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Un printemps arabe palestinien ?
lundi 21 décembre 2015 - Asmaa al-Ghoul
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Gaza, le 15 novembre 2015 - L’artiste palestinien Belal Khaled réalise une peinture murale représentant une fillette palestinienne - Photo : APA/Mohammed Talatene

Le modèle de printemps arabe, tel que l’ont illustré les bouleversements arabes généralisés enTunisie, Égypte et Libye, n’a pas réussi à libérer la bande de Gaza et la Cisjordanie de la division politique qui oppose le Fatah et le Hamas.

Le trouble a débuté en juin 2007, lorsque ce dernier a pris le contrôle de la bande de Gaza par la force des armes. Et le modèle en question n’a pas non plus réussi à faire tomber le régime en place et à en instaurer un nouveau.

Vraiment, il n’a pas fallu longtemps avant que le mouvement populaire, qui débuta en 2011 dans le contexte d’une vague de révolutions arabes, s’essoufflât. Les quelques protestations populaires qui survinrent durant les années qui ont suivi, comme le mouvement du 29 Avril en 2015, ont également été vains.

Ces flambées de protestations se produisent aujourd’hui encore en Palestine, mais cette fois-ci, elles sont dirigées vers les forces israéliennes ; ces intenses confrontations ont commencé le 1er Octobre.

Les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans ces affrontements, en diffusant la colère et le désespoir de la population. Ces réseaux ont été une plateforme pour critiquer publiquement les grands partis, comme le Fatah et le Hamas, qui n’ont plus de crédit aux yeux des jeunes de la génération 1990, génération considérée comme la force motrice à l’origine du soulèvement actuel. Aujourd’hui, ces jeunes palestiniens se soulèvent d’eux-mêmes contre les forces israéliennes, sans pour cela obéir aux ordres de quelque parti ni homme politique que ce soit.

Cette décentralisation de la conduite [des révoltes], par laquelle les media sociaux sont devenus le vecteur principal des protestations, est tout à fait comparable aux révolutions des printemps arabes, comme celles ayant eu lieu en Tunisie et en Egypte.

Mohammed Abu Rab, professeur de media à l’université de Birzeit, a dit au journal Al-Monitor, « On ne peut pas tout à fait affirmer que la révolte actuelle est conduite par les media sociaux. Les réseaux sociaux sont en fait le principal moyen de mobiliser la jeune génération : la plupart des évènements sont appelés par le biais d’une communication sociale et non pas par les partis politiques ».

Selon Abu Rab, l’absence de leader— aussi bien sur le terrain que sur les réseaux sociaux —serait ce qui provoquerait l’essoufflement de ces mobilisations et des appels à la lutte, puisqu’ils ne sont pas suivis de nouvel évènement ni autre développement pour les entretenir.

Abu Rab a également dit qu’il y a des ressemblances frappantes entre le soulèvement palestinien et le printemps arabe, d’une part en terme de reprise par les média sociaux ce qui permet au mouvement de prendre de l’ampleur, et d’autre part en terme d’absence de leader au mouvement.

« Cependant, une différence majeure est à signaler. Les révolutions du printemps arabe ont été dirigées contre les différents régimes arabes, alors que le soulèvement palestinien cible la force occupante », ajouta-t-il, soulignant que ce dernier est plus difficile, compte tenu des mesures punitives sévères à cruelles pratiquées par les forces israéliennes, comme les arrestations, les démolitions d’habitations, les assassinats.

« Cela est vrai en dépit du fait qu’accroitre le soutien et la mobilisation contre une force occupante est plus facile qu’une révolution contre un régime », ajouta Abu Rab.

Les média sociaux et la communication gratuite sur Internet au sens large, ont déclenché une nouvelle prise de conscience parmi la jeune génération, l’amenant à adopter un nouveau discours de patriotisme sans aucun lien avec des affiliations partisanes ou factionnelles.

Dans une communication du 19 Octobre sur son compte Facebook aujourd’hui supprimé, Ahmed al-Herbawi, 19 ans, tué à la frontière Est de la bande de Gaza d’une balle dans la poitrine, a écrit, « Je ne soutiens pas l’autorité de Ramallah, ni celle du Hamas, [parti] de l’hypocrisie, de l’injustice et du mensonge ».

Le fait que les partis politiques palestiniens attendent encore pour annoncer officiellement leur implication dans la révolte actuelle est également la preuve que la jeune génération est bien la force vive de cette révolution. Ces partis affichent leur espoir dans le peuple palestinien pour réussir un printemps arabe en Palestine, autant sur le terrain que sur Internet. Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a dénoncé les réseaux sociaux comme l’instigateur-clé de la recrudescence [de violence] à Jérusalem et en Cisjordanie.

