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Agatha sous la pluie

lundi 10 juillet 2006 - 14h:23

Uri Avnery

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« Israël a déclaré la guerre au peuple palestinien ! Le peuple palestinien lui répondra comme il faut ! La rébellion palestinienne continuera ! Les combattants palestiniens sont mobilisés au service de la nation ! »

« A bas l’occupation nazi-sioniste ! Nettoyons la terre sainte des infidèles impurs ! Rafah détruite sera reconstruite ! Vive la révolution palestinienne ! Vive l’état de Palestine ! »

Un tract du Hamas de la semaine passée ? Pas tout à fait. Avec quelques changements bienvenus, ce tract date du 2 juillet 1946 - presque soixante jour pour jour - publié par la Haganah après le « samedi noir ».

A l’époque, suite aux actions audacieuses d’un commando du Palmakh (les « troupes de choc » de la Haganah), la destruction de nombreux ponts, le gouvernement britannique de Palestine avait décidé de mettre en oeuvre un plan préparé de longue date. Son nom de code était « Agatha ». Le 29 Juin 1946, 17 000 soldats britanniques envahirent toutes les localités juives et les kibboutzim pour confisquer des armes et des documents et arrêter les leaders de la communauté. Le gouvernement britannique affirma sa détermination de mettre un terme au terrorisme. A Jérusalem, l’armée occupa le quartier général de l’Agence Juive qui était de facto le gouvernement de « l’état dans l’état » juif ; et saisit des documents qui établissaient clairement les liens étroits entretenus avec les « têtes du terrorisme » - le commandement uni de la Haganah, de l’Irgoun et du Groupe Stern, en étroite collaboration à l’époque.

Les soldats allèrent aux domiciles des leaders politiques de la communauté juive et arrêtèrent les « ministres » de l’Agence Juive. Ils furent emprisonnés à Latrun. Mais les commandements des organisations clandestines décidèrent de continuer le combat, pour prouver aux Britanniques que l’arrestation des leaders ne les avaient pas réduits au silence.

Le « samedi noir » fut un tournant de la lutte contre les Britanniques. Moins d’un an après, ils décidaient de s’en aller.

La similitude entre le plan britannique « Agatha » et celui d’Israël « Pluies d’été » est saisissante. Ce qui montre que tout régime d’occupation est condamné à répéter les actions de ses prédécesseurs, même quand elles ont prouvé qu’elles sont sans issues. Ce n’est pas que les occupants sont idiots - c’est la seule logique de l’occupation par elle-même qui les condamne à l’idiotie.

Le but de l’opération en cours est, ostensiblement, de libérer le soldat Gilad Shalit, qui a été fait prisonnier par la résistance palestinienne (composée de plusieurs organisations) lors d’une attaque que les experts militaires israéliens eux-mêmes ont qualifié « d’action de commando audacieuse ».

Si notre armée avait gardé ses standards militaires élevés, elle aurait dû remplacer sur le champ tous les officiers responsables de cette débâcle. C’est ce qu’on aurait fait il y a cinquante ans. Mais l’armée que nous avons aujourd’hui est différente. Personne n’a été révoqué. Les officiers responsables n’ont fait que parler d’un « acte terroriste », les combattants furent appelés « des terroristes » et le soldat fut dit « kidnappé ».

Cette action démontre, bien sûr, la validité d’une vieille maxime militaire : quel que soit le moyen de défense employé, il existera un moyen d’attaque et vice versa. La barrière de « sécurité » qui entoure la Bande de Gaza de tous cotés (la mer exceptée), comme celle qui est en construction à l’intérieur de la Cisjordanie, peut arrêter les voleurs et les gens qui viennent chercher du travail en Israël, mais en aucun cas des combattants déterminés qui trouveront toujours comment la franchir, par au-dessus ou par en-dessous.

Le soldat « kidnappé » sert de prétexte à une opération qui devait avoir été préparé de longue date. On a raconté au public israélien et au public international que le but de l’opération était libération du soldat, mais en pratique, on met sa vie en grand danger. Si les soldats arrivent au contact de là où il est caché, il pourrait être tué dans un échange de coups de feu - comme c’est arrivé il y a quelques années au soldat Nakhshon Waksman, qui fut fait prisonnier par le Hamas. Il fut tué dans un échange de coups de feu entre les soldats et les Palestiniens. Waksman serait probablement en vie aujourd’hui si il y avait eu un échange de prisonniers.

Le lien entre le soldat « kidnappé » et l’opération n’existe que dans la rhétorique de la propagande. Il en est de même pour le second prétexte : mettre un terme au tir de Qassam sur la ville de Sdérot. Il est vrai que c’est une situation intolérable. Le Qassam est une arme simple et bon marché. Elle cause plus de panique que de ravages, comme les V allemands lancés sur Londres pendant la seconde guerre mondiale. Il terrorise la population et c’est son but. L’objectif est de briser le bouclage dévastateur que le gouvernement israélien maintient contre la Bande de Gaza depuis le « désengagement ». Jusqu’à maintenant l’armée ne sait pas comment arrêter les tirs de missiles.

