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« Pas de citoyenneté sans loyauté ! »

mardi 8 juin 2010 - 05h:02

Neve Gordon
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Alors que manifestations et contre-manifestations sont généralement le signe d’une politique saine, dans le cas présent, les manifs progouvernementales ont révélé une tendance extrêmement inquiétante dans la société israélienne.

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Un manifestant palestinien de l’université de Haïfa interpellé.




En Israël, la plupart des manifestations qui ont eu lieu contre la prise d’assaut, par la marine, de la flottille humanitaire ont été organisées dans l’espace palestinien. Ce sont des citoyens palestiniens, dans la plupart des grandes villes et agglomérations, de Nazareth à Sachnin et de Arabe à Shfaram, qui ont manifesté contre l’agression qui a fait neuf tués et de nombreux blessés. La grève générale d’une journée à laquelle avaient appelé les dirigeants palestiniens en Israël a été suivie le plus souvent seulement par des citoyens arabes.

Par contraste, dans l’espace juif la vie a continué comme à l’habitude. A part une manifestation devant le ministère de la Défense à Tel Aviv qui a rassemblé quelques centaines de militants, les seuls endroits où il y a eu quelques signes de protestation populaire contre l’opération ont été les campus des universités israéliennes. Bien qu’en nombre ces manifestations ont été elles aussi négligeables - moins de 2 000 manifestants venus des différents campus, sur un corps de plus de 200 000 étudiants -, elles n’en ont pas moins été importantes à la fois parce qu’elles se tenaient dans l’espace juif, et aussi parce que les manifestants étaient des juifs et des Palestiniens se tenant côte à côte.

Peut-être est-ce en raison de la condamnation internationale générale de l’agression contre la flottille, mais les forces de police israéliennes y sont allées relativement en douceur à l’égard de ces manifestations. Leur prudence a été particulièrement frappante quand on la compare à la réaction policière pendant la guerre contre Gaza. 12 étudiants de Technion et de l’université de Haïfa ont néanmoins été arrêtés, et un à l’université Ben Gourion qui a été interpellé par des agents en civil.

Il y a eu cependant une réaction viscérale à ces manifestations de campus de la part des étudiants favorables au gouvernement. Des contre-manifestations ont été immédiatement organisées, amenant des foules beaucoup plus grandes qui se sont rassemblées autour du drapeau. Alors que manifestations et contre-manifestations sont généralement le signe d’une politique saine, dans le cas présent, les manifs progouvernementales ont révélé une tendance extrêmement alarmante dans la société israélienne.

Un groupe d’étudiants de l’opposition, de l’université Ben Gourion, avait accroché une grande banderole dans la rue près de leur foyer logement hors campus : « 15 morts - le gouvernement israélien comme d’habitude a ses raisons, et la majorité sioniste comme d’habitude apporte son soutien ». Leurs voisins leur ont craché dessus et les ont traités de « connards », de « putes » et de « traîtres qui aiment les Arabes » jusqu’à ce que les étudiants déguerpissent.

Le lendemain matin, ces étudiants et leurs amis ont mis la même banderolle sur l’immeuble de l’administration, ouvrant une troisième vague de protestations sur le campus. Tant ces opposants que les partisans du gouvernement israélien utilisent Facebook pour informer leurs amis de ces manifestations spontanées et de ce fait, en quelques minutes, autour de deux cents étudiants des deux côtés se trouvaient rassemblés, scandant des slogans au milieu du campus.

Un étudiant palestinien avec un drapeau palestinien a été bousculé et son drapeau arraché des mains par quelques manifestants progouvernementaux qui scandaient : « Pas de citoyenneté sans loyauté ! ». En réponse, les opposants juifs et palestiniens criaient : « Non, non, il ne passera pas, le fascisme ne passera pas ! », « On ne fait pas la paix sur les corps des victimes ! ».

A un moment, un provocateur juif qui ne faisait partie d’aucun de ces groupes (et qui pourrait bien être un policier) a levé une main en l’air et lancé : « Heil Liberman ! ». La réponse des étudiants progouvernementaux a été immédiate : « Mort aux Arabes ! ». Par chance, le service sécurité de l’université a réussi à créer un espace entre les manifestants, et ainsi à empêcher que l’incident ne devienne encore plus violent.

Les étudiants progouvernementaux, interrogés par la presse, ont déclaré qu’ils avaient été « choqués de voir des membres du corps enseignant avec les étudiants de gauche et les étudiants arabes crier des slogans contre Israël. » Leurs camarades de cours ont mis des photos des manifestations sur Facebook, demandant aux étudiants de leur bord d’ « identifier leurs "amis" de classe. »

Un groupe Facebook a été créé pour demander ma démission : à la fin de la journée, plus de 1 000 personnes s’y étaient jointes. Souhaitant ma mort et demandant que les membres de ma famille se voient retirer leur citoyenneté et soient exilés hors d’Israël, les membres de ce groupe Facebook font en outre des propositions plus pragmatiques, telle qu’exiger de concentrer les efforts pour se débarrasser des chargés d’enseignement qui critiquent le gouvernement, étant donné qu’étant professeur titulaire, il est plus difficile de me virer.

Ce qui est troublant à propos de ces étudiants progouvernementaux, ce n’est pas qu’ils soient pour le gouvernement, c’est leur façon d’agresser quiconque pense différemment d’eux, dans une absence totale d’autocritique ou de retenue. Si c’est comme cela que les étudiants des meilleures universités d’Israël réagissent, alors qu’avons-nous à attendre du reste de la population ?

Neve Gordon est un politologue et historien israélien né en 1965. Il enseigne à l’université Ben-Gourion du Néguev où il dirige également le Département de sciences politiques et gouvernementales.

Durant la Première Intifada, il fut directeur de la section israélienne de Physicians for Human Rights et durant la Seconde Intifada, il devint un membre actif de l’ONG Ta’ayush, qui rassemble Juifs et Arabes israéliens. Il soutient la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions lancé à Bilbao en 2008 et fait partie du comité de soutien d’Ezra Nawi, le militant non-violent arrêté en 2009. (Wikipédia)

Du même auteur :

- Vin amer pour les Bédouins d’Israël

4 juin 2010 - London Review of Books - traduction : JPP


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