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Entrée refusée :
refus de témoins de l’occupation israélienne

jeudi 13 juillet 2006 - 11h:23

Maureen Clare Murphy

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Ainsi, la situation désespérée de la population civile palestinienne vivant sous occupation israélienne sera mieux cachée aux yeux du monde.

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"Deux passeport, aucune entrée : deux de mes passeports marqués par le redouté tampon rouge."



Refus de témoins de l’occupation et de l’unilatéralisme israéliens

Dans le but d’isoler davantage les Palestiniens du reste de la communauté internationale, l’armée israélienne va déclarer la Cisjordanie fermée aux ressortissants étrangers. La Bande de Gaza est déjà pratiquement inaccessible aux étrangers ; ceux qui souhaitent y entrer doivent faire une demande très aléatoire aux autorités israéliennes des semaines à l’avance pour obtenir une autorisation. Ainsi, la situation désespérée de la population civile palestinienne vivant sous occupation israélienne sera mieux cachée aux yeux du monde.

La tendance actuelle à l’expulsion de ressortissants étrangers (y compris les Palestiniens détenteurs de passeports étrangers) travaillant dans la société civile palestinienne, étudiant dans les universités palestiniennes ou vivant avec des familles palestiniennes, suscite de réelles inquiétudes car on ne permettra plus aux Palestiniens de Cisjordanie de recevoir de visiteurs dans leur prison à ciel ouvert. Naturellement, cette politique d’isolement a été justifiée par des raisons de « sécurité ». D’après le quotidien israélien de droite Maariv : « Selon le projet, les forces de défenses israéliennes déclareront la Judée et la Samarie (Cisjordanie) fermée aux ressortissants étrangers. Ce refus de laisser entrer... les activistes est présenté comme une prévention contre la subversion politique et l’engagement de membres du mouvement dans des actes de terrorisme, et pour limiter les conflits avec les colons juifs. »

Cependant, Israël refuse depuis longtemps l’entrée à de nombreux internationaux, qu’ils soient militants ou pas ; une politique qui s’est renforcée dans les derniers mois. Courant avril, après avoir habité Ramallah pendant un an et demie, avec un visa touriste que je faisais renouveler tous les trois mois, j’ai été refoulée à mon entrée en Cisjordanie via la Jordanie au contrôle israélien du Pont Allenby, sans qu’on me dise pourquoi j’étais refoulée. Du côté jordanien du pont, les officiels de la sécurité m’ont dit qu’une masse d’internationaux - Palestiniens américains en particulier - avaient été interdits d’entrée en Cisjordanie.

J’ai réussi finalement à revenir avec un visa d’un mois avec un nouveau passeport obtenu à l’ambassade américaine en Jordanie, mais je fus expulsée de l’aéroport de Tel Aviv un mois et demi plus tard. Là, je savais que j’étais « persona non grata », ils croyaient que j’essayais de « m’installer illégalement en Israël », alors que je leur avais dit que j’habitais Ramallah, en Cisjordanie. Dans tout autre pays, dépasser la date d’un visa touriste peut être un motif compréhensible d’expulsion. Cependant, ici, les Palestiniens n’ont aucun moyen de contrôler leurs frontières, et l’ancien système qui permettait aux ressortissants étrangers travaillant et vivant en Cisjordanie et à Gaza d’obtenir un permis de travail ou tout autre visa spécial pour leur permettre de rester un temps prolongé, a été interrompu par Israël. Audition et recours légal m’ayant été refusés, les autorités israéliennes m’on remis un papier, à l’air très officieux, pendant qu’elles me poussaient dans l’avion, retour vers Toronto. Ce document était en hébreu, une langue que ni moi ni l’office de l’immigration canadien - avec lequel j’ai dû m’expliquer à mon débarquement - ne pouvions lire.

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« J’ai été expulsée d’Israël et tout ce que j’ai reçu a été ce minable bout de papier », le seul document de ma grandiose expulsion d’Israël. Contrairement à ce qu’ils m’ont déclaré verbalement, il indique comme raison de mon expulsion « activités illégales dans ‘les territoires‘ ».

