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"Le Fatah Al-Islam a ruiné nos vies"
mercredi 30 mai 2007 - Mouna Naïm - Le Monde

Passé la localité d’Aabdeh, les rares véhicules venant du sud accélèrent sur une autoroute quasi déserte. Du côté opposé, le long du camp de réfugiés palestiniens de Nahr Al-Bared, où sont barricadés les miliciens du Fatah Al-Islam, les soldats de l’armée libanaise casqués veillent, lundi matin 28 mai, à proximité de véhicules blindés. Dans un sentier menant à un verger, ou à l’intérieur de bâtiments, hors de portée d’éventuels tirs, d’autres militaires se reposent.

Plus que les précédentes, la nuit a été chaude et nombreuses ont été les violations de la trêve humanitaire entrée dans son sixième jour. Un lourd silence règne là où, il y a huit jours, régnait une animation bruyante. Rien ne semble bouger non plus à l’intérieur du camp de quelque 2 km2 hérissé de petites bâtisses grises de béton. De l’autoroute, on distingue les impacts d’obus qui ont troué un mur ici, noirci des façades là. "Gare aux tireurs isolés", conseille une sentinelle. "Circulez", ordonne un officier. Peu de temps après, les échanges de tirs reprennent. D’après l’armée, le Fatah Al-Islam a tenté d’avancer vers l’une de ses positions mais a été refoulé.

Aux premières heures de la journée, un petit groupe d’habitants du camp avait profité du répit pour aller rejoindre les quelque 24 000 à 25 000 autres réfugiés qui ont fui les accrochages. En raison de sa proximité, le camp de réfugiés de Baddaoui, une dizaine de kilomètres plus au sud, est la destination privilégiée. Ici, à l’école secondaire de Nazareth relevant de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Manar Mahmoud, la directrice, et tous les personnels ne savent plus où donner de la tête.

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Des enfants palestiniens dans le camp de réfugiés de Baddaoui, dans le nord du Liban, lundi 28 mai 2007 (Ph. Reuters/Jerry Lampen)

Ses 23 salles de classe accueillent déjà 170 familles, à raison de sept membres au moins par famille. "Un nombre en constante augmentation", note Mme Mahmoud. "Les réfugiés dorment à cinquante par pièce. La mixité n’étant pas tolérée, les hommes passent la nuit dans la cour pour que les femmes et les enfants se reposent en paix ; et, dans la journée, c’est au tour des hommes de se coucher, tandis que les femmes et les enfants sont dehors. Nous avons dû aménager à la va-vite les couloirs pour les transformer en dortoirs", rapporte la directrice.

Les dix W-C de la cour sont réservés aux hommes, les trois à l’intérieur du bâtiment aux femmes. Il n’y a pas de douche, et les gens sont obligés de faire des toilettes de chat. Dounia Samir Al-Ali est mère de huit filles. "Je les réveille à l’aube pour les conduire aux toilettes. Le Fatah Al-Islam a ruiné nos vies, dit-elle, en envoyant le groupe au diable. Ils sont arrivés d’on ne sait où, peut-être par la mer, et on les a soudain retrouvés parmi nous." Le camp compte sept établissements scolaires de l’Unrwa et ils ont tous les mêmes problèmes. "Comment subvenir à un afflux de près de 20 000 personnes ?", interroge Mme Mahmoud, qui déploie des trésors de patience pour renseigner ces réfugiés et apaiser leurs angoisses. Les écoles étant débordées, ils sont également accueillis dans les sièges des associations charitables, les mosquées ou chez les habitants.

Le haut-comité libanais des secours et des ONG ont acheminé des aides en nature. D’autres assurent des repas, "mais parfois il n’y en a pas assez et je demande à ces malheureux qui ont déjà beaucoup souffert de partager", s’attendrit Mme Mahmoud. Un marchand d’eau en bouteilles subvient aux besoins. Des habitants ont donné des vêtements. Des kits sanitaires et hygiéniques ont été distribués, mais en nombre insuffisant. "Ces réfugiés se sentent humiliés et certains regrettent d’être partis de chez eux", indique Suzanne, une employée de l’Unrwa.

Dans la cour, des dizaines d’enfants se soumettent en silence au rasoir de quelques coiffeurs improvisés du Croissant-Rouge qatari, qui leur tondent le crâne. C’est que les poux commencent à faire des ravages, de même que la galle, les allergies et les crises d’urticaire.

Au siège de l’association Les enfants de la résistance, le psychiatre Jacques Hreïki et la psychothérapeute Jacqueline Saad Saba, bénévoles de l’Association pour la protection de l’enfant de la guerre, sont submergés : incontinences urinaires, terreurs nocturnes, états dépressifs post-traumatiques parfois sévères, aggravés par la promiscuité, la malnutrition et les mauvaises nouvelles.

Les enfants sont les principales victimes. Certains refusent d’aller aux toilettes depuis dix jours. D’autres souffrent d’anorexie, pleurent pour un rien ou sursautent au moindre bruit. La plupart auront besoin d’un suivi à long terme.

Mouna Naïm - Nahr al-Bared, Baddaoui envoyée spéciale, Le Monde, le 29 mai 2007

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