à propos du renforcement de ses troupes sur la frontière de la Bande de Gaza ainsi que la triste hausse dans les pertes humaines. « Mais que signifie cette escalade ? Est-il possible qu’elle soit une préparation pour une guerre interminable ? Israël est-il en phase de préparer une invasion terrestre ? »

« Non, j’espère que non » me suis-je dit alors que je me sentais pris dans un tourbillon d’interminables questions terrifiantes.

Je ne suis pas analyste politique et je n’ai jamais souhaité m’y insérer. Néanmoins, en temps de guerre, mon subconscient fonctionne de façon telle que je ne peux ni le contrôler ni le comprendre. Et ce sont les désastres insupportables de la guerre qui catalysent le système qui n’a pour objectif que la survie. C’est pourquoi, j’ai choisi d’appeler ce système mental l’ « adaptation astucieuse » à l’actuel et brusque environnement de guerre.

Toutefois, une compréhension optimale des aspects et dimensions de la guerre s’avère essentielle pour le bon fonctionnement de ce système et pour l’anticipation des évènements à venir.

En effet, si les complexités liées à la guerre sont résolues, elles transforment un individu ordinaire en un expert militaire et un survivant de guerre.

Par exemple, mon expérience tirée de l’Opération Plomb Durci (et comme beaucoup de Gazaouis), et ma survie m’ont permis de reconnaître les différents types des avions de guerres par le bruit de leurs moteurs, si c’est un hélicoptère Apache, un avion chasseur de type F-16 ou bien un drone de surveillance.

Et ce n’est pas tout, il est également possible de savoir où la frappe aérienne a touché et la distance qui nous sépare d’elle grâce à l’écho de l’explosion ou alors la danse de ventre à laquelle s’adonne la maison, une secousse clairement sentie si on est à l’intérieur de la maison.

Et si vous êtes dehors, ces mesures peuvent être calculées en fonction des débris qui volent dans le ciel puis tombent, ainsi que le volume de la fumée que vous voyez.

Il reste la règle d’or à appliquer à la lettre. Si vous décidez de sortir de votre maison qui est soi-disant sécurisée et vous vous aventurez dehors, je vous préviens qu’il y a quand même de fortes chances de monter directement au ciel. Ceci étant, il est vrai qu’il existe des cas où les arracheurs d’âmes viennent frapper jusqu’à vos portes, mais la possibilité de les rencontrer dehors est nettement plus élevée. Cependant, un grand sourire sur le visage est vivement recommandé.

Ainsi va la vie à Gaza en temps de guerre : un mélange d’ironies que vous avez, la plupart du temps, de faibles chances à saisir.

Le 17 novembre

Seulement voilà, une explosion dont je n’ai jamais connu pareil bruit et puissance m’a éloignée de mon lit : il était 4heures du matin et j’étais là, en lévitation, stupéfait.

J’ai donc commencé la journée du 17 novembre avec cette lourde frappe aérienne. De retour dans ma chambre, j’ai allumé les lumières de la maison lorsque tout d’un coup, une nouvelle frappe aérienne joua un air de rock & roll qui a fait vibrer toute la maison et a bien semé la peur et la panique parmi les membres de ma famille. Les pauvres sont sortis à la hâte de leurs chambres.

J’ai conduit tout le monde vers ce que j’appelle la « chambre sécurisée » qui se trouve dans un coin de la maison, face à un immeuble voisin. C’est drôle, mais ce rassemblement imprévu est tout de suite devenu un moment où la famille se réunit à l’heure du thé. Nous étions donc assis ensemble à bavarder et à forcer un sourire rassurant comme s’il n’y avait pas dehors 18 frappes aériennes qui ont laissé tout le quartier sens dessus dessous.

Lorsque chacun des membres de ma famille est retourné dormir en dépit du tapage auquel s’adonnaient les drones israéliens, je me suis laissé emporter par mes pensées au-delà des frontières de Gaza, pour atterrir à la partie sud d’Israël : à Beersheva plus particulièrement.

En fait, j’ai deux amis qui habitent là-bas. La communauté internationale les identifie comme des Palestiniens ou Arabes d’Israël, tandis que les Arabes, ou les Palestiniens si j’ose dire, les appellent Palestiniens de 1948.