Contrôle de tout mouvement

La menace d’expulsion par Israël est la grande peur existentielle suspendue au-dessus de la tête des expatriés dans les Territoires occupés palestiniens. Dans les conversations avec d’autres expatriés, on arrive toujours à se raconter nos aventures à propos des « échéances de visas », quand nous nous précipitions en Jordanie ou en tout autre pays proche le temps d’un court séjour pour pouvoir obtenir un nouveau visa touriste B2 et revenir pour trois mois supplémentaires. Ceux qui travaillent pour des organismes des Nations unies ou des organisations internationales importantes obtiennent souvent des permis de travail ; mais pour ceux qui fonctionnent au sein de la société palestinienne, il n’y avait pas de système connu pour acquérir un tel permis sans passer pas une organisation importante. Et pour les quelques âmes courageuses qui essaient d’autres moyens en innovant et font une demande à titre individuel, même avec les meilleurs avocats, rien ne garantit que ça marche.

Dans la période qui a suivi les accords d’Oslo, il était d’usage que les internationaux travaillant dans la société civile palestinienne fassent une demande de visa auprès de l’administration civile israélienne en Cisjordanie via l’Autorité palestinienne. Mais cela n’est plus le cas depuis quelques temps. Une amie européenne qui travaille pour une organisation civile palestinienne a téléphoné au check-point DCO de Beit E1 où il y a un bureau de l’administration civile israélienne pour la Cisjordanie. Il lui a été répondu que pour traverser le check-point, il lui faudra un permis de travail remis par Israël et qu’elle doit en faire la demande au ministre israélien des Affaires sociales. Puis, le fonctionnaire israélien ajoute : « Je vais vous dire maintenant que vous ne l’aurez certainement pas, ils vous le refuseront quand ils sauront que vous travaillez pour une organisation qui fonctionne dans les territoires. »

Les internationaux fonctionnant avec les organisations palestiniennes ont peu d’options pour passer les frontières gardées par les Israéliens d’une « manière régulière ». Certains choisissent de mentir sur ce qu’ils veulent faire quand on leur demande l’objet de leur visite, sachant que la seule mention du mot « Palestinien » leur vaudrait d’être marqué à l’encre rouge dans les fichiers israéliens. Les optimistes comme moi pensent que dans le doute, il vaut mieux pêcher par excès de prudence. En plus, et n’ayant aucun talent dans l’art du mensonge, je fais une question de morale de ne pas me être culpabilisée au prétexte que travailler pour une organisation de droits humains palestinienne respectée serait dévalorisant. Mais nous savons tous que notre sort sera fixé de façon arbitraire et qu’il n’y a aucun procédé établi et transparent qui garantisse l’entrée.

Parmi les expatriés vivant à Ramallah, circulent les histoires d’épouses de Palestiniens - détenteurs de carte d’identité de Cisjordanie - qui avaient le visa touriste B2 de trois mois qui était renouvelé régulièrement depuis 20 ans pour autant qu’elles fassent l’aller/retour en Jordanie plusieurs fois par an. Ces personnes étaient auréolées d’une certaine légende au sein de la communauté des expatriés, bien que la précarité de la situation des ressortissants étrangers (dont les Palestiniens de la diaspora) mariés ou liés familialement avec des Palestiniens possédant des cartes d’identité de Cisjordanie et de la Bande de Gaza soit tout à fait réelle. Des milliers de familles palestiniennes vivent perpétuellement dans la crainte d’avoir un membre de la famille qui se fasse expulser - une inquiétude partagée par mon commerçant du coin dont l’épouse a un passeport américain qui va passer un moment en Jordanie tous les trois mois, et par une amie dont la belle-s ?ur américaine a dépassé la date de son visa depuis 5 ans, ce qui signifie qu’elle ne pourra jamais revenir si elle partait.

Dernièrement, cette crainte s’est trouvée confirmée : un nombre incalculable de familles dont un ou plusieurs membres avec passeport étranger ont été séparées par l’interdiction d’entrer à un ou plusieurs d’entre eux. Beaucoup sont des familles de la classe moyenne, des Palestiniens de la diaspora revenus aider au développement de leur pays dans les années post-Oslo. Comme une fonctionnaire palestinienne titulaire d’un passeport européen me le faisait remarquer, « C’est tout à fait symbolique, ayant choisi de revenir en Palestine, ces gens représentent l’espoir des années Oslo et personnifient le projet de construire un Etat ». Si cette tendance se poursuivait, toute une fraction de la classe moyenne palestinienne pourrait se trouver dispersée, et avec elle, leurs investissements et leur esprit d’entreprise, laissant l’économie palestinienne encore plus fragile.

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"Présentant sa carte d’identité de Cisjordanie au contrôle, un Palestinien essaie de passer au check-point d’Al-RAM à Jérusalem, peu avant l’appel de midi à la prière pendant le mois saint du Ramadan."

