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Afrique du Sud/Territoire palestinien : des similitudes, mais pas les mêmes réactions

mardi 28 février 2012 - 06h:56

John Dugard - Bitterlemons

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John Dugard est professeur de droit international, auteur d’une étude complète sur la loi de l’apartheid. Il a été pendant sept ans le rapporteur spécial du Conseil des Droits de l’homme des Nations-Unies sur la situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé.

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Bantoustans noirs en Afrique du Sud ; bantoustans palestiniens en Cisjordanie occupée.
(cartes sur Mondoweiss - Philip Munger)



Entretien du 23 février 2012 - Bitterlemons avec John Dugard

Bi : Vous avez écrit récemment que s’il existe des différences entre les pratiques d’Israël et celles de l’Afrique du Sud de l’apartheid (à savoir que les Sud-Africains noirs étaient des citoyens), il existe aussi des similitudes dans les domaines de la discrimination, de la répression et de la fragmentation territoriale. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ces similitudes ?

Dugard : Je pense que lorsque l’on compare la situation en Afrique du Sud et celle dans le territoire palestinien occupé, il faut les considérer sous deux angles. Tout d’abord, voir s’il y a une similitude entre les deux systèmes ou régimes, et ensuite, rechercher si le système dans le territoire palestinien occupé entre dans le cadre de la Convention contre l’apartheid (Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid des Nations-Unies). Ces deux questions sont liées, mais je pense qu’il est utile de les traiter séparément.

Je commence par la première, je pense que sans aucun doute il y a des caractéristiques similaires, au sens où il existe une discrimination, une répression et une fragmentation territoriale du territoire palestinien occupé. Il y a bien sûr le conflit à propos de la « race », pour l’opinion générale il semble que l’on peut considérer les Palestiniens et les juifs comme des races séparées. Après cela, il est clair qu’il existe une discrimination à l’encontre des Palestiniens et en faveur des colons. Les colons entrent à quelque chose près dans la catégorie des Blancs d’Afrique du Sud, au sens où ils forment le groupe dominant.

Quant à la répression, il existe les mêmes lois sécuritaires. En Afrique du Sud, il y avait des lois qui autorisaient la torture et il y a aussi des accusations graves de tortures dans le territoire palestinien occupé.

Sur la question de la fragmentation territoriale, en Afrique du Sud nous avions la politique des bantoustans qui visait à séparer le pays territorialement. Dans le territoire palestinien occupé, le mur, les colonies, les zones militaires (créent) une fragmentation territoriale et on voit que le territoire palestinien est en train d’être découpé.

Quasiment tous les Sud-Africains qui se rendent en Cisjordanie et à Gaza sont frappés par les similitudes. Nous avons tous un sentiment de déjà-vu. Je parle principalement ici de Sud-Africains noirs, comme l’archevêque (Desmond) Tutu et d’autres qui ont à maintes reprises déclaré, qu’à leur opinion, la situation dans le territoire palestinien est à bien des égards pire que celle qu’ils ont connue sous l’apartheid. (*)

Bi : Comment réagissez-vous aux critiques - telles celles du juge Richard Goldstone - qui disent que cela est absurde ?

Dugard : Je ne me soucie pas vraiment des propos de Richard Goldstone dans le New York Times, où il déclare que (comparer) l’apartheid avec ce qui se passe dans le territoire palestinien occupé est calomnieux et faux. Ce que je trouve très intéressant, c’est que lorsqu’on examine le rapport, dit rapport Goldstone, et en particulier son chapitre sur la Cisjordanie, il n’utilise pas le terme « apartheid », mais la critique qu’il y fait du système en Cisjordanie caractérise vraiment ce système comme étant une forme d’apartheid. Je trouve quelque peu étrange qu’il puisse dire que cela est « calomnieux » quand son propre rapport confirme dans une large mesure le fait que le système dans le territoire occupé palestinien est une forme d’apartheid.

Bi : Le système en place dans les territoires occupés correspond-il à la définition que donnent les Nations-Unies de l’ « apartheid » ?

Dugard : La Convention contre l’apartheid liste un certain nombre d’« actes inhumains » et bon nombre de ces actes inhumains sont commis par les (Forces de défense israéliennes) dans le territoire palestinien. Il y a les meurtres illégaux - ici ont dit « assassinats ciblés ». Il y a la détention sans jugement et d’autres actes inhumains du même genre qui sont mentionnés dans la Convention. Et puis, l’acte doit être commis avec l’objectif délibéré de la domination d’un groupe racial sur un autre groupe racial. Je pense que l’on peut à juste titre dire que l’objectif de ces actes inhumains est, ici aussi, de maintenir la domination des colons sur le territoire palestinien.

Bi : Pourquoi à votre avis ce type de comparaison académique est-il considéré comme tellement « inadmissible  » dans le débat courant sur la situation dans les territoires occupés ?

Dugard : Je ne pense pas que ce soit très académique. Je pense que les deux systèmes sont à ce point semblables qu’il est important d’insister sur ces similitudes, particulièrement parce que l’apartheid est clairement condamné par la communauté internationale et qu’une action a été engagée contre le régime d’apartheid. Je pense que si la comparaison est tellement contestée en Israël c’est précisément en raison de la crainte que des actions du même genre que celles engagées contre le régime d’apartheid le soient aussi contre Israël s’agissant du territoire occupé.

Je crois, finalement, que ma critique porte largement sur la position des colons. Je sais que certains font valoir que les pratiques d’Israël en Israël proprement dit constituent aussi une forme d’apartheid. J’ai de sérieux doutes à ce sujet.

L’autre facteur important est que ces implantations peuvent être capitalisées comme une forme de colonialisme. Le colonialisme est totalement inacceptable pour la communauté internationale. Et ce sont là deux régimes - l’apartheid et le colonialisme - qui ont été condamnés par la communauté internationale et que celle-ci ne réagit pas de la même manière qu’elle l’a fait pour l’Afrique du Sud.

Bi : Quelle sera la prochaine étape à votre avis pour ceux qui mènent des stratégies juridiques et de défense contre ces pratiques ?

Dugard : Je pense qu’il est important d’essayer d’instruire l’opinion publique, particulièrement aux États-Unis et en Europe, pour convaincre les gens de reconnaître ces similitudes. Et je pense qu’il est particulièrement important que les Israéliens eux-mêmes en soient davantage conscients. Je sais que d’éminents Israéliens ont ébauché cette comparaison, mais il ne semble pas que cela ait affecté l’opinion publique en Israël. Je crois qu’il s’agit d’un processus d’éducation important. Je ne veux pas aborder tout le programme d’actions (boycott, désinvestissement et sanctions). J’en vois les mérites, mais j’ai des doutes à ce sujet à d’autres égards.

(*)

Voir notamment :

- L’ancien président sud-africain, F. W. de Klerk, compare l’apartheid d’Israël à celui de l’Afrique du Sud - 10 janvier 2012 - Progressive Alaska
- Desmond Tutu choqué par ce qu’il a vu à Gaza - 29 mai 2008 - Al Jazeera


Autre entretien avec John Dugard :

- La fin de l’impunité pour Israël ? Une interview de John Dugard - 15 octobre 2010 - avec Adri Nieuwhof

De John Dugard :

- Où en est le rapport Goldstone ? - 6 avril 2011

23 février 2012 - Bitterlemons - traduction : Info-Palestine.net/JPP


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