Abbas ne supporte pas la critique et impose le blocage de sites Web
mercredi 25 avril 2012 - 10h:26
George Hale - Ma’an news
L’Autorité palestinienne a discrètement demandé aux fournisseurs d’accès Internet de bloquer l’accès aux sites d’informations dont les propos sont critiques envers le président Mahmoud Abbas, selon de hauts responsables gouvernementaux et des données analysées par les experts en sécurité réseau.
Jusqu’à huit organes de la presse électronique ont été rendus indisponibles pour les utilisateurs d’Internet en Cisjordanie, après que les techniciens de la Société palestinienne de télécommunications, ou PalTel, aient optimisé un logiciel open source appelé Squid pour renvoyer des pages d’erreur aux internautes, indique une analyse technique détaillée. Plusieurs petites entreprises utilisent une configuration similaire.
La décision prise cette année d’initier un blocage de sites Web constitue une extension majeure des pouvoirs discrétionnaires de l’autorité de Ramallah. Les experts disent que c’est le plus important tournant vers la censure sur Internet dans l’histoire de l’Autorité palestinienne. Mis à part un incident en 2008, les Palestiniens ont généralement été libres de lire ce qu’ils voulaient.
« C’est sans précédent pour eux », dit Jillian York, directeur de la liberté d’expression internationale à l’Electronic Frontier Foundation, une organisation américaine de défense des droits numériques. « Ceci est troublant parce qu’ils avaient jusqu’à présent fait un assez bon travail pour garder l’Internet ouvert. »
Les sites touchés sont Amad, Fatah Voice, Firas Press, In Light Press, Karama Press, Kofia Press, Milad News et Palestine Beituna. Avec leur intérêt pour les questions internes du Fatah, aucun ne figure parmi les sites les plus populaires en Palestine. Mais ils publient tous des informations quotidiennes.
Beaucoup de sites sont réputés comme fidèles à Mohammed Dahlan, un leader du Fatah et ancien porte-parole d’Abbas. La querelle entre Dahlan et Abbas a pris une nouvelle dimension l’été dernier, quand le Fatah a cherché à expulser l’ancien homme fort, et les forces de sécurité ont fouillé sa maison. Depuis juin 2011, l’Autorité palestinienne s’est plainte de son incapacité à bloquer les médias réputés pro-Dahlan basés à l’étranger, a rapporté à l’époque le journal al-Hayat. Quatre de ces sites Internet sont actuellement bloqués.
Plusieurs responsables palestiniens ont exprimé des réserves au sujet de la décision de l’Autorité palestinienne, la qualifiant d’embarrassante et de contre-productive. L’un d’eux, un membre du cabinet de Salam Fayyad, a accepté de prendre la parole sur ce dossier. D’autres responsables qui ont parlé à Ma’an dans les dernières semaines n’ont pas été autorisés par l’Autorité palestinienne ou par PalTel à discuter soit la décision de blocage soit de la technologie utilisée pour la faire appliquer.
Des officiels disent que l’ordre venait de Ahmad al-Moughni, le procureur général palestinien. Il a été dit qu’il a communiqué lui-même la décision de blocage à la direction d’au moins un des fournisseurs d’accès. Al-Moughni a rejeté ces accusations et a refusé de répondre aux questions de Ma’an.
« Je ne suis pas le tribunal, » a-t-il déclaré mardi sans plus de précisions.
Selon un responsable palestinien de premier niveau, le procureur général a agi sur les instructions du plus haut rang dans l’Autorité de Ramallah - c’est-à-dire à partir du bureau du président ou du chef des services de renseignement. Pourtant, il n’y a aucune indication qu’un juge ait approuvé un élément du programme de censure, ce qui suggère qu’al-Moughni a publié le décret en vertu de sa propre autorité, a dit l’officiel.
D’autres responsables palestiniens ont plus directement pointé du doigt al-Moughni.
« Le procureur général est responsable, » a déclaré à Ma’an le ministre de la Communication, Mashour Abou Daka. Il a dit que al-Moughni a soumis l’ordre à PalTel malgré le fait qu’il puisse être illégal. Il n’existe aucune loi palestinienne qui permette la censure du Web et le procureur général le sait, accuse Abou Daka.
