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Avi Moghrabi, réalisateur - Entretien

mercredi 1er décembre 2010 - 09h:42

Karim Lebhour - BabelMed

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Le seul de mes films diffusé en prime time Channel 1, la première chaîne nationale, est Comment j’ai appris à surmonter ma peur et a aimer Ariel Sharon (1996), et je crois qu’en fait ils n’ont pas compris le film. Lorsque les gens de Channel 1 l’ont acheté, ils ont cru que c’était une apologie d’Ariel Sharon.

Avi Moghrabi est né en 1956 à Tel Aviv. Son ?uvre est marquée par ses convictions politiques contre l’occupation et une implication très personnelle de la figure du réalisateur dans ses films. A signaler parmi ses principaux films : Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon (1996), Happy Birthday, Mr Mograbi ! (1998), Août, avant l’explosion (2001), Pour un seul de mes deux yeux (2005), Z32 (2008). Nous l’avons rencontré.

Dans votre dernier film, Z32, vous faites parler un ancien soldat israélien qui a participé à une opération de représailles en territoire palestinien et qui s’est soldé par la mort de deux policiers palestiniens, sans armes. Dans Valse avec Bachir, Ari Folman traite lui aussi des interrogations de soldats israéliens. Est-ce une tendance en Israël ?

Je voudrais pouvoir le dire, hélas ce n’est pas le cas. D’autres films se sont intéressés aux soldats israéliens et à leur comportement : To see if I’m smiling de Tamar Yarom (Pour voir si je souris, 2007) ou Bil’in Habibti (Bil’in mon amour, 2006) de Shai Pollak. On pourrait croire que cela reflète une interrogation de la société israélienne sur son armée, le sommet de l’iceberg en quelque sorte. Mais dans la société israélienne, l’iceberg n’est tout simplement pas là. Ce qui est intéressant en Israël, c’est que ces films existent et peuvent même bénéficier de subventions publiques, mais ils n’ont pas d’impact. Cela montre une forme de tolérance et la réalité de la démocratie israélienne.

Bien sûr, c’est une démocratie principalement pour les citoyens juifs. Quand Mohammed Bakri (réalisateur arabe-israélien, ndr) a fait son film Jenin, Jenin (2002), il a essuyé un tombereau de critiques et il n’a évidemment pas eu un sou de fonds publics. La démocratie permet la liberté d’expression, mais vous ne pouvez pas forcer les gens à écouter et la démocratie israélienne a prouvé à de nombreuses reprises qu’elle peut ignorer très facilement les faits qui lui sont présentés. Mon dernier film Z32 est tiré d’un article publié sur quatre pages dans le numéro du week-end du grand quotidien Maariv, il y a trois ans et demi. Le lendemain, l’histoire a été totalement ignorée. Pas un journal, pas un éditorial n’en a parlé. Silence total. La société israélienne n’est pas prête à entendre un message dur sur son propre comportement.

Et pourtant vous continuez à faire des films et à dénoncer ce qui constitue pour vous les travers de la société israélienne.

Je ne fais pas mes films en pensant qu’ils auront un impact. Je le fais malgré le fait qu’ils ne rencontrent aucun écho. Si vous êtes engagé, si vous souhaitez des changements, il faut bien s’exprimer, et le cinéma reste mon moyen d’expression. Z32 connaît un destin très similaire à mes autres films : très bien accepté à l’étranger, mais en Israël le public est très modestement intéressé. Il a été diffusé sur Channel 8, une chaîne documentaire avec relativement peu d’audience. Le seul de mes films diffusé en prime time Channel 1, la première chaîne nationale, est Comment j’ai appris à surmonter ma peur et a aimer Ariel Sharon (1996), et je crois qu’en fait ils n’ont pas compris le film. Lorsque les gens de Channel 1 l’ont acheté, ils ont cru que c’était une apologie d’Ariel Sharon. Bien sûr je n’ai rien dit. Mais oublions mes films. Comment la société israélienne peut-elle ignorer ce qui s’est passé à Gaza et ce que nous avons fait là-bas ? Toute personne normalement constituée devrait bondir en comparant le nombre de tués à Gaza en vingt-deux jours et le nombre de tués en Israël en dix ans. Quelque chose ne tourne pas rond dans ce pays. L’usage de la violence est disproportionné. Les Israéliens ne se soucient que de leurs propres souffrances. Le sort réservé à mes films est mineur en comparaison.

Vous apparaissez régulièrement dans vos films. Faut-il y voir le signe de votre implication personnelle dans vos sujets où un effet de mise en scène ?