Mais les Qassam non plus ne sont pas la vraie raison de l’opération « Pluies d’été ». Sa nature montre qu’elle a un but bien plus large : détruire le gouvernement palestinien élu (pour la propagande israélienne le gouvernement du Hamas) et de mettre le peuple palestinien à genoux. Ce qui est supposé permettre au gouvernement israélien de pouvoir mener à bien le plan de « convergence », soit l’annexion de la majeure partie de la Cisjordanie par Israël pour rendre impossible un état palestinien viable.

Un but clair, que l’opération est faite pour atteindre par des moyens simples : briser la population palestinienne par la liquidation de ses leaders, la destruction de ses infrastructures et l’élimination de ses moyens en alimentation, médicaments, électricité, eau et services sanitaires - sans parler du chômage. Voilà le message aux Palestiniens : si vous voulez abréger vos souffrances, révoquez le gouvernement que vous avez élu.

Cela peut-il marcher ? Exactement comme a marché l’opération britannique. Le résultat d’ « Agatha » fut exactement à l’opposé de ce qui devait en sortir.

Pour toutes les défaites que notre armée a subies, de la bataille de Karameh en 1968 aux deux Intifadas via le franchissement par l’Egypte du canal au début de la guerre du Yom Kippour, la raison est la même : le mépris abyssal dans lequel le commandement tient les Arabes en général et les Palestiniens en particulier. Le Shin Bet ne connaît les Palestiniens que comme des prisonniers qu’on interroge et qui sont prêts à avouer tout ce qu’on veut sous la torture, de méprisables collaborateurs, prêts à vendre leurs cousins pour de la drogue ou de l’argent. Les officiers de l’armée d’occupation ne peuvent imaginer que les Palestiniens puissent réagir comme tous les peuples, et même - à Dieu ne plaise - comme nous-mêmes dans la même situation. Quoi, ces pauvres Arabes sont comme nous ?

Disons-le, les Britanniques ne se sont jamais conduits envers nous comme nous le faisons envers les Palestiniens. Mais, à l’inverse, la capacité des Palestiniens à supporter les souffrances de l’oppression est bien supérieure à la nôtre. Elle repose sur une structure familiale où la solidarité mutuelle est plus effective et une expérience de plusieurs années d’une vie dans des conditions extrêmes.

Le « samedi noir » la communauté juive s’est dressée derrière sa direction assiégée. L’opposition de droite et de gauche s’est ralliée à Ben Gourion (qui était à l’étranger) et à Sharett (emprisonné à Latrun). L’expérience enseigne que c’est ainsi qu’un peuple réagit quand sa direction est attaquée par un ennemi extérieur. Il est à peu près sûr que le Hamas sortira renforcé de cette épreuve. Les arrestations sont pour les Palestiniens la preuve qu’il est une direction combattante, loyale, exempte de la corruption qu’amène l’usage du pouvoir - à l’inverse de leurs prédécesseurs dont certains étaient gagnés par la corruption.

Le prétexte de l’opération - libérer le soldat fait prisonnier - ne pourra que durcir l’attitude des Palestiniens. Il n’y a pas pour eux de sujet plus important que la libération des prisonniers palestiniens - une question qui concerne directement 10 000 familles palestiniennes élargies, dans chaque ville, dans chaque quartier, dans chaque village. Ces familles sont prêtes à souffrir pour obtenir leur libération.

Le plan dit « de convergence » est la seconde victime de l’opération, il est devenu ridicule. Pour l’Israélien moyen, cela se présente comme ça : nous avons quitté Gaza et nous y revoilà, nous avons démantelé les colonies et, en échange, nous avons les Qassam à Sdérot. Sharon a échoué et Olmert échouera deux fois plus.

C’est vrai mais pas pour les raisons que l’on croit. L’évacuation de Gaza n’a pas apporté la sécurité parce qu’elle fut menée sans dialogue ni accord avec les Palestiniens. Elle ne nous a pas rapprochés de la paix parce qu’elle est liée au projet manifeste d’annexer de larges portions de la Cisjordanie. Et, cela n’est pas le moins important, nous n’avons pas réellement quitté entièrement la Bande de Gaza, mais nous l’avons isolée et coupée du monde. Tout cela est encore plus vrai de la « convergence » d’Olmert.

Puissent « les Pluies d’été » l’avoir effacée de la carte.

Gush Shalom, le 3 juillet 2006 -
http://zope.gush-shalom.org/home/en...
Reçu du traducteur de l’anglais : Jacques Jedwab, par la voie de Nadine Ghys


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