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Egypte-Israël : Vers une paix glaciale avec Israël

mercredi 2 mai 2012 - 11h:28

Hicham Mourad - Al-Ahram/Hebdo

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Une fois de plus, les rapports égypto-israéliens sont mis à dure épreuve. L’annulation par Le Caire, la semaine dernière, du contrat gazier qui lie les deux pays depuis juin 2005, en est la dernière preuve.

Les gouvernements des deux pays ont eu beau minimiser le différend, le réduisant à un simple litige « commercial » entre sociétés privées, sans connotation politique et sans incidence directe sur le traité de paix égypto-israélien de 1979. Mais des responsables israéliens ont, par la suite, exprimé leurs inquiétudes quant à la portée politique de la décision égyptienne.

Depuis la chute du régime de Hosni Moubarak, les relations entre l’Egypte et Israël ont connu une dégradation constante, sous la pression de la rue et des nouvelles forces politiques post-révolution. Un premier incident a eu lieu en septembre 2011 lorsqu’une foule en colère a mis à sac l’ambassade d’Israël en plein c ?ur du Caire, à la suite du meurtre par l’armée israélienne en août 2011 de 5 soldats égyptiens au Sinaï. Depuis, la représentation diplomatique israélienne garde une présence symbolique, le personnel diplomatique et administratif de l’ambassade ayant été réduit au strict minimum alors que l’ambassadeur était obligé de travailler depuis sa résidence dans la banlieue de Maadi. L’ambassade cherche depuis un nouveau siège dans une banlieue éloignée du Caire, en vain.

L’abrogation du contrat gazier n’est, quant à elle, que le résultat indirect de 14 sabotages du gazoduc qui traverse la péninsule du Sinaï vers Israël, depuis février 2011. Ces sabotages répétitifs ont pratiquement fait cesser les livraisons égyptiennes de gaz naturel à Israël, à l’origine du litige commercial avec Tel-Aviv. Celui-ci s’en est plaint auprès des autorités égyptiennes qui ont invoqué le cas de force majeure (la révolution et la conséquente instabilité sécuritaire) pour justifier leur incapacité de reprendre régulièrement les livraisons de gaz naturel. Le consortium importateur, East Mediterranean Gas (EMG), a alors menacé de recourir à l’arbitrage international pour le dommage subi. La holding gouvernementale égyptienne EGAS, fournisseuse du gaz naturel, a, de son côté, demandé de renégocier le prix du gaz, ce qu’a refusé EMG. Le prix du gaz exporté à Israël a été fixé, pour des considérations politiques, à un prix bien inférieur aux cours mondiaux. Ce prix était de moitié inférieur au coût d’extraction et de transport du gaz à Israël. En outre, le gouvernement égyptien a exonéré la société EMG de payer des taxes pendant 3 ans, de 2005 à 2008.

Ces carences dans le contrat étaient la principale raison de la colère populaire contre l’exportation du gaz à Israël. Le manque à gagner, pour un pays pauvre comme l’Egypte, était couplé d’une affaire de corruption qui a essentiellement profité à Hussein Salem, un ami et confident de l’ancien président Moubarak. Bref, l’accord gazier était largement impopulaire et soulevait déjà les protestations de l’opposition du temps de Moubarak. Malgré cela, Le Caire a accepté en 2010 d’augmenter le volume des exportations à Israël de 1,7 milliard de m3 par an à 2,9 milliards pour une durée de 20 ans et au même prix bas.

Après la chute de l’ancien régime, les gouvernements successifs, et surtout le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA), au pouvoir, n’avaient aucun intérêt à garder en vie ce contrat, vu les critiques acerbes qui lui sont adressées. Mais dans le climat d’instabilité post-révolution, ces acteurs avaient d’autres chats à fouetter et le contrat gazier ne faisait pas partie de leurs priorités. Toutefois, les autorités préparaient patiemment leur coup, sous la pression de la rue. Les sabotages répétitifs, qui ont provoqué des non-paiements israéliens, leur ont donné l’outil nécessaire pour résilier le contrat. La holding gouvernementale EGAS avait, après les menaces israéliennes de recourir à l’arbitrage international, loué les services d’un cabinet d’avocat de renommée mondiale qui lui a assuré de la solidité de sa position en cas de résiliation du contrat pour non-respect par la partie israélienne de ses engagements. L’annulation du contrat, malgré les dénégations officielles égyptiennes, ne peut dans ces conditions être dissociée des considérations politiques. Le CSFA, en proie à des attaques en tous genres venant de la classe politique et d’une partie de la population, notamment pour sa gestion de la période de transition, avait besoin de redorer son blason. Le litige gazier avec Israël ne pouvait tomber mieux. L’abrogation du contrat a été chaleureusement accueillie par la population et l’ensemble de la classe politique.