« La bataille principale devrait se concentrer sur les réseaux sociaux qui en sont les instigateurs », a dit Netanyahu.

Ahmed Youssef, un des leaders du Hamas, a dit Al-Monitor, « Une grande partie de la grandeur de cette intifada réside dans son aspect ambigu et dans l’identité secrète des gens derrière elle, ceci étant l’une des raisons de son succès.

Je suis convaincu que ces jeunes personnes sont les leaders de cette éruption spontanée de protestations. Ils sont acharnés et persévérants, agissent sous les couleurs du drapeau palestinien et de l’hymne national, plutôt que sous la bannière d’un parti », ajouta-t-il, soulignant le fait que les plans et les objectifs sont à long terme, et que chaque jour apporte une nouvelle réussite et une nouvelle surprise.

Pour sa part, Akram Atallah un journaliste politique qui écrit dans le journal palestinien Al-Ayyam, croit que les jeunes palestiniens, ayant dépassé le stade de l’appartenance aux différentes factions, agissent désormais seuls, pour eux-mêmes, sans aucune directive, puisque les différentes factions palestiniennes ont prouvé durant ces dernières années qu’elles étaient inaptes à apporter le changement, à arrêter la progression des colonies [juives dans les territoires palestiniens] et à sauver Jérusalem.

« La jeune génération a pris l’initiative d’agir, après avoir constaté l’indifférence des partis politiques aux intérêts de la nation. Ces jeunes ont décidé de se soulever et de s’opposer par eux-mêmes, mais sans intention de rabaisser ni dénigrer ces partis, mais plutôt de les inciter et les encourager à plus d’efficacité, ainsi qu’à joindre les rangs de la révolte », a dit Atallah Al-Monitor.

Bahaa Alian, 22 ans, qui fut tué en attaquant des israéliens dans un bus de Jérusalem le 13 octobre, était un exemple vivant de la volonté de la jeunesse de s’éloigner des couleurs des différents partis politiques. « Je demande aux différentes factions de ne pas récupérer mon martyre, puisque je suis mort par amour pour ma terre natale, pas la vôtre », dit-il 10 mois avant de perpétrer cette attaque.

Atef Abu Sef, éditeur en chef à l’institut des politiques publiques, croit que le réel leader du soulèvement est la terre elle-même, dit-il Al-Monitor, « La terre est le leader de cette intifada, puisque les jeunes gens agissent impulsivement lorsqu’ils sont sur le terrain ». Cependant, il souligna qu’alors qu’une grande partie de la jeunesse est politisée et suit typiquement les directives d’un parti en particulier, dans ce soulèvement-là aucun de ces jeunes ne suit le programme politique de son parti, mais réagit plutôt à la situation du terrain.

« L’intifada n’utilise aucun grand slogan. Elle reflète simplement la pulsion réelle du peuple », ajouta-t-il.

Une étude statistique publiée le 9 novembre par le centre d’études des affaires israélo-palestiniennes de Jérusalem a montré que parmi toutes les attaques perpétrées par les palestiniens depuis le début du mois d’octobre, les opérations isolées s’élèvent à 60%, 22% ont des connexions avec une organisation, et 18% ont été affiliées à des groupes— ce qui ne veut pas dire que les organisations ou les groupes ont revendiqué les attaques, clarifia l’étude.

Pour sa part, la militante Ibaa Rizk a dit Al-Monitor que ce qui distinguait cette intifada des précédentes est que chaque jeune homme est un leader au sein-même de celle-ci, puisqu’il n’y pas de gestion centralisée, et étayant ses propos par le fait que les partis politiques ont perdu leur crédibilité aux yeux de la jeunesse.

Elle a ajouté que ce désespoir est la principale chose qui pousse les jeunes palestiniens à se soulever. « Nous sommes la génération des déceptions et des défaites. Nous avons vécu les récentes guerres, le blocus, les conflits internes, l’échec de la réconciliation palestinienne ainsi que du processus de paix, et les fausses promesses d’ouverture des points de contrôle et d’amélioration de la situation », dit-elle.

Rizk est réticente à utiliser le terme de printemps arabe pour les évènements se produisant actuellement en Palestine, car « les révoltes du printemps arabe n’ont rien apporté à part des désastres dans le monde arabe. C’est pourquoi nous devons attendre de voir l’évolution de la situation sans tenter d’étiqueter ce qui se produit actuellement », dit-elle.

* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

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7 décembre 2015 - Al-Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Vénus