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Pourquoi de plus en plus de druzes israéliens préfèrent la prison au service militaire ?
dimanche 22 mai 2016 - Aziza Nofal
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Un membre de la communauté druze tient un drapeau druze alors qu’il parlemente avec un soldat israélien près de la de la frontière entre la Syrie et le Golan occupé par Israël, près de Majdal Shams, le 18 Juin 2015 - Photo : Reuters/Baz Ratner

Il a alors refusé, tout comme l’avait fait son frère un an et demi auparavant et leur père il y a des années de cela. Le 17 avril, Saad a posté sur sa page Facebook une image de la lettre qu’il a ensuite reçue, l’informant qu’il était exempté de son service militaire.

Son message était : « J’ai promis à ma famille et mes amis, il y a un an de cela, que je ne remplacerai jamais mon violon par une arme à feu. Aujourd’hui je veux vous informer que j’ai été exempté du service militaire qui est imposé aux druzes arabes au sein de l’armée israélienne ». La lettre d’exemption est arrivée après que Saad ait refusé d’obtempérer. Pour éviter la prison, il a avancé qu’il était inapte mentalement au service.

Il a également ajouté : « Par bonté du seul État démocratique du Moyen-Orient, j’ai eu un certificat attestant que je suis fou [et donc inapte au service militaire] ».

Saad fait partis des druzes qui ont récemment refusé de rejoindre l’armée israélienne en s’appuyant sur des principes de nationalisme et de patriotisme. Depuis plusieurs années, le nombre des jeunes druzes refusant de rejoindre l’armée a augmenté. Dans le passé, ces cas n’étaient guère rendus publics, mais le frère de Saad, Omar, avait déjà annoncé publiquement son refus de servir l’armée israélienne en décembre 2014.

Les druzes sont les seuls arabes israéliens qui participent au service militaire israélien. Tout a commencé en juin 1954 quand le ministre la défense Pinhas Lavon a décidé d’imposer la circonscription à tous les jeunes arabes dans le cadre de la loi sur le service israélien de défense. En 1956, cette loi a été amendée et la circonscription a été limitée aux jeunes druzes, avec l’accord des dirigeants de la communauté druze à l’époque. La loi stipule que tout druze ayant 18 ans doit servir l’armée israélienne pour une durée de deux ans.

Le refus des frères de Saad a été inspiré par leur père, qui avait également refusé de rejoindre l’armée par le passé. Mostafa Saad a confié à Al-Monitor que son refus et celui de son frère étaient basés sur des principes et des convictions qui ont été inspirés par le fait qu’ils sont une famille palestinienne et arabe. « Nous avons refusé de servir de manière individuelle, nous n’avons jamais fait partis d’un groupe ou quoique ce soit. Mais [notre refus] est une contribution à la cause qui a encouragé une dizaine de jeunes personnes à faire de même », dit-il.

Omar Saad explique à Al-Monitor que la raison principale qui a justifié son refus était son appartenance à une famille palestinienne arabe et au Palestine Youth Orchestra au sein du Edward Said National Conservatory of Music. « Je n’ai jamais pu m’imaginer portant un uniforme pour une entité colonisatrice, qui tue et humilie les Palestiniens dans leurs villes et villages, et de contribuer à l’oppression de mes frères et sœurs, avec qui je vis, ris, mange et joue de la musique », a-t-il expliqué.

Omar Saad, dont le cas s’est transformé en une discussion sur la place publique, parle également du prix qu’il a dû payer pour prendre cette décision. Il a expliqué comment il avait été envoyé en prison à sept reprises, pour un total de 200 jours, une durée pendant laquelle il se déplaçait entre prison et hôpital après être tombé malade. « Bien sûr que cela n’a pas été une expérience facile, mais le soutien que m’a apporté ma famille et beaucoup de gens à travers le monde m’a aidé a resté fort et à terminer ce que j’avais commencé, » dit-il en se référant à une campagne lancée pour soutenir sa cause.

Les jeunes druzes ont lancé depuis 2014 plusieurs campagnes pour refuser de servir l’armée israélienne. Une des campagnes les plus influentes est : « Refuse et notre peuple te protégera », qui a été lancée en juin 2014, lorsque les jeunes druzes ont déchiré en public les convocations au service militaire et ont refusé collectivement d’obtempérer. Une autre campagne, « Tasahal ça n’en vaut pas la peine », a été lancée en mai 2014.

Le mot « Tasahal » en hébreu, se réfère aux forces de défense israélienne, ce qui veut dire que l’armée israélienne ne mérite pas le service des jeunes.

Le mouvement de refus des jeunes de servir l’armée israélienne indique aussi qu’ils peinent à obtenir l’exemption. Après leur refus, ils sont arrêtés et envoyés en prison pour une période qui doit correspondre à la durée du service militaire qu’ils auraient dû effectuer. La plupart de ces jeunes gens ont donc été incarcérés durant une longue période.