Mon implication dans mes films est peut-être le trait le plus original de mon travail. Je m’implique dans mes films parce que je me sens partie prenante dans les histoires que je raconte. Ce sont des sujets qui me dérangent. Dans Pour un seul de mes deux yeux (2005), je suis participe autant comme activiste que comme réalisateur. Cette façon de raconter des histoires de manière très personnelle est assez unique. Le procédé est le même chez Nanni Moretti ou Michael Moore, aux Etats-Unis. Je me sens toutefois plus proche de Moretti. J’ai l’impression que les films de Michael Moore donnent des réponses. Les miens posent des questions.

Une scène marquante est celle où vous explosez de colère devant un soldat dans Pour un seul de mes deux yeux.

C’était une scène totalement spontanée. Bien sûr, j’étais conscient que la caméra tournait mais ce n’était pas l’objet. J’ai eu à plusieurs reprises des échanges avec les soldats qui n’ont pas été gardées au montage. Dans ce film, nombre de scènes ont tournées dans les territoires palestiniens alors que je faisais partie d’un groupe d’activistes de l’organisation pacifiste Tayyoush (Vivre ensemble), par exemple la scène dans laquelle des Palestiniens doivent attendre des heures perchés sur des pierres. Pendant longtemps j’ai eu du mal à regarder cette scène de l’altercation avec les soldats. Pour le spectateur, c’est peut-être un moment très humain, mais moi je vois surtout une personne en colère qui ne parvient pas à se contrôler et laisse ses émotions le dépasser. Je perçois tout à fait la valeur filmique de cette scène mais ce n’était pas le meilleur moment de ma vie.

Dans le film Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon, votre implication est encore plus évidente puisque vous allez jusqu’à raconter votre propre histoire : celle d’un réalisateur qui suit la campagne électoral d’Ariel Sharon.

Sharon s’est avéré être un film très différent de ce que je pensais au départ. En suivant, la campagne électorale de 1996, mon intention était d’exposer le « vrai » Ariel Sharon, celui dont je pense qu’il est un homme dangereux et un criminel de guerre. La campagne me donnait l’occasion d’être le plus proche possible de lui et de saisir le « monstre ». Au bout de quelques mois, j’ai découvert qu’il pouvait être très sympathique, très amical, plein d’humour. Le « monstre » ne se montrait pas si facilement.

A la fin du tournage, j’ai réalisé que ce que je voulais n’était pas là, mais qu’il y avait une autre histoire à raconter : celle d’un réalisateur qui tombe sous le charme d’un politicien charismatique, même s’il ne partage pas ses opinions. J’ai donc fait mon film sur Avi Mograbi faisant un film sur Ariel Sharon, qui se met à aimer Ariel Sharon et en oublie ses propres convictions. Dans le film, ma femme finit par me quitter à cause de ça. Tout cela est faux. Je ne suis jamais devenu un partisan de Sharon et ma femme ne m’a pas quitté. Quand le film est sorti en 1997, mes amis ne comprenaient pas pourquoi je présentais Sharon sous un jour positif. Quelques années plus tard, Ariel Sharon est devenu Premier ministre. Les Israéliens ont oublié qui était véritablement Ariel Sharon et sa responsabilité dans ce qui nous arrivait. Ils ont voté pour lui et ce que j’avais mis en fiction à propos de moi-même est devenu la réalité du pays tout entier.

Vos films sont parfois à la frontière du documentaire et de la fiction, pourquoi ?

J’utilise beaucoup la fiction. Dans Sharon, je joue plusieurs personnages : moi-même, mon producteur et ma femme. Dans Z32, je chante des chansons en guise de commentaire. C’est un procédé du théâtre bretchien destiné à créer une distance avec l’histoire et à soulever des questions plus abstraites. Je m’intéresse à la réalité, mais en tant que réalisateur, je sais que tous les films sont fictions.

Tous les films sont le point de vue de leur auteur. C’est toujours une histoire que nous racontons. « Valse avec Bachir » est à la fois une fiction et une histoire réelle. Le film raconte ce dont Ari Folman se souvient de sa propre implication dans le massacre de Sabra et Chatila. Ce n’est pas nécessairement ce qui s’est réellement passé, mais la sélection opérée par sa mémoire. Le film documentaire n’existe pas. Ce sont toujours des reconstitutions de la réalité tel que nous pensons qu’elle doit être.

Entretien réalisé par Karim Lebhour

30 novembre 2010 - BabelMed


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