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En Syrie, c’est le gouvernement qui est le rebelle...

vendredi 5 août 2011 - 07h:35

Larbi Sadiki - Al Jazeera

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La violence croissante en Syrie est en train de transformer le pays en un Etat hobbesien (1).

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Deir al-Zor a vu la répression s’accroître contre les manifestants depuis que son gouverneur a été remplacé la semaine dernière - Photo : Reuters

Il y a eu de nombreux reculs lors du « printemps arabe ». Aucun, cependant, n’est plus flagrant et évident qu’en Syrie. Cela conduit à une seule question à travers tout le Moyen-Orient : Qui est réellement le rebelle ?

Les manifestants qui pacifiquement revendiquent des droits civils, politiques et économiques face à des républiques monarchiques et des élites dirigeantes sans légitimité ? Ou les Etats qui, comme en Libye et en Syrie, se retrouvent littéralement dans un « état ​​de nature » [cf l’état hobbesien (1)], et mettent en péril la vie de leurs propres citoyens ?

Le « Léviathan » Assad (2)

Hobbes vient très naturellement à l’esprit. Plus que tout autre, ce philosophe anglais a saisi les tenants et les aboutissants des passions et des défaillances humaines qui conduisent les êtres humains à se transformer en leurs pires ennemis.

En ce moment, les Assad sont dans un état approchant. Et ils se sont disqualifiés de pouvoir diriger un Etat et un peuple qu’ils sont proprement en train de dépecer. Si seulement Bashar al-Assad, qui a maintenant mis à nu ses canines politiques, avait élargi le champ de ses recherches au-delà de l’optométrie pour voir le monde tel qu’il est construit par Hobbes ! S’il l’avait fait, il aurait compris que gouverner ne veut pas dire user de ses muscles.

L’usage excessif de la force contre la ville de Hama n’est pas l’expression d’un gouvernement solide et rationnel. Il s’agit d’un usage illégal de la force qui pourrait un jour envoyer le clan Assad et les hauts gradés de son appareil répressif devant la Cour pénale internationale.

La théorie politique de Hobbes se concentre sur les désordres et les guerres civiles provoquées par les passions humaines indisciplinées, et il appuyait son étude sur la guerre civile anglaise qu’il avait bien connue.

Les chars de Maher Assad [frère du président Bachar] renvoient une nation entière dans un « état ​​de nature », et selon Hobbes, les résultats sont « une guerre de tous contre tous ». C’est le risque auquel fait face le « printemps arabe » en Libye, au Yémen, et bien sûr, dans notre cas ici en Syrie.

Syrie : un régime en rébellion

Presque 30 ans après Hafez El-Assad, aidé par son frère Rifa’at Assad (le boucher de Hama) qui bénéficie désormais d’un asile en Occident, la jeune génération Assad est tentée de suivre le même destin politique en tuant au nom d’un « régime de la rébellion ».

Le massacre auquel ils se livrent fait de cet Etat le véritable rebelle, le bandit, le non-droit et le parti illégal dans ce soulèvement que dès le début, comme en Libye, Assad a voulu rendre violent en usant de centaines de meurtres.

Tout au long du « printemps arabe », les millions de manifestants - peu importe les langues, la géographie, la spécificité politique ou les formes de protestation - ont eu un large retentissement dans le monde en déclarant partager avec des milliards d’autres êtres humains une même conviction : « C’est le régime en place qui est le rebelle ».

Cette affirmation est « la mère de toutes les affirmations ». Une telle déclaration affirme la légitimité de la résistance face aux régimes qui persistent à vouloir se maintenir en place et si besoin est, comme en Libye, portent les armes contre elle.

le « Léviathan » Assad a fait en sorte que la vie des citoyens ordinaires qui vivent sous ce régime rebelle soit ramenée aux paroles du brillant Hobbes : « solitaire, pauvre, sale, brutale et courte ».

La dynastie Assad, c’est terminé !

En fait, le règne des Assad - qui peuvent désormais se retrouver bientôt avec peu ou pas du tout de protection contre la rage qui sera déversée sur eux dans les mosquées bondées et les places publiques pendant le mois sacré du Ramadan - est en crise profonde. La dynastie Assad est terminée et Bachar est son dernier « monarque ». Quelque soit la légitimité que les Assad ont jusqu’ici tirée de la résistance anti-israélienne par procuration à travers le Hezbollah et le Hamas, il n’en reste plus rien.

La campagne de meurtres à laquelle ils se livrent en ce moment contre de nombreuses villes et nombreux villages à travers toute la Syrie, comme à Hama et à Deir ez-Zor, est destinée à réprimer les manifestations avant le Ramadan. Le Ramadan attire les foules dans les mosquées, plus encore que le sermon hebdomadaire du vendredi, et dans cette période de soulèvement la dernière chose que Maher Assad souhaite, c’est que cet espace se transforme en une plate-forme pour une plus grande mobilisation contre la dynastie.

Heureusement pour les Syriens, les Assad ne peuvent pas modifier le fantaisiste calendrier lunaire (comme ils l’ont fait avec la constitution en transmettant le pouvoir de père en fils en 2000) et reporter le Ramadan.

Hama « hors de contrôle » ?

La soudaine escalade militaire contre Hama sert trois objectifs : tuer l’élan de la contestation avant le Ramadan, envoyer une menace à peine voilée à d’autres villes sur les conséquences de protestation sans fin, et enfin reprendre le contrôle des villes par l’Etat, y compris dans les zones kurdes comme celle de Qamishli.

