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Le chant de la liberté

mardi 23 novembre 2010 - 07h:45

Stefan Christoff

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Abeer Alzinaty chante les femmes et l’indépendance.

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Je dis que je suis une Palestinienne, non parce que je me soucie de nationalisme, mais pour notre combat pour la liberté, pour la libération.
(Photo : Sabreenanow)




Abeer Alzinaty (allias Sabreena la Sorcière) est l’une des premières chanteuses palestiniennes représentant une nouvelle génération et expression de la résistance culturelle palestinienne qui allie hip-hop et modes arabes, et elle force l’attention du monde.

Originaire de la ville palestinienne de Lydd en Israël, Alzinaty marie les chants traditionnels arabes et la musique hip-hop et électronique, offrant un style sans pareil qui souvent évoque le vécu des femmes palestiniennes et défie les codes sociaux patriarcaux. Ces dernières années, Alzinaty a travaillé avec le célèbre ensemble hip-hop palestinien DAM, avec le rappeur Invincible, de Détroit, pour la chanson People Not Places, et elle est apparue dans le documentaire Slingshot HipHop. En chantant, Alzinaty défie le mythe de la démocratie israélienne pour les Palestiniens, et elle a énormément chanté dans les villes canadiennes lors de la Semaine contre l’apartheid israélien, en 2010.

Hour : Pouvez-vous nous parler de vos premières expériences dans la musique et de votre première inspiration en tant qu’artiste ?

Abeer Alzinaty : Dès mon plus jeune âge, la musique m’a apporté un grand bien-être. Je restais assise pendant des heures à écouter de la musique quand j’étais enfant en Palestine. La plupart des gosses ont des amis imaginaires, moi j’avais des foules et des publics imaginaires.

J’aurais voulu jouer et chanter pour ces foules dans ma tête.

J’ai commencé aussi à écrire des poésies dans un journal. En fait, le premier jour où j’ai écrit dans mon journal, c’est le jour où j’ai eu mes premières règles. En devenant une femme, j’ai ressenti le besoin d’écrire sur les femmes, parce que je sentais que je n’avais personne pour en parler, sauf dans un carnet. Je n’encourais aucune punition à m’exprimer dans un carnet.

Hour : Pourquoi la poésie ?

Alzinaty : Après que j’aie passé quelques temps avec moi-même et découvert que je pouvais rimer, le temps a doucement évolué dans la musique. C’était comme une thérapie et ce processus de l’écriture me faisait me sentir bien, et souvent il me rendait la confiance et ma foi dans le monde.

Puis, à 16 ans, j’ai entendu parler des crimes d’honneur et j’ai vu dans mes rêves les filles qui avaient été tuées, comme si elles me disaient, « Pourquoi es-tu encore en vie ? ». Alors, j’ai compris qu’à travers ma musique je devais parler de ces femmes qui avaient été tuées ; car ma musique ne voulait pas seulement que je sois bien, elle était aussi un moyen d’évoquer d’autres personnes, en particulier si elles étaient mortes à cause d’une telle injustice. Je voyais que personne ne parlait de ces filles et de ce qu’elles avaient vécu. Je me suis senti comme un devoir de le faire.

J’ai pensé que je devais m’exprimer sur les problèmes de notre monde, des crimes d’honneur et de la Palestine. En même temps, ce processus m’a mûrie et éclairée. Après avoir écrit pendant quelques temps et être devenue sociale et politique dans mon art, je me suis mise à jouer avec les rythmes et la musique, et aussi avec le clavier. Même si j’avais commencé à jouer du clavier très jeune, je n’avais jamais songé à composer mes propres airs et mélodies, ce n’est que plus tard que cela m’est venu tout naturellement.

Hour : En abordant la réalité des crimes d’honneur, vous touchez là à un tabou social, une question qui n’est toujours pas discutée ouvertement au Moyen-Orient. Mais vous portez aussi une critique contre l’intervention et la colonisation occidentales dans votre musique aujourd’hui. Pourquoi est-ce important pour vous de faire entendre votre voix sur ces questions internes à la société arabe ?

Alzinaty : En réalité, quand j’ai commencé à parler des crimes d’honneur, mes parents sont devenus fous ; ils m’ont dit qu’il ne fallait pas parler de cela. Aussi, je me suis demandé pourquoi on considérait comme une faute d’aborder certains sujets. Mes parents m’ont dit un jour que si je choisissais de faire comme Umm Kulthum ou Fairouz, ils me soutiendraient. Mais ils ne m’ont pas aidée pour que je fasse ma propre musique. J’étais donc stupéfaite et fascinée par ce qui amenait ma famille à être si préoccupée du fait que j’aborde des sujets particuliers dans ma musique.

Nous avons beaucoup de problèmes dans les sociétés arabes, surtout en ce qui concerne les femmes, et il n’en est jamais question parce c’est bien confortable pour les hommes de rester dans leurs (positions de pouvoir). De sorte que j’ai ressenti comme vraiment important de parler de ces questions qu’ouvertement on considère comme tacites.

Hour : A-t-il été difficile de chanter et d’écrire sur la Palestine pour vous, une Arabe vivant en Israël, une Palestinienne avec la citoyenneté israélienne ?

