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Tel un avion sans pilote

vendredi 7 mai 2010 - 06h:55

Amira Hass

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Même si pas une maison juive de plus n’était construite dans les Territoires occupés (y compris Jérusalem-Est), l’énorme appareil de domination continuerait d’y opérer dans une logique interne et pour durer bien des années.

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Une Palestinienne étend son linge à l’extérieur de sa maison, devant la barrière de séparation, dans le camp de réfugiés de Shuafat, en Cisjordanie, le 4 mai 2010.
Reuters




Le Premier ministre Benjamin Netanyahu est à tort pris pour cible dans l’avancement d’une politique sans son implication. Les intellectuels juifs, qui soudain voient le trou noir et sont terrifiés, devraient le savoir : même si pas une maison juive de plus n’était construite dans les Territoires occupés (y compris Jérusalem-Est), l’énorme appareil de domination continuerait d’y opérer dans une logique interne et dans la durée, pour bien des années. Une logique filant sur sa lancée, tel un énorme avion sans pilote.

Les Premiers ministres vont et viennent, les négociations s’arrêtent et redémarrent, de nouvelles coalitions se forment, et cet appareil continue à voler, par sa propre énergie. Il préserve et développe les privilèges des juifs dans le Grand Israël. Il fixe les limites des réserves indiennes. Quand il veut, il les fait se relier ; quand il ne le veut pas, il les sépare. Sa volonté est faite : un chômage de 52% ou un de 19%, cette densité de population dans les villages et les villes, ce diamètre des canalisations d’eau, il faut tant de jours à attendre avant de recevoir les soins qui peuvent sauver une vie. Si les aborigènes le veulent, ils peuvent continuer à vivre, dans les réserves ; si non, qu’ils partent.

Tenez, par exemple, l’ordre qui a été publié le 26 avril pour la démolition d’un bâtiment dans la communauté d’Umm al-Kheir, dans le sud des collines d’Hébron. Le formulaire normalisé a été signé par le sous-comité d’inspection du Conseil supérieur de la planification de l’Administration civile. L’ordre nous indique qu’il a été remis par un « Carlo » en présence de « l’officier des opérations du DCO (bureau de coordination pour le district) d’Hébron ». On imagine facilement qu’il était escorté par des soldats. Et nous savons que des inspecteurs à la vue perçante avaient localisé le bâtiment coupable.

Le patron de l’Administration civile, le général Yoav Mordechai, lui, ne savait probablement pas que la chaîne de montage en série dont il assume la direction avait publié cet ordre pour faire démolir un « bâtiment de toilettes en béton d’environ 3 m2 ». Netanyahu n’avait certainement aucune idée de tout ça. Mais l’ordre contient en son sein une philosophie antique israélienne, une philosophie qui interdit aux Palestiniens de construire des toilettes, de creuser des réservoirs pour recueillir l’eau de pluie, ou de raccorder à un réseau d’électricité plus de la moitié du territoire occupé.

Les soldats ont intériorisé cette philosophie, et ils la ramènent avec eux en Israël. Pendant ce temps, en Cisjordanie, l’interdiction de connecter ce territoire à l’électricité sabote les possibilités d’apprendre des enfants palestiniens. Ni l’arrêt des constructions dans les colonies, ni les négociations de proximité qui démarrent aujourd’hui n’empêcheront cet acte de sabotage contre l’enseignement des enfants, acte que l’appareil israélien exécute comme une question de cours. En réalité, ce n’est même pas un appareil, c’est une gigantesque usine. Pas une chaîne de montage, mais moult chaînes de montage.

Derrière une telle chaîne de montage, il y a les planificateurs. Ils sont les génies de l’architecture, les diplômés des meilleures écoles d’Israël, ceux qui ont imaginé ce labyrinthe de double réseau routier, un pour les Palestiniens et un pour les Israéliens (surtout des juifs), ou la clôture/mur de séparation qui excelle pour déconnecter des quartiers peuplés de leurs terres, de leur passé et de leur avenir.

La clôture est affreuse, et atroce, plus encore que le projet Holyland. Avec les labyrinthes de séparations, on a créé la résistance. Alors, l’appareil a mis une autre chaîne de montage en route : le système judiciaire militaire.

Les diplômés des facultés de droit israéliennes, dans la réserve ou dans l’armée de carrière, furent mobilisés afin de faire comprendre aux aborigènes que ce serait douloureux de résister ; ils les ont mis alors en prison, ils leur ont prélevé de lourdes amendes. Puis, ils ont exporté la philosophie de l’oppression vers les tribunaux civils et les salles de classe des enseignements supérieurs de Tel Aviv.

Derrière les chaînes de montage, il y a les représentants du peuple de Sion tout entier, des centaines de milliers de civils et de soldats. Chacun d’eux a un intérêt personnel à maintenir cet appareil, même si cet intérêt est enveloppé sous un cellophane de national ou de sécurité. Netanyahu n’est pas le seul responsable. A lui seul, il ne peut arrêter l’énorme avion sans pilote. Il y a un nombre immense de gens en Israël qu’il faudrait obliger à effacer les programmes de l’appareil de domination et de destruction, avant qu’il ne se retourne contre ses créateurs, ses opérateurs, et tous ceux qui en profitent. C’est-à-dire, chacun d’entre nous.



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Adresse courriel d’Amira Hass : amira@haaretz.co.il

4 mai 2010 - Ha’aretz - traduction : JPP


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