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Misère des réfugiés irakiens à Damas

mardi 27 février 2007 - 05h:56

Emilie Sueur

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La guerre civile en Irak fait fuir des milliers de gens de leur pays. Un million d’entre eux sont arrivés en Syrie, qui compte 20 millions d’habitants. Du coup, Damas restreint les conditions de séjour des réfugiés sur son sol.

Fallouja, s’il vous plaît " Le chauffeur de taxi jette un coup d’oeil dans le rétroviseur vers ses passagers et sourit. "Vous voulez dire Jaramana, non ? "

Avec l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés irakiens fuyant les violences qui ensanglantent leur pays, Damas est en proie à quelques changements démographiques et géographiques.

À l’image du chauffeur de taxi, tous les Damascènes savent désormais que Jaramana, un quartier de Damas, se transforme peu à peu en bastion irakien.

Ici, chacun a son histoire, mais toutes ont un point commun : la violence.

En sécurité nulle part

Installé dans le large fauteuil du coiffeur du quartier, Thamer, un chrétien de 35 ans, raconte : "Il y a un an, mon père, un directeur de banque, s’est fait kidnapper à Bagdad." Ironie du sort, c’est une alerte à la bombe qui l’a sauvé. "En fouillant une voiture à un barrage, les policiers ont découvert mon père dans le coffre", explique cet ancien ingénieur en informatique. La famille a immédiatement plié bagage.

A quelques mètres du coiffeur, trois hommes s’affairent dans une boulangerie ouverte sur la rue. Du grand four à gaz installé au fond de l’étroit local, Mohammed extrait d’épaisses galettes de pain, une spécialité irakienne. Les mêmes que celles que cet homme de 28 ans achetait, il y a trois mois encore, rue Haïfa, à Bagdad.

"À Bagdad, la situation est invivable. Désormais, vous n’êtes en sécurité nulle part", explique le jeune sunnite, qui travaillait dans une agence de location d’appartements. "Vous pouvez être tué dans votre propre maison. On ne peut pas vivre comme ça". On ne peut pas vivre, on ne peut pas aimer, on ne peut pas se marier. "Chez nous, si un décès a lieu dans la famille, on doit attendre quelques mois avant de se marier, par respect. Or, les décès s’enchainent. Résultat, je suis toujours célibataire", s’exclame-t-il, en riant.

En Syrie, Mohamed n’est plus la cible d’éventuelles violences, mais tout n’est pas rose pour autant. "Entre le loyer de la maison et de la boutique, je dois débourser chaque mois 500 dollars. Ce que je gagne ne couvre que la moitié. Pour le reste, ma famille m’envoie de l’argent de Bagdad".

Si la situation du jeune homme n’est pas reluisante, certains réfugiés irakiens sont tombés plus bas encore. À l’église Ibrahim el Khalil, au coeur de Jaramana, la soupe populaire est de plus en plus fréquentée par des familles irakiennes. "Les Irakiens ont commencé à venir chez nous il y a deux ans. Mais, depuis un an, leur nombre ne cesse de croître", explique Hayat Chahine, responsable des oeuvres de l’église. Une progression qui correspond à la dégradation de la situation en Irak. Depuis l’attentat de février 2006 contre le mausolée chiite de Samarra, les violences confessionnelles ont explosé en Irak.

Plus que la précarité économique, c’est toutefois la question du permis de séjour qui angoisse les réfugiés irakiens. La Syrie et la Jordanie sont les deux seuls pays à avoir sérieusement ouvert leurs portes aux réfugiés. Aujourd’hui, selon le Haut commissariat aux réfugiés de l’Onu (HCR) près d’un million de réfugiés irakiens sont en Syrie. Pour ce pays, qui compte 20 millions d’habitants, cette présence massive pose problème. A Jaramana, de nombreux Syriens se plaignent de la flambée des loyers. Les cafés y ont été fermés pour éviter que les Irakiens n’entrent dans des débats politiques risquant de dégénérer. À l’image de ce qui se passe en Irak.

Restrictions de séjour

Face à cette situation, la Syrie a décidé, à la mi-janvier, de durcir les règles d’immigration. Auparavant, à l’expiration de leur visa, les Irakiens pouvaient se rendre à la frontière, faire tamponner leur passeport et revenir à Damas dans la journée. Aujourd’hui, ils doivent quitter la Syrie pendant un mois. Le Liban ne leur octroyant pas de visa d’une telle durée, c’est en Irak qu’ils doivent repartir.

Un cauchemar pour Salma, 35 ans et mère de trois enfants en bas âge, dont le visa expire dans un mois. "Mon mari a été accusé de collaboration car il travaillait à Bagdad dans un hôtel qui abrite des Américains. Nous avons dû fuir. Nous avons vendu notre maison, notre voiture. Aujourd’hui nous n’avons plus rien en Irak" .

En visite à Damas début février, le Haut commissaire aux réfugiés, António Guterres, qui a qualifié la situation de désastre humanitaire, a déclaré avoir reçu des assurances de Damas qu’elle ne déporterait pas de réfugiés vers l’Irak. Visiblement pas convaincus, des milliers de réfugiés irakiens se sont toutefois rués dans les bureaux du HCR pour se faire enregistrer. Prudents, ils évitent de circuler la nuit, car les rumeurs d’arrestations courent la ville. "Le HCR dit qu’on ne sera pas déportés, mais si un policier nous arrête, il faudra le payer. On sait comment ça marche", assure une jeune Irakienne qui refuse de donner son nom.

"Normalement, la salle est bien plus pleine. Mais avec la nouvelle législation, les Irakiens sortent moins", explique Mays Gomar, une comédienne irakienne menacée de mort dans son pays en raison de sa profession. Depuis trois mois, Mays et ses collègues irakiens jouent, dans un vieux théâtre de Damas, une pièce intitulée "Homesick". Nour, une jeune réfugiée, a tout de même fait le déplacement. Que ressent-elle en voyant des acteurs irakiens parler de son pays ? "Vous savez, dès qu’on évoque l’Irak, mon coeur saigne".

Emilie Sueur est envoyée spéciale à Damas

19 février 2007 - La Libre Belgique - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.lalibre.be/article.phtml...


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