Certaines de ces zones manifestent une défiance totale depuis des semaines et elle sont souvent sous état de siège, avec l’armée gardant tous les points d’accès.

Hama demeure une plaie vive dans les relations Etat-société : c’est la ville où une insurrection islamiste a été violemment réprimée en 1982, entraînant la mort de plus de 20 000 personnes. C’est le genre de preuve qu’affectionnerait Hobbes pour montrer à quel point la vie peut devenir quantité négligeable durant une guerre civile.

Hama se doit d’être considérée dans ce contexte : cette ville atteste, plus que nulle part ailleurs en Syrie, que c’est le régime qui est le rebelle, et non pas les manifestants civils et pacifiques. Les manifestations n’appellent pas seulement au rejet d’Assad mais ils demandent que ce régime tout entier rende des comptes près de 30 ans après que presque chaque famille de cette ville ait eu à compter des victimes.

Peut-être que les Assad ne souhaitent pas s’en souvenir. Bachar a eu tout le temps nécessaire pour suivre les pas du Roi Mohamed VI [Maroc - N.d.T], et mettre en place sa propre voie pour une réconciliation.

Personne n’a jamais été puni pour Hama, mais le régime a blâmé les Frères musulmans d’avoir pris les armes et d’avoir été à l’origine d’une rébellion, entraînant des poursuites, des persécutions et l’exil. Hama lèche encore ses plaies de 1982 et les meurtres d’aujourd’hui ajoutent l’insulte à la blessure. Mais ils instillent aussi un sentiment de défiance et d’auto-défense.

Quatre niveaux dans le pouvoir doivent être accusés de ce qui est arrivé à Hama : les Assad et le parti Baas, la police et les bureaucrates militaires, la bourgeoisie d’Etat et les médias, et enfin le clergé aux ordres. Ils sont également responsables de la dynamique contre-révolutionnaire mettant des bâtons dans les roues du train qui transporte des millions de personnes en Syrie. Ces millions de gens protestent contre la violence étatique d’exclusion, de marginalisation, et les pratiques dynastiques et népotiques.

Le rôle de l’élite économique dans la contre-révolution tel qu’on l’observe maintenant est plus subtil et donc plus dangereux. Il s’agit d’une couche sociale qui reste la référence du conservatisme politique et agit en conséquence. Ces individus vivent de l’autoritarisme bureaucratique, et si celui-ci doit disparaître, ils feront alors face à un futur incertain dans lequel des contrôles plus rigoureux de la richesse publique seront appliqués.

L’embourgeoisement de « ruraux »

Les coups de force des années 1950 et 1960 ont ruralisé le Moyen-Orient, plaçant aux rênes de l’Etat des gens en grande partie d’origine rurale. Ceux-ci ont promis le républicanisme, le socialisme, le panarabisme, la protection sociale et la libération de la Palestine. Ils ont échoué sur tous les plans.

Au lieu de cela, les « ruraux », qui ont occupé l’Etat grâce à des coups de force sont devenus après 50 années au pouvoir la nouvelle élite. Le pouvoir a été « embourgeoisé ». Les soldats d’antan ont pris un siège dans la classe des affairistes. Et aujourd’hui, le pouvoir vient du canon d’un fusil lorsque les intérêts de la nouvelle élite sont mis en péril par les protestations et la résistance...

En Syrie, c’est ainsi que l’histoire s’est déroulée. L’Etat a été transformée pour la nouvelle élite en une vache à traire et le pouvoir de cette élite est tiré des milliards de l’Etat qu’elle s’est partagés. Les officiers embourgeoisés et leurs partenaires en affaires vont défendre ces intérêts avec acharnement, et jusqu’à la pire des fins.

Retour à Hobbes

La Syrie est-elle revenue à « l’état de nature » ? Ce n’est pas une trajectoire à suivre pour Bachar ou pour la Syrie.

Pour quelqu’un d’aussi déterminé à conserver la présidence, Bachar doit prendre en considération ce que Hobbes a dit sur l’absence de communauté politique légale et contractuelle dans un état de nature : « ... plus aucune société, et, ce qui est le pire de tout, une peur et un danger de mort violente continuels ».

Un régime ne peut pas faire disparaître une société. Telle est la leçon d’or de l’Egypte et de la Tunisie. La coercition n’y changera rien.

C’est l’une des nombreuses questions sur lesquelles le président Bachar doit méditer. Si l’objectif est d’être avec le peuple syrien et de conserver son appui, alors Bachar peut commencer par limoger son frère Maher - le haut gradé aujourd’hui le plus impliqué dans plus de 1500 assassinats - et permettre à la société civile de s’épanouir, ce qui aidera à bâtir une véritable démocratie.

En Syrie, indépendamment du temps pendant lequel les Assad resteront au pouvoir, qu’il s’agisse de mois ou d’années, l’avenir a déjà changé.

Notes :

[1] Thomas Hobbes est un philosophe anglais du XVIIe siècle, pour lequel l’état de guerre est l’état naturel à la société humaine

[2] Monstre marin biblique capable de ravager, sinon d’engloutir la terre

* Larbi Sadiki est un maître de conférences en politique du Moyen-Orient à l’Université d’Exeter.

Du même auteur :

- Le Hezbollah et la révolution arabe - 29 juin 2011
- Tunisie - BA 2886 : le vol vers la liberté - 7 février 2011
- Colussus : la prison géante de Gaza - 12 novembre 2010

31 juillet 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Al Mukhtar


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