J’étais bien évidemment inquiet pour mes amis, quoique je ne pense pas que la guerre soit venue frapper à leurs portes. Aussi, je ne pouvais m’empêcher de penser aux civils israéliens et à la pression et aux difficultés communes qu’ils traversent.

En réalité, la situation se présente comme suit : d’une part, il y a le gouvernement israélien qui dispose d’une technologie de pointe avec laquelle elle mène des frappes aériennes chirurgicales et précises pour frapper ses cibles militaires à Gaza, et par la même occasion, pourquoi pas liquider une bonne partie de civils gazaouis, notamment des enfants, des femmes et des vieux.

D’autre part, il y a le Hamas. Bien qu’il ne dispose pas du quart de la puissance militaire d’Israël, encore moins ses chars, ses avions et ses navire de guerre, il riposte quand même pour se défendre en tirant des roquettes artisanales et primitives. Je dois juste souligner que les missiles du Hamas et les quelques pertes intolérables qu’ils causent à Israël, ne sont que des feux d’artifice comparés aux jeux explosifs des missiles israéliens.

Cependant, le tir de roquettes n’est-il pas la réponse à l’assassinat d’innocents civils gazaouis ? Ces représailles ne sont-elles pas une réaction normale à un siège économique anormal qui sévit depuis 2006 et qui a forcé et le Hamas et les quelques 2 millions de civils qui vivent dans toute la Bande de Gaza à mener la plus misérable et la plus injuste des vies ?

Sans vergogne, Israël prétend se défendre en tirant des missiles et en lançant des opérations militaires sur Gaza dans le but de neutraliser les « terroristes » de l’organisation terroriste du Hamas, ou quiconque qui tente ou ose défendre Gaza. D’ailleurs, celui qui pense à le faire n’est pas moins qu’un terroriste et ce n’est pas moi qui le dis, c’est le dictionnaire israélien.

Comment pourrais-je donc établir une comparaison sur cette rivalité féroce ? Comment pourrais-je contribuer à amorcer un accord à partir de tant de désaccords ?

La solution - bien qu’elle apparaisse comme un simple lien négociable de « cause à effet » pour parvenir en conséquent à instaurer la paix et l’harmonie dans la région - reste toutefois otage des guerres continues, dont l’actuelle qui est à son cinquième jour consécutif.

Comment alors oserais-je prononcer le mot « négociations » ? Comment oserais-je aborder le soi-disant « processus de paix » qui a été déféré par des guerres et des massacres sans merci depuis la Nakba des Palestiniens de 1948, et des Israéliens de 1967 ?

Comment oserais-je rêver de stabilité alors que mes yeux sont ouverts mais avec méfiance ? Comment oserais-je parler haut et fort en toute « neutralité » et prêcher pour le besoin de « coexistence » ?

Ce choix de sacrifice risquerait d’être négativement interprété comme un trait de naïveté ou de trahison, mais ma modeste interprétation serait sans doute un véritable appel à la paix, un appel à l’humanité.

Ceci étant, je ressens comme une mélancolie qui se glisse cruellement à travers les barreaux vulnérables derrière lesquels j’ai choisi d’enfermer mon cœur pour le protéger.

Le 18 novembe

J’avais, pour un moment, pensé jouir d’un peu de réconfort, et voilà que les griffes de l’incertitude viennent sauvagement le lacérer. L’injustice, mélangée avec une brutalité intransigeante et immuable font que l’inexorabilité et l’inhumanité de la guerre atteignent leurs apogées et s’invitent, sans avis préalable, chez la famille Al-Dalou, avec comme cadeau, des ordres de mort pour grands et petits.

Pour cette famille, le 18 novembre 2012 était la fin du monde, la fin des temps : l’apocalypse.

Et pour beaucoup d’autres, y compris pour moi, c’était le moment de se poser des questions sur les valeurs d’une vie inanimée.

Serrant le peu de confiance dans l’humanité étouffée qui m’habite, je me suis évanoui sans pour autant perdre connaissance, j’étais encore réveillé et je me suis envolé vers un ciel démoniaque avec des flèches libres d’une mort impitoyable et un soleil éclipsé par les ailes d’une sauvagerie que j’ai négligemment lancé.

