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Reconnaître la Nakba,
parvenir à la paix

dimanche 20 mai 2012 - 06h:40

Hanan Ashrawi - Ha’aretz

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La paix est une étape de la guérison qui doit reposer sur la vérité, la justice, la transparence et l’égalité. Il n’y a pas d’autre clé.

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Al-Nakba, l’histoire indéniable d’une perte, d’une dépossession et d’une grande injustice historique qui ont visé ce qui est le caractère le plus précieux de tout peuple : son identité.




Mai est le mois le plus cruel, malgré qu’il promette le printemps. Il porte avec lui les souvenirs amers d’une perte et d’une injustice qui durent pour une nation, ma nation. Chaque année, les Palestiniens marquent Al-Nakba, la Catastrophe, de 1948, pour rappeler comment notre société pleine de vie a été physiquement et politiquement écrasée par la violence et forcée à l’expulsion.

Ce n’était pas une catastrophe naturelle. En effet, nous étions certains qu’il s’agissait là d’un plan détaillé pour une destruction méthodique qui s’exécutait avec une froide efficacité. Cela a été la plus grande agression et la plus grande menace que le patrimoine palestinien n’a jamais eu à subir, et le début d’un effort délibéré pour effacer l’histoire palestinienne.

Pour beaucoup d’Israéliens, reconnaître ce qui s’est passé en 1948 est un processus douloureux. Le slogan « Votre indépendance est notre Nakba », exposé dans de nombreuses villes palestiniennes, est en effet correct. De nombreux historiens israéliens ont fait des recherches et écrit sur cette période sombre, démontrant que la Palestine était une terre avec une société pleine de vie et une culture riche. Ces historiens courageux ont mis fin à des décennies de dénis de la société et de la souffrance palestiniennes.

En 1948, la Palestine était l’une des sociétés arabes les plus évoluées, bénéficiant de l’une des économies les plus saines sous le Mandat britannique et d’un taux de scolarisation élevé, juste derrière le Liban. Le commerce, les arts, la littérature, la musique, et les autres aspects culturels de la vie étaient florissants en Palestine.

Rappelons-nous, entre 1911 et 1948, la Palestine ne comptait pas moins de 161 journaux, magazines et autres publications régulières, dont le journal d’avant-garde Falastin, publié à Jaffa par Issa al-Issa.

Les dizaines de librairies du pays vendant des centaines de livres d’auteurs palestiniens et étrangers avaient du mal à faire face à la demande. Des livres comme La Femme arabe et le problème Palestine (1937) de Matiel Moghannam, dirigeante féministe, et Le Réveil arabe (1938) de George Antonious, étaient très populaires en Palestine, en Angleterre, aux États-Unis et au-delà.

La Palestine a eu un mouvement féministe fort dès les années 1920. Les femmes excellaient dans de nombreux domaines, notamment dans l’enseignement, le journalisme et le militantisme politique. Ces militantes furent parmi les premières à faire pression pour l’autodétermination palestinienne au début du Mandat britannique.

Le dévouement palestinien pour l’enseignement est profondément ancré dans notre culture. En 1914, il y avait 379 écoles privées en Palestine, dont la première école de filles du pays, Al Moscobiye, à Beit Jala, fondée à ce titre en 1858, et la Friends School, fondée par les Quakers en 1869, qui continuent d’être parmi les établissements scolaires les plus en pointe de Palestine.

Dans le domaine des arts, de la musique et du théâtre, la créativité palestinienne ne connaissait pas de limite, inspirant les artistes de toute la région. Des compositeurs comme Yehya Al-Lababidi ont coopéré avec des chanteurs arabes célèbres de l’époque, tel Farid Al-Atrach. D’autres chanteurs, comme les légendaires Um Khalthoum et Mohamad Abdel Wahab chantaient régulièrement pour le public palestinien à Haïfa, Jaffa et Jérusalem. Nos salles de cinéma, de Gaza à Akka, présentaient les derniers films du moment.

Al-Nakba représente un bouleversement brutal et non naturel de ces réalisations, et a marqué le début d’une culture de l’exil et de la dépossession. Expulsés par la force de leurs foyers, les Palestiniens ont perdu leurs biens, leur histoire personnelle, et leurs actifs culturels.

Cela comprend des milliers et des milliers de livres. Rien qu’à Jérusalem-Ouest, 30 000 livres ont été « ramassés » dans les maisons palestiniennes, de même qu’environ 50 000 autres livres dans les maisons de Jaffa, Haïfa, Tibériade et Nazareth. Khalil Sakakini est l’une de ces personnes à avoir perdu la totalité de sa bibliothèque. Un certain nombre de ses livres se retrouvent aujourd’hui dans la Librairie nationale d’Israël, avec la mention « AP », ce qui veut dire « Bien abandonné ».

Al-Nakba n’est donc pas seulement, par conséquent, une date historique à commémorer. Elle est la mémoire collective des Palestiniens, la mémoire qui façonne leur identité en tant que peuple. Al-Nakba n’est pas un lointain souvenir mais une réalité douloureuse qui continue de s’envenimer, alors que les droits des réfugiés sont toujours déniés et que les droits inaliénables de notre nation sont toujours bafoués.

Il est temps de reconnaître qu’Al-Nakba est aussi réelle pour les Palestiniens qu’elle doit l’être pour les Israéliens. C’est l’histoire indéniable d’une perte, d’une dépossession et d’une grande injustice historique qui ont visé ce qui est le caractère le plus précieux de tout peuple : son identité.

Mais Al-Nakba pour les Palestiniens n’est pas tant une question de défaite. Arracher au peuple palestinien ses symboles nationaux et culturels, et freiner la croissance de la vie culturelle palestinienne, ont été sans aucun doute un crime impitoyable. Mais notre peuple a persévéré, reconstruit encore et encore son patrimoine d’excellence culturelle et éducative.

Il y a eu de nombreux autres défis et revers depuis Al-Nakba, en particulier l’occupation militaire commencée en 1967 et sa politique répressive ciblant la culture et l’enseignement. Mais les Palestiniens continuent d’aller de l’avant, restant attachés à leurs fières traditions d’excellence et en créant de nouvelles.

Pour que la paix prévale, pour que deux États vivent côte à côte, pour qu’un avenir de sécurité et de prospérité voie le jour dans la région, Israël ne doit pas craindre de reconnaître Al-Nakba et de tirer les leçons de son histoire. Israël doit reconnaître sa responsabilité historique dans le déclenchement et la mise en ?uvre de l’Al-Nakba car ni le déni, ni la déformation ne peuvent servir la cause de la paix.

Une vraie reconnaissance est une condition sine qua non au processus de rédemption historique. La paix est une étape de la guérison qui doit reposer sur la vérité, la justice, la transparence et l’égalité. Il n’y a pas d’autre clé. En reconnaissant notre récit et notre souffrance historiques, Israël s’embarquera dans un réel voyage pour une paix juste et globale.




Dr. Hanan Ashrawi est membre du Comité exécutif de l’OLP (Organisation pour la libération de la Palestine) dont elle dirige le département Culture et Information. (Sur Wikipédia)

15 mai 2012 - Ha’aretz - traduction : Info-Palestine.net/JPP


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