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A Hébron, l’ordre clanique pallie le vide du pouvoir

lundi 19 février 2007 - 12h:12

Haizam Tamimi et Dominic Evans

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HEBRON, Cisjordanie (Reuters) - "L’autorité est inexistante. A Hébron, nous réglons nous-mêmes nos problèmes." Fazi Djadoua Oweiwi, l’homme qui s’exprime ainsi, est à la tête de l’une des plus grandes familles de cette ville de Cisjordanie. En l’absence de forces de l’ordre efficaces, il est souvent appelé pour résoudre des querelles mais aussi des vols ou des meurtres.

Il y a quelques jours, c’est lui qui a empêché que l’incendie d’une voiture ne dégénère en affrontement entre deux familles palestiniennes.

L’Autorité palestinienne, créée par les accords intérimaires de paix de 1993, est pourtant censée maintenir l’ordre dans les territoires de Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Mais la répression israélienne engagée avec la seconde Intifada, qui a débuté il y a plus de six ans, conjuguée à l’embargo international décrété après la victoire électorale des islamistes du Hamas et aux violences interpalestiniennes ont privé la police palestinienne de tout contrôle véritable sur le cours des événements.

Aussi, face à ce qu’ils considèrent comme un chaos croissant, Oweiwi et d’autres chefs de clan se sont-ils mués en ’juges de paix’. Leur influence découle des liens tribaux traditionnels de la société palestinienne. En pratique, ils peuvent si nécessaire mobiliser des centaines de leurs proches.

"Je peux faire venir ici en un quart d’heure un millier de personnes sur un simple coup de téléphone", assure Oweiwi. "La situation est mauvaise, et elle s’aggrave", poursuit cet homme de 75 ans. "Si nous, les chefs des tribus de Cisjordanie, disparaissions, les gens finiraient par s’entre-égorger."

Frénésie pour les armes

Nadji Moustafa Abou Seneineh, qui dirige un autre clan de Hébron, raconte lui qu’il est récemment intervenu à Bethléem pour régler un litige foncier portant sur 40 dunums (4 hectares) de terre.

L’insécurité à Hébron, dit-il, conduit de plus en plus d’habitants à vouloir assurer leur propre sécurité. La tendance a provoqué une véritable frénésie pour les armes, dont les prix flambent. "Je connais des familles qui ont réduit leurs dépenses alimentaires pour pouvoir s’armer", poursuit-il.

Oweiwi comme Abou Seneineh affirment que l’influence de leurs familles a permis, pour l’heure, d’éviter que les violences entre factions ne dégénèrent en Cisjordanie à l’image de ce qui se passe dans Gaza, où des dizaines de Palestiniens ont péri en décembre et en janvier.

D’autres grandes familles n’hésitent pas à défier directement les forces de l’ordre.

En décembre, un commissariat de police de Hébron a été littéralement pris d’assaut. Quinze policiers ont été enlevés, six autres ont reçu des balles dans les jambes et une quinzaine de véhicules de police ont été incendiés. Selon des membres de la sécurité, les assaillants souhaitaient venger la mort d’un des leurs tué par la police.

Criminalité en hausse

La hiérarchie policière se dit dans l’incapacité de lutter contre la violence ou de contester cette "autorité tribale".

L’embargo économique imposé après l’arrivée au pouvoir du Hamas explique en partie cette perte de contrôle. De nombreux policiers ne perçoivent plus qu’une fraction de leur salaire. "Je travaille à mes propres frais, je paie moi-même mes dépenses téléphoniques", témoigne un responsable palestinien sous le couvert de l’anonymat.

Le déploiement de l’armée israélienne autour de plusieurs implantations juives dans le centre de Hébron entrave également l’action des forces de l’ordre, poursuit-il. Les policiers palestiniens ne peuvent plus se déplacer comme ils le voudraient.

Finances en berne, restrictions de mouvement. Si on y ajoute les profondes tensions politiques entre factions, on obtient un tableau relativement complet des raisons pour lesquelles la police est aujourd’hui impuissante à remplir sa mission.

"En absence d’un état de droit, les criminels et les gangs se développent et menacent la stabilité de la société palestinienne", poursuit ce responsable palestinien.

Et pour les civils qui ne peuvent s’abriter sous la protection d’une des grandes familles de la ville, l’impunité et le désordre sont motifs d’une inquiétude plus forte encore.

Hatem al Charif, qui tient une petite boutique de cordonnerie, est dans ce cas. Il dit avoir dépensé récemment 1.000 dinars jordaniens (1.400 dollars) pour s’acheter un pistolet. L’arme vient d’Egypte, dit-il. Son numéro de série a été effacé. "Je l’aurais acheté avant si j’avais pu. Et si j’avais suffisamment d’argent, j’achèterais un (fusil automatique) M-16."

Haizam Tamimi et Dominic Evans - La Tribune (avec Reuters), le 19 février 2007


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