Liberté opprimée, espoirs inefficaces, désirs inassouvis, rêves avortés, objectifs non atteints, cris et voix non entendus, sourires pâles, sentiers non encore exploités et par-dessus tout, pertes et âmes terrorisées sont tout ce que j’ai pu voir à l’intérieur du nuage qui ressemble à la prison ; c’était en fait un nuage Palestinien qui, pendant plus d’un demi siècle, attend que les vents du changement et de la justice s’indignent et soufflent.

Qui ose goûter à cette vie ? C’est quand même la vie des Gazaouis à Gaza ; autrement dit, la version contemporaine de « La Terre Vaine » (The Waste Land) du dramaturge T.S. Eliot, sauf que dans le cas de Gaza, le mois le plus cruel est novembre et non pas avril, et la peur n’est pas présentée en une « poignée de poussière » mais en une « poignée de frappes aériennes »

C’est la Terre Vaine de Gaza, perdue à travers les valeurs opposées de cette vie.

Le 19 novembre

La guerre entame son sixième jour, finalement, tout ce que j’ai pu faire jusqu’ici était de compter les jours et nuits qui se succédaient. Avec chaque minute qui passe, la situation à Gaza empirait et le sentiment de sécurité avec lequel je tentais de leurrer ma famille, et moi-même avec, commençait à s’amenuiser au fur et à mesure que la violence de la guerre s’enflammait.

La zone où se trouvent les tunnels est à moins d’un mile de chez moi. Elle a été lourdement frappée par des F-16. Le balcon de notre maison est devenu notre oeil sur la terreur. Chaque explosion nous faisait courir vers la fenêtre pour connaître la distance qui nous sépare de ces « Piliers de Fumée. »

J’ai ensuite reçu des nouvelles pas du tout rassurantes, je dirai même choquantes. L’école américaine de Gaza où j’enseigne a été partiellement endommagée par un raid israélien sur un commissariat voisin. Durant la guerre de 22 jours de 2008-2009, l’école a été complètement détruite par un puissant bombardement car Israël prétendait avoir ciblé des factions militaires qui utilisaient l’établissement pour lancer leurs roquettes. Depuis, l’école a eu du mal à remplir sa mission pédagogique. Elle n’a pas été reconstruite à cause du blocus sur Gaza et la difficulté de faire entrer les matériaux de construction à la Bande.

Pour parer à ces difficultés et reprendre les activités de l’école, l’administration a décidé de louer trois bâtiments pendant quatre années. Cette guerre est donc venue parachever ce qu’elle a commencé, et interrompre à nouveau les missions d’une école qui n’a pas échappé à la puissance destructive de la machine de guerre.

Les bâtiments de l’école viennent s’ajouter aux nombreuses constructions déjà ciblées et détruites dans la Bande de Gaza, sans oublier malheureusement le nombre de victimes qui ne cesse d’augmenter du fait des meurtres inconsidérés des civils et des enfants. Une fois de plus, je ne peux que bourrer mes veines avec une autre overdose de chagrin qui s’ajoutera aux peines ancrées dans mon cœur avant de contacter mes étudiants et tenter d’alléger leur désespoir.

Tels sont, malheureusement, les géants des guerres à travers les quatre coins du monde : des assoiffés de destruction et de sang au détriment des vies et des souffrances des innocents.

Le 20 novembre

Aux premières heures de la journée du 20 novembre, une alarme peu commune est venue me réveiller. Il s’agit de bombardements lourds et intensifs des régions abritant les tunnels. Une autre vague de peur irrépressible chez les miens, et de nouvelles tactiques stratégiques et rapides traversèrent mon esprit.

Le bruit des explosions était assourdissant et la maison s’est pliée à la volonté des frappes foudroyantes des F-16. Les vibrations de cette fois ont été plus terrifiantes et plus menaçantes que jamais. Cette fois-ci, ce sont les yeux de tous les présents dans la maison qui s’écarquillaient du fait de la montée tremblante d’adrénaline.