Mais indépendamment des intérêts particuliers du CSFA, le nouveau contexte politique post-révolutionnaire est de nature à rendre les rapports égypto-israéliens plus tendus, pour des raisons de solidarité avec les droits légitimes du peuple palestinien, mais aussi de rivalité entre les deux puissances régionales. Les incidents entre les deux pays, telle l’attaque contre l’ambassade israélienne et l’annulation du contrat gazier, sont donc appelés à se poursuivre au gré des développements, marquant de nouvelles règles du jeu et un nouveau point d’équilibre dans les relations bilatérales. Les responsables israéliens ne s’y sont pas trompés. Leurs positions affichées, parfois exagérément alarmistes, pour pousser l’allié américain à intervenir auprès de l’Egypte, marquent cette nouvelle prise de conscience. Il n’était d’ailleurs pas surprenant qu’Israël commence au printemps dernier la construction d’une barrière de sécurité le long des 240 km de la frontière commune et que l’armée israélienne renforce sa présence dans la région sud. Autrefois l’une des zones les plus sûres d’Israël, cette dernière fait l’objet aujourd’hui d’alertes régulières. En outre, les vacanciers israéliens, qui avaient l’habitude de fréquenter, sans avoir besoin de visa d’entrée, les stations balnéaires du Sud-Sinaï, ont aujourd’hui presque déserté la péninsule égyptienne.

Depuis la chute de Moubarak, la coopération entre l’Egypte et Israël se limite presque au volet sécuritaire lié principalement à la situation au Sinaï. Cette région frontalière du sud d’Israël souffre depuis la révolution d’un vide sécuritaire qui profite aux activistes fondamentalistes et aux trafiquants en tous genres avec la bande de Gaza. Malgré la détérioration des rapports bilatéraux, aucun parti politique post-révolution, ni candidat à la présidentielle n’a remis en cause le traité de paix avec Israël, y compris le Parti Liberté et Justice (PLJ), bras politique des Frères musulmans, principale force dans l’Egypte de l’après-Moubarak, qui souhaite cependant revoir les termes de l’accord, en vue d’équilibre dans les engagements des deux parties. Il s’agit notamment des dispositions concernant la démilitarisation partielle du Sinaï et l’exonération de visa dont bénéficient les Israéliens voulant se rendre au Sinaï. Tous les partis politiques et les candidats aux présidentielles reconnaissent l’intérêt à préserver un traité qui a recouvré le Sinaï et maintenu la paix avec Israël depuis plus de trois décennies. Aucun d’entre eux ne souhaite revenir à un état de guerre avec Israël, leurs préoccupations majeures dans l’ère post-révolution étant le redressement économique et la reconstruction politique de l’Egypte, chacun selon sa propre vision. Les Egyptiens sont donc unanimes à préserver le traité, mais la « paix froide » qui en a découlé sous Moubarak sera sûrement dans la période à venir encore plus froide, voire glaciale.

Hicham Mourad


Voir aussi :

- Le Sinaï et la Palestine font l’unanimité - Chaïmaa Abdel-Hamid - Al-Ahram/Hebdo
- Nouvelle donne - Samar Al-Gamal - Al-Ahram/Hebdo

et les autres articles du Dossier d’Al-Ahram/Hebdo :

- Unis sur deux fronts - Chérine Abdel-Azim

L’accord de Camp David et l’exportation de gaz à Israël sont deux sujets sensibles pour les Egyptiens, qui, pour une fois, rassemblent les candidats à la présidentielle malgré les différences idéologiques.

- Le mutisme de Tel-Aviv - Aliaa Al-Korachi

Soutenir publiquement un candidat est problématique pour Israël. Car celui qui possède les faveurs de l’Etat hébreu sera en Egypte la cible de critiques virulentes.

- « Le principal souci des candidats est de ne pas soulever un conflit avec Israël » - May Al-Maghrabi

Emad Gad, député et chercheur spécialiste des affaires israéliennes, fait le point sur l’avenir des relations égypto-israéliennes. Il estime qu’il n’y aura que des changements mesurés.

Al-Ahram/Hebdo - Semaine du 2 au 8 mai 2012, numéro 920 - Opinion


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