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La presse israélienne cache la vérité

mercredi 24 novembre 2010 - 04h:49

Gideon Levy - Ha’aretz

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Beaucoup d’entre nous courbent la tête, capitulant et s’autocensurant, ce qui est incommensurablement pire qu’une censure par le gouvernement, écrit Gidéon Lévy.

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Les gens ne veulent pas entendre la vérité sur l’opération Plomb durci ? Nous ne leur ferons pas perdre le sommeil avec ça.




Nous sommes réunis à Eilat cette semaine pour notre conférence annuelle ; utilisons-la pour nous interroger. Nous avons bien des raisons d’être fiers de ce que nous écrivons, diffusons, dévoilons, exprimons. Ce n’est pas partout qu’on trouve une presse aussi vivante, surtout une presse aussi libre. Mais cette liberté qui est la nôtre est en grand danger, les amis, une liberté dont nous ne profitons pas vraiment. Un incendie menaçant se propage en ce moment autour de nous, et même s’il n’est pas arrivé jusqu’à nous, il s’approche, et pourtant nous ne prenons pas garde. Le monstre arrive, et il n’y a personne pour l’arrêter.

Ici, les journalistes ne sont pas assassinés, pas encore, mais certains insinuent que cela devrait se produire. Nous ne sommes pas bâillonnés, pas encore, mais certains prêchent publiquement que ce doit être fait. Scandaleusement, certains journalistes demandent à ce que nous soyons refrénés, empêchés de murmurer quelque opinion, sans parler des opinions subversives ou minoritaires. Trop de nos collègues ne comprennent pas leur fonction ; ils confondent relations publiques et journalisme, propagande et vérité, vrai patriotisme, c’est-à-dire faire notre travail, et faux patriotisme, c’est-à-dire servir la propagande.

La maison brûle, les amis, et certains dans la profession mettent de l’huile sur le feu. Au dehors, des lois dangereuses sont votées qui visent les organisations à but non lucratif, les Arabes et les autres minorités, mais cela finira par nous atteindre, nous le souffle de vie affirmé de la démocratie, que trop peu de gens comprennent vraiment.

Il n’y a guère de censure ou de pressions venant du gouvernement, de l’armée ou d’autres groupes de pouvoir en Israël auxquelles nous ne pouvons pas résister. Le problème, c’est que beaucoup d’entre nous courbent la tête, capitulant et s’autocensurant, ce qui est incommensurablement pire qu’une censure par le gouvernement. Trop d’entre nous ont rejoint le service de la propagande israélienne, une presse qui n’a pas été écrite, mais qui est ralliée.

A première vue, aucune idéologie ne domine : les pages éditoriales sont pleines d’une large variété d’opinions, mais une ligne nous commande : il faut se faire aimer par nos lecteurs, ne pas les mettre en colère inutilement, ne pas leur dire ce qu’ils ne veulent pas savoir, mais les émouvoir et les distraire, autant que possible ; pour vendre.

Nous avons descendu des présidents, des ministres et des Premiers ministres avec nos enquêtes et nos articles, et pourtant, la matière première la plus rare chez nous, c’est le courage. Les gens ne veulent rien savoir sur l’occupation ? Nous ne leur en parlerons pas. Les gens ne veulent pas entendre la vérité sur l’opération Plomb durci ? Nous ne leur ferons pas perdre le sommeil avec ça. Nul besoin du Bureau des porte-parole des FDI, il est en nous. La plupart des fantômes qui émergent de l’épouvantable agression de Gaza, le petit nombre d’enquêtes et de procès tardifs, ne sont pas les fruits de nos investigations. Nous avons été mis en sommeil et abusés dans l’opération Plomb durci. Certains d’entre nous ont demandé à ce qu’elle ait lieu, ensuite, ils ont volontairement fait le flou sur ce qui s’est passé là-bas.

Le gouvernement nous a fermé la Bande de Gaza depuis novembre 2006 et, de façon scandaleuse, personne n’a relevé le défi. Il est difficile de croire que seule, une journaliste courageuse, Amira Hass, a réussi à se trouver sur les lieux pour écrire, sans faire partie d’une unité armée, alors que le reste de la presse avait déclaré forfait. Les militants de la flottille turque pour Gaza ont été traités de « terroristes » par les médias, sans dire en quoi ils l’étaient, parce c’est comme cela que notre gouvernement les appelait, parce que c’est ce que voulaient nos lecteurs, et ce faisant, nous avons justifié le meurtre de neuf de ces militants.

Une presse, qui excelle à bien des égards, faillit à sa tâche dans la couverture de l’occupation ; elle est le plus grand collaborateur de l’occupation. Elle aide les Israéliens à se donner l’impression qu’il n’y a pas d’occupation. Sans la campagne de déshumanisation de la presse, les Israéliens seraient moins contents d’eux, et peut-être que plus de doutes, sur le plan moral, s’installeraient sur ce que nous faisons.

En ignorant les choses, et en servant la propagande, la presse ne remplit pas la tâche qui est la sienne, elle permet que se perpétue cette cruauté non loin de chez nous, en la repoussant à des années-lumière de notre conscience. Nous devons parler de tout cela à Eilat, entre les honneurs et le langage fleuri. Autour d’un gin tonic, nous devons nous demander si nous transmettons la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité.

Du même auteur :

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21 novembre 2010 - Ha’aretz - traduction : JPP


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