En plus de cela, il y a un nombre incalculable de Palestiniens qui, à un moment, ont quitté (ou ont été forcés de quitter) leur pays et ne sont plus autorisés à y revenir avec le passeport de leur pays d’adoption. Ce fut le cas pour le frère d’une collègue (passeport européen) qui s’est vu refuser l’entrée en Cisjordanie au Pont Allenby (Jordanie) à peu près en même temps que moi. Un chauffeur de taxi originaire de Naplouse (Cisjordanie) - il me conduisait à l’ambassade américaine à Amman où je devais récupérer mon nouveau passeport US - me racontait comment il était venu travailler en Jordanie quelques années plus tôt, laissant derrière lui son épouse pour qu’elle ne soit pas séparée de sa famille. Ayant vécu à l’extérieur de la Cisjordanie trop longtemps, les autorités israéliennes ne le laissent plus y retourner, et ainsi, lui et son épouse continuent à vivre séparés.

Les déplacements sont restreints même à l’intérieur de la Cisjordanie, créant des difficultés, voire l’impossibilité, pour beaucoup de personnes de Jénine ou de Naplouse d’aller à Ramallah ou à Hébron, et vice-versa. L’armée israélienne contrôle tous les mouvements palestiniens ; elle dispose de centaines de façons de restreindre ces déplacements en Cisjordanie et d’un système d’autorisations contraignant. La plupart des Palestiniens ayant une carte d’identité verte ou orange de Cisjordanie ou de Gaza ne peuvent aller à Jérusalem-Est - considérée comme partie de la Cisjordanie par le droit international - depuis plus de dix ans, à défaut d’un permis israélien rarement accordé. Ces jours-ci, même les membres du gouvernement palestinien (hors le Président Mahmoud Abbas) n’ont pu quitter la Cisjordanie pour aller à Gaza, et inversement.

Des Palestiniens ne peuvent plus se rendre sur leurs lieux de culte, d’éducation ou de services de santé, et même visiter des membres de leur famille et ceci brise toute structure sociale, économique et culturelle. Israël impose cette politique pour des raisons dites de « sécurité », mais les termes les plus proches de la vérité sont ceux de punition collective et d’oppression. Ces restrictions dans les déplacements sont devenues de plus en plus formalisées par des check-points-frontières à un million de dollars, qui montrent que l’objectif est de renforcer la main mise d’Israël sur les territoires et de créer des « faits accomplis » pour devancer toute résolution négociée du conflit.

Quand Israël a construit son nouveau terminal, le « Passage d’Atarot », entre Ramallah et Jérusalem, au lieu et place de l’ancien check-point de Qalandya, des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles des milliers de Jérusalémites palestiniens détenteurs d’une carte israélienne de résident permanent auraient le droit de traverser vers Ramallah et donc vers le nord de la Cisjordanie. Depuis que le nouveau terminal est en service, cela ne s’est pas fait (depuis le début de ce mois, ils ne peuvent pas passer non plus à un même terminal à l’entrée de Bethléhem) ; beaucoup pensent qu’il n’y a aucune discussion pour qu’une telle possibilité soit mise en place. Et le côté définitif de cette structure technologiquement sophistiquée fait pencher en faveur de cette dernière hypothèse. Pourquoi investiraient-ils tant d’argent dans une mesure de sécurité provisoire ? La même question se pose au sujet du mur en Cisjordanie, son itinéraire actuel annexe effectivement 10 % de la Cisjordanie au bénéfice d’Israël, et isole les communautés palestiniennes les unes des autres.

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"Remplaçant l’ancien check-point de Qalandya qui avait vraiment l’air provisoire, le nouveau terminal frontalier « Atarot » est achevé avec des moniteurs d’affichages à cristaux liquides qui saluent en anglais... avec des fautes d’orthographe."

Dangereux silence

Plus tôt dans l’année, le Premier ministre, alors par intérim, Ehud Olmert, s’exprimait auprès du quotidien israélien Ha’aretz à propos de la nouvelle marge d’impunité dont profitait Israël suite au désengagement unilatéral de Gaza l’an dernier. Concernant les opérations d’assassinats illégaux par l’Etat, il fanfaronnait : « Il n’y a pas un seule critique dans le monde. Et savez-vous pourquoi ? parce que le désengagement nous a donné une marge de liberté grâce à nos actions quotidiennes pour notre sécurité, ce que nous n’avons jamais eu auparavant... Il y a deux jours, nous avons fait une interception ciblée [sic] dans Gaza. Le jour d’avant, une autre interception ciblée [sic]. Aucune critique, pas un soupçon de critique, n’a été formulée dans le monde. »