L’article 46(a) du service de la défense israélienne stipule que n’importe quelle personne qui ne sert pas l’armée sera emprisonnée pour une durée de deux années.
Samer Sweid, un membre du Druze Follow-up Committee, a dit à Al-Monitor que cela n’était un phénomène nouveau et que les médias et les développements dans les moyens de communication, contribuent à diffuser largement le sentiment national et patriotique parmi les jeunes druzes, lesquels ont commencé à connaître d’autres communautés avec qui ils ont en commun un langage, une histoire et une culture.

D’après Sweid, ce phénomène est peut-être en train de se diffuser rapidement grâce aux réseaux sociaux. Quand un jeune homme refuse de servir, seule sa famille et ses amis étaient en général au courant. Il raconte que cela s’est produit pour lui en 1997 quand il a été envoyé en prison pour une durée de sept mois, en punition pour son refus de rejoindre l’armée israélienne.

« Maintenant nous demandons aux familles des jeunes de rendre public le refus de leurs enfants afin es autres prennent conscience, pour encourager les autres jeunes et leur montrer qu’ils ont le choix, même s’ils devront payer un prix pour cela », a dit Sweid.

Il est persuadé que le refus des jeunes gens de servir a beaucoup aidé au changement de l’image stéréotypée des druzes aux yeux des Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Les druzes ont été considérés comme les pires dans leurs relations avec les Palestiniens aux barrages militaires, dans les cours militaires et les prisons.

Sweid a expliqué que l’armée israélienne a utilisé les druzes pour salir leur image auprès des Palestiniens, en disant : « J’ai récemment rencontré plusieurs Palestiniens en Cisjordanie et ils voient maintenant les druzes de manière différente. Ils nous acceptent et spécialement quand ils ont constaté que nous refusions de servir l’armée israélienne ».

Toujours d’après Sweid, 40% des jeunes druzes ne font pas leur service militaire, la moitié d’entre eux basant leur décision sur des raisons nationalistes et patriotiques. La moitié d’entre eux sont alors officiellement exemptés, qu’ils soient des hommes ou des femmes.

Se confiant à Al-Monitor, Abdel Shedid, un professeur des études israéliennes à l’université d’Hébron, s’accorde avec Sweid sur le fait que la question des druzes qui refusent de servir l’armée n’est pas nouvelle, de plus en plus de personnes commençant récemment à refuser de servir l’armée israélienne, cela se transformant en phénomène public.

Shedid a attribué cette nouvelle importance du taux de refus de la part des jeunes druzes, principalement à cause de la discrimination subie par les soldats druzes après qu’ils aient accompli leur service militaire, du point de vue des avantages qui devraient leur être garantis et de la discrimination contre la communauté druze en général.

D’après Shedid, les druzes sont traités différemment des juifs israéliens au moment où ils devraient se voir attribuer des avantages après leur service, comme l’obtention de maisons et de prêts, l’aide à la recherche d’un travail, l’attribution de postes de responsabilité au sein des institutions étatiques et académiques.

Il a également noté d’autres raisons qui sont derrière ce phénomène, comme les dernières campagnes de sensibilisation auprès des jeunes druzes qui s’appuient sur le développement des moyens de communication qui encouragent la diffusion d’un sentiment patriotique commun après des années d’isolement des autres Palestiniens vivant à l’intérieur de la Cisjordanie.

De plus, les druzes ont commencé à communiquer avec la société palestinienne après l’établissement de l’Autorité palestinienne (AP), au niveau populaire et officiel.
« Dans le passé, les druzes se présentaient en tant que druzes israéliens, alors qu’aujourd’hui ils se présentent en tant que druzes arabes ou druzes palestiniens. Ils ne voient plus la résistance palestinienne d’un point de vue négatif et ne se voient plus comme faisant partie du projet sioniste » explique Shedid.

Malgré l’augmentation de ce phénomène qui se propage à travers les médias, la réalité montre qu’il sera difficile de le transformer en un mouvement massif de refus de tous les jeunes druzes – principalement parce que les jeunes druzes sont forcés de subir les répercussions économiques qui suivent un tel refus. Le service militaire israélien favorise des opportunités d’emploi qu’ils auraient du mal à trouver par leurs propres moyens.

* Aziza Nofal est un journaliste de Naplouse. Elle vit et travaille à Ramallah en tant que journaliste indépendante. Diplômée des universités al-Najah et al-Quds, elle exerce aujourd’hui dans le domaine du journalisme d’investigation en Palestine.

De la même auteure :

- Israël veut expulser les Bédouins pour construire le Grand Jérusalem - 15 juin 2015
- Les Palestiniens s’efforcent de garder vivant le souvenir de la Nakba - 1e juin 2015

10 mai 2016 - Al-Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Kanachiwa