Alzinaty : En fait, la plupart des Israéliens deviennent très gênés dès que vous leur parlez de la Palestine. Ils deviennent enragés parce que vous mettez à jour une vérité qu’Israël ne veut pas que le monde entende. Les enseignants israéliens étaient si affectés par ce que j’écrivais à l’école qu’ils m’ont donné envie de rechercher et d’étudier plus à fond les problèmes et pourquoi les gens en Israël devenaient si contrariés quand vous abordiez de telles questions. Israël se prétend un pays démocratique, mais pour les Arabes qui vivent à l’intérieur d’Israël, ce n’est pas le cas et telle est ma véritable expérience. Une fois, un enseignant israélien m’a dit que parler de l’occupation israélienne ou de l’apartheid était malvenu : alors où est notre prétendue liberté en Israël ?

Hour : Pourquoi était-il important pour vous d’aborder ces questions (l’occupation israélienne de la Palestine, les droits des femmes au Moyen-Orient et dans le monde) à travers la culture, à travers la chanson ?

Alzinaty : Je n’avais pas d’autre choix que de passer par ces expériences dans ma vie. Ces questions s’imposaient à moi. Elles touchaient à ma vie directement. Ma musique se faisait l’écho de ma réalité. En tant que femme palestinienne vivant à l’intérieur d’Israël, tous ces sujets avaient un impact sur moi, alors je les chantais. Une chanson dans mon nouvel album s’appelle Choice (Le Choix), elle dit que je n’ai pas le choix de chanter sur d’autres choses. Ma musique aborde parfois d’autres sujets douloureux, comme les crimes d’honneur, mais parce c’est une musique, cela peut être libérateur et j’essaie d’être positive, même sur de tels sujets sombres, et de chanter sur les possibilités de changement.

Hour : Aujourd’hui, vous vivez aux Etats-Unis. Qu’en est-il d’être une artiste palestinienne travaillant aux USA ? Comment le fait d’être entourée par la culture et l’histoire américaine a-t-il influencé votre travail ?

Alzinaty : En réalité, cela fait bien longtemps que je suis tombée amoureuse de la musique américaine, avant même que j’en comprenne les mots. En entendant Nina Simone pour la première fois, ce fut pour moi comme si j’entendais Fairouz ; vous pouviez dire que la musique venait de quelque part, très, très profond, pas seulement dans son esprit à Nina, mais aussi dans son corps. Il y avait une douleur dans sa voix. En fait, vous n’avez même pas besoin de comprendre les mots de Nina Simone pour comprendre, par sa voix et son visage, que sa musique fait partie d’une longue lutte historique, de l’expérience de l’esclavage, du mouvement des droits civiques.

J’aime les chants de la liberté et la musique gospel parce qu’il y a une telle douce douleur et parce que ils sont vrais. J’étais fascinée d’entendre comment cette lutte résonnait, dans la chanson.

Hour : De votre point de vue, avez-vous noté une évolution ou un changement dans l’opinion populaire envers la Palestine ces dernières années ? Et la musique et la culture ont-elles joué un rôle dans l’élargissement de la compréhension populaire du combat palestinien ?

Alzinaty : J’ai appris sur la situation palestinienne par la musique, pas par ma famille. J’ai entendu une chanson de Julia Boutros, Wein El Malayeen, alors que j’étais très jeune et ce fut la première fois, je m’en souviens, que j’ai pensé à la Palestine.

En tant que Palestinienne, je suis venue à mes premières interrogations sur la Palestine par la musique, de sorte que je ne suis pas étonnée qu’il y ait une évolution au niveau mondial dans la compréhension des gens sur la Palestine, ni que la culture et la musique aient joué un rôle dans cette évolution.

Le nombre de personnes à m’avoir contactée ces trois dernières années, depuis la sortie de Slingshot HipHop, est surprenant. Les gens ont beaucoup appris sur la musique grâce à ce film. Il a été diffusé sur la chaîne Sundance aux Etats-Unis. De nombreux Etats-uniens, qui ne connaissaient rien (du combat palestinien), m’ont envoyé des courriels après avoir vu le film à la télévision.

Aujourd’hui, je dis que je suis une Palestinienne, non parce que je me soucie de nationalisme, mais pour notre combat pour la liberté, pour la libération. C’est pour cela que je m’appelle moi-même, palestinienne. Je sais que la menace israélienne existe contre nous, tout le temps, mais ça ne me fait plus peur comme autrefois.


Si vous voulez mieux connaître Abeer Alzinaty, rendez-vous sur : http://www.myspace.com/sdawitch et regardez la vidéo ci-dessous.


Stefan Christoff est journaliste, organisateur communautaire et musicien à Montréal ; il écrit régulièrement pour Hour. Twitter : http://twitter.com/spirodon

Du même auteur :

- Des artistes brisent le silence sur la Palestine - Rabble.ca
- Les blessés continuent de souffrir dans Gaza - Rabble.ca
- Le Québec soutient-il l’Apartheid ? - The Electronic Intifada


Sur le même sujet :

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Vidéo : Hip Hop Diplomacy

11 novembre 2010 - Hour - traduction : JPP


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