Le silence de la communauté internationale est devenu assourdissant alors qu’Israël, maintenant par routine, envoie ses missiles sur Gaza - l’une des plus grande densité de population du monde - pour des assassinats ciblés illégaux, et entreprend actuellement un déploiement mal défini. Naturellement, le compte de victimes civiles est très élevé comme on pouvait le prévoir. Sur question, Israël justifie de telles opérations comme nécessaires pour décourager les lancements des roquettes Qassam, artisanales, grossières, depuis la Bande de Gaza vers Israël. Mais de telles opérations ne respectent pas le principe légal de proportionnalité, les tirs quotidiens sur la Bande de Gaza sont une forme de punition collective contre la population civile palestinienne. En attendant, Olmert rencontre les dirigeants des Etats dans le monde et s’assure d’un soutien international pour son « plan de convergence », le dernier euphémisme en date pour déterminer unilatéralement les points de discussion du statut définitif. Mais la base de ces projets unilatéraux est déjà posée. Avec la majeure partie du tracé du mur et les check-points permanents en place ou en construction, l’architecture pour les nouvelles frontières israéliennes est tracée.

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"Les chiffres parlent d‘eux-mêmes : la réponse disproportionnée d’Israël aux tirs de Qassam équivaut à une punition collective."

Bien que ne gobant rien de l’histoire, la communauté internationale salue ce dernier plan unilatéral, comme le « seul dans la ville », ceci malgré ses affirmations passées selon lesquelles une résolution négociée, bilatérale, au conflit était la seule façon d’avancer. Avec le boycott international du gouvernement palestinien démocratiquement élu - la moitié étant actuellement dans les prisons israéliennes -, les Palestiniens se retrouvent plus impuissants que jamais pour revendiquer leurs droits. La situation empirant, et maintenant qu’il devient de plus en plus difficile pour les témoins internationaux d’arriver en Cisjordanie et en Palestine, les institutions de la société civile palestinienne vont perdre des canaux inestimables pour plaider leur cause devant le monde extérieur. La communauté internationale sera encore plus aveugle, encore plus sourde, devant les violations des droits de l’homme et les violations du droit commises dans les Territoires occupés palestiniens. Alors qu’Olmert continuera de profiter de la compagnie chaleureuse des hommes d’Etat, les civils palestiniens seront de plus en plus isolés sous l’occupation israélienne.

Quelles conséquences sur la société palestinienne si les internationaux qui fonctionnent dans la société civile ne sont plus autorisés à remplir leur rôle ? et les Palestiniens revenus pour aider au développement de leur pays seront-ils forcés de partir ? Les voix palestiniennes sont largement absentes de la couverture du conflit par les principaux médias, alors, qui viendra faire connaître, jour après jour, les saccages de l’occupation et de l’unilatéralisme israéliens au reste du monde ? Avec une communauté internationale dénuée de mordant, ses consulats à Jérusalem qui privilégient la politique israélienne sur le droit international et sur les intérêts de leurs propres ressortissants qu’ils sont censés protéger, les perspectives sont en effet sinistres.

Quand j’ai cherché conseil auprès de l’ambassade US en Jordanie après avoir été refoulée au Pont Allenby, j’ai déclaré que si Israël avait le droit de contrôler ses frontières, arrivé à un certain point le refoulement des citoyens américains (alors que des citoyens israéliens ne sont pas empêchés d’entrer aux USA) devenait « un problème bilatéral ». Malgré cela, après mon expulsion de l’aéroport, la réponse du consulat US à Jérusalem fut qu’une plus grande sévérité dans la réglementation pour l’entrée des étrangers en Cisjordanie était compréhensible étant donné les tensions plus fortes entre le Hamas et le Fatah. D’autres Américains qui ont contacté le consulat ont entendu le même refrain. Cependant, on a du mal à croire qu’une politique radicale refusant l’entrée de ressortissants étrangers réponde en ce moment aux intérêts sécuritaires, mais vise plutôt à empêcher des citoyens, parmi les plus crédibles et les plus capables, de témoigner et de protester contre les desseins d’Israël en Cisjordanie.

Rédactrice à The Electronic Intifada (Arts, Musique et Culture), Maureen Clare Murphy a passé la dernière année et demi à Ramallah, en Cisjordanie, travaillant pour l’organisation des droits humains palestinienne Al-Haq avant d’être expulsée en mai dernier.


Voir aussi l’article : "L’armée israélienne pourrait interdire l’entrée des Territoires aux étrangers".

The Electronic Intifada - 11 juillet 2006
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction : JPP


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