Le choc haletant a vite pris le dessus sur le faible espoir et instinct de survie. Une éruption spontanée du volcan de questions a perturbé la tranquillité de mon esprit : « Est-ce le début d’une incursion terrestre ? Est-ce le début d’une vague de terreur à travers tout le pays ? Notre maison sera-t-elle la prochaine cible ? Si ce n’est pas le cas, continuera-t-elle de nous protéger ? »

J’avais terriblement besoin de réponses pour résoudre cette équation de vie et de mort.

La seule réponse serait l’idée majestueuse d’aller jeter un coup d’œil sur ce qui se passe dehors à travers la fenêtre car cette envie s’avère l’inhalateur doseur capable d’apaiser cette terreur qui coupe le souffle.

La vue qu’offre la fenêtre démontre qu’il s’agissait juste d’une escalade « régulière » des frappes aériennes. J’ai donc regagné ma chambre pour poursuivre mon enquête habituelle à travers les sites web qui traitent de la situation d’aujourd’hui et du destin de demain.

Bonne nouvelle ! Des rumeurs sur un cessez-le-feu occupent tous les médias, malgré la poursuite des frappes aériennes, des bombardements et des assassinats de civils à travers toute la Bande de Gaza.

Le 21 novembre

Optimiste, je suis resté éveillé toute la nuit à attendre qu’on puisse trouver parmi la meule de foin cette aiguille perdue ô combien importante pour parvenir à une trêve.

J’attendais encore lorsqu’un terrible incident survint. C’est un incident qui sera probablement un point tournant dans cette guerre fataliste.

C’est la journée du 21 novembre. Un bus a été bombardé au cœur même de Tel Aviv en début d’après-midi. J’ai senti comme un engourdissement en moi et tout autour de moi. Immobile, je me suis allongé sur mon lit, les yeux fixés au plafond et la tête en train de penser aux conséquences d’un tel acte au cœur d’Israël.

Plus je réfléchissais, plus je sombrais dans les feux d’une guerre incendiaire. Il était très probable que l’opération militaire israélienne « Pilier de Défense » se transforme en « Pilier sur le Terrain »

Le pire allait se produire ; une guerre inimaginable de par sa cruauté et indescriptible de par sa brutalité.

A ce moment là, la patience et l’optimisme ont eu raison de moi ; ma tête, à force de penser, a complètement été oblitérée par un missile nommé fatigue, du coup, le sommeil était bien plus sage que penser à l’impensable.

A ce moment précis, je me suis abandonné à un sommeil indifférent ne cherchant plus à savoir ce qui va se passer car j’avais perdu toute force de vouloir survivre à cette guerre qui détruit les neurones.

Plus tard, je me suis réveillé stupéfait de mon sommeil paisible. Mine de rien, j’ai dormi 10 heures continues, 10 heures de sommeil dans un coin du paradis. Malgré cela, je suis quand même resté fidèle à l’habitude que j’ai développée pendant la guerre : une tournée à travers les sites web pour faire le tour des mises à jour de cette horrible guerre.

Tout était fini.

Oui. La majorité des chaînes d’information et des sites web titraient et annonçaient l’entrée en vigueur de la trêve à 21h.

Il n’y aura plus de tueries, ni de terreur, ni de souffrance, ni de deuil ni d’attente d’une mort inévitable.

Le cauchemar tire finalement vers sa fin, mais il laisse derrière lui un lourd tribut : 170 morts et 1222 blessés parmi la population de Gaza ; la plupart d’entre eux étant des enfants, des mères, des futures épouses et des personnes âgées que la guerre a emporté ce que le temps a laissé.

J’étais en effet très heureux que la hache de guerre soit enfin enterrée, quoique terrifié de penser et repenser à sa folie insupportable et désastreuse. Oui, je suis terrifié des temps à venir, terrifié de la folle revanche des belligérants ainsi que les conséquences menaçantes de cette guerre.

JPEG - 3.6 ko

* Ahmed Ferwana est âgé de 26 ans et est professeur de langues et de littérature à l’école américaine de Gaza.

27 novembre 2012 – Ma’an News – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.maannews.net/eng/ViewDet...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.