« Il a fait ses propres lois pour justifier ce qui était sa seule décision », a déclaré le ministre. « Le blocage de sites Web est contre l’intérêt public. Je m’y oppose, sans exception aucune. »
« Je ne veux pas aller en prison »
Le procureur général fait déjà face à la critique des journalistes et des groupes de défense des droits de l’homme, pour avoir ordonné l’arrestation en mars d’un journaliste accusé de diffamation envers le ministre des Affaires étrangères. Il a également signé un mandat d’arrêt à l’encontre de deux blogueurs, pour avoir critiqué Abbas sur Facebook. Les journalistes palestiniens ont organisé un certain nombre de manifestations de protestation contre la répression.
En revanche, le blocage est passé largement inaperçu. Mada, un groupe défendant la liberté de la presse, a soulevé la question des sites Milad News et Amad, tandis que blogueur américain Challah Hu Akbar a publié de nombreux articles, mais beaucoup de Palestiniens continuent d’ignorer que l’Internet est censuré. Ceci est en partie dû au fait que les fournisseurs n’ont pas reconnu leur responsabilité, et que les abonnés n’ont pas été informés que certains sites Web sont inaccessibles.
Même dans les entreprises privées d’Internet, les employés craignent de perdre leur emploi ou pire encore s’ils contestent ce qui est fait. « Désolé, mais je ne veux pas aller en prison », a déclaré un technicien de PalTel lorsqu’on lui a demandé une liste des sites Web censurés.
Les représentants de PalTel ont refusé de répondre à des questions fondamentales comme : quand ont-ils reçu l’ordre ? ou qui l’a signé. Mais des tests soutenus montrent que son fournisseur d’accès Internet Hadara a bloqué jusqu’à huit sites simultanément. Un porte-parole de PalTel a déclaré dans un courriel que « nous mettons en ?uvre les décisions du gouvernement et nous ne nous impliquont pas dans les décisions qu’ils prennent aussi longtemps qu’elles sont soutenues par les lois en vigueur. »
Les tests ont été effectués durant plus de quatre semaines par Ma’an et le Open Observatory of Network Interference, un nouveau projet mis en place par des experts de la sécurité Web, Filasto Arturo et Jacob Appelbaum, pour suivre les actes de censure dans le monde entier. Utilisant d’un outil qui est appelé une sonde OONI, ils ont scanné 1,1 millions de sites Web sur un type spécifique de blocage.
« La technique utilisée pour restreindre l’accès est un proxy HTTP transparent [à l’utilisateur] », a déclaré Filasto, ce qui signifie qu’une entreprise intercepte une demande de communication pour atteindre des sites bloqués, et retourne une page différente. Un test de connexion à partir de Bethléem a prouvé que Hadara bloque l’accès aux huit sites, tandis que d’autres fournisseurs en bloquent de quatre à six. Quelques-uns des sites sont également bloqués à Gaza, disent des internautes.
La méthode employée par Hadara est relativement simple, explique Filasto. Les experts qui ont analysé les données disent que la société a configuré un logiciel open-source appelée Squid pour détecter les tentatives d’accès vers les sites bloqués, et rediriger des pages différentes vers les utilisateurs. Squid a été initialement développé avec le financement de deux agences gouvernementales américaines, mais ni l’une ni l’autre n’ont le moindre contrôle sur sa distribution aujourd’hui. La Syrie et le Liban l’utilisent également pour le blocage sur le Web, selon les experts.
Le début de l’utilisation de Squid en Cisjordanie indique que l’Autorité palestinienne est peut-être plus déterminée que jamais à censurer l’Internet, mais sans être pour autant disposée à dépenser beaucoup de temps ou d’argent pour cela, toujours selon les experts. Le logiciel est gratuit et facile à modifier pour mettre en ?uvre la censure.
« C’est une approche assez commune », explique Danny O’Brien, directeur à l’Internet Committee to Protect Journalists, un groupe américain défendant la liberté de la presse. « Ordonner aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) de bloquer quelques sites peut être tellement tentant, et c’est généralement la manière dont débute un programme gouvernemental de censure du Web, » déclare O’Brien.
« Le gros problème, c’est que personne ne peut facilement mettre la main sur la liste [des sites interdits]. Lorsque vous ne pouvez pas avoir accès à cette liste, il n’y a aucun compte qui est rendu au public. »
Le moment choisi pour cette initiative peut également mettre dans l’embarras les bailleurs de fonds de l’Autorité palestinienne aux Etats-Unis et dans l’Union européenne, qui tous deux envisagent une législation pour lutter contre l’exportation de technologies occidentales utilisées pour censurer le discours politique au Moyen-Orient [par contre ces outils ne posent aucun problème quand il s’agit de censurer ou d’espionner le Web dans le monde occidental - NdT].
23 avril 2012 - Ma’an news - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.net