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Résister par l’instruction

jeudi 19 novembre 2009 - 15h:23

Marryam Haleem
The Electronic Intifada

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J’ai commencé à croire que, peut-être, la force qui me viendrait de mon éducation serait dans l’avenir plus grande que celle d’une pierre contre un char... Aussi, définitive ou pas, c’est cette décision que j’ai prise.

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« Le jour où j’ai reçu mon diplôme de l’université a été le plus beau jour de ma vie » dit Ahmed de Beit Hanoun.
(Marryam Haleem)

« Je n’ai jamais été aussi heureux que ce jour-là, » explique Ahmad, « J’ai été libéré ».

« Allons » dis-je en riant alors que nous descendions à pied une rue poussiéreuse de Gaza, et que le soleil méditerranéen nous tapait dur sur la tête. « Ca n’a pas dû être si mauvais. Je veux dire, nous n’aimons pas tous l’école dans une certaine mesure, mais elle a aussi ses bons côtés ».

Son regard grave parait totalement convaincu. «  Le jour où j’ai obtenu mon diplôme de l’université a été le plus beau jour de ma vie, » répète-t-il d’un ton ferme. Et d’ajouter, plus pour lui-même que pour moi, « Je voudrais pouvoir oublier tout les souvenirs de ma scolarité ».

Le premier jour d’école d’Ahmad, c’était en 1991, pendant la première Intifada palestinienne. Il avait alors six ans et habitait dans le nord de la bande de Gaza, à Beit Hanoun ; Ahmad était un bon élève, aimant l’école. Il travaillait dur et il était toujours le premier de sa classe. Après la signature des accords d’Oslo, en 1993, et que l’Autorité palestinienne fut instituée, on a pu croire que la vie dans la bande de Gaza s’était rapprochée d’une certaine normalité. A la fin de ses classes moyennes, en 2000, Ahmad reçut, comme récompense de sa scolarité réussie, le cadeau de sa vie. Avec 19 autres élèves de Gaza, il fut sélectionné par le ministère de l’Education pour rejoindre un camp d’été Seeds of Peace (Les Graines de la Paix) aux Etats-Unis.

Il passa un moment merveilleux en Amérique. Quelle aventure pour ce garçon de 14 ans ! Il y perfectionna son anglais. Il se fit de nouveaux amis. Il connut un monde nouveau et différent, dans l’Etat magnifique du Maine - ouvert, libre et plein d’opportunités. Il rentra à Gaza après ce voyage d’un mois, plein d’espoir.

Mais la seconde Intifada éclata deux mois seulement après son retour des Etats-Unis, au début de sa première année de lycée. La violence d’Israël pour tenter d’écraser l’Intifada se fit sentir dans toute la Cisjordanie et la bande de Gaza. « Il n’y avait pas de place, » explique Ahmad, racontant comment l’offensive israélienne avait affecté tous les aspects de la vie personnelle de chaque Palestinien. La vie d’étudiant n’était que l’un de ces aspects touchés.

Il devint dangereux d’aller à l’école. Il devint impossible de suivre une éducation normale. En trois ans de lycée, l’école d’Ahmad fut bombardée six fois par les chars d’assaut israéliens, dont deux fois alors que les élèves se trouvaient à l’intérieur.

« Chaque jour, nous manifestions contre les attaques sur Gaza et la Cisjordanie, parce que nous avions tant de martyrs... Pas d’école. Seulement des manifestations... Tu devais aller manifester contre les attaques épouvantables sur ces enfants et ces gamins, partout. »

Et pourtant, malgré toute cette folie, les élèves se cramponnèrent autant qu’ils le purent à leur vocation. Ils allaient avec dévouement à l’école, autant que les circonstances le leur permettaient. Mais même cet effort fut rendu souvent vain. Trop souvent, les élèves faisaient péniblement le trajet jusqu’à l’école pour trouver porte close. Quand ils demandaient les motifs de cette fermeture, les réponses qu’on leur faisait n’étaient qu’un refrain grinçant.

Pourquoi ?

Parce que les chars israéliens se rapprochent de l’école et qu’il n’y a pas d’école aujourd’hui.

Pourquoi ?

Parce que des gens de notre ville ont été tués et il y a des manifestations, donc il n’y aura pas d’école aujourd’hui.

Pourquoi ?

Parce que les chars ont bouclé Beit Hanoun et les enseignants ne peuvent venir de l’extérieur. Aussi, nous n’aurons pas d’école aujourd’hui.

C’est dans cet environnement qu’Ahmad et ses camarades (ceux qui n’avaient pas été tués) passèrent leur troisième et dernière année de lycée, en 2003. C’est pendant cette dernière année que les élèves passèrent leur examen Tawhihi [examen de fin d’études secondaires- ndt], un examen déterminant pour leurs futures études et leur carrière.

« Tawjihi, » dit fort justement Ahmad, « c’est comme un cap dans la vie ».

L’année Tawjihi commença normalement - pour un Palestinien de Gaza s’entend. Des attaques normales. Des tirs normaux. Des couvre-feux normaux. Mais deux mois avant les examens, l’armée israélienne commença le siège de Beit Hanoun. Plus personne ne pouvait entrer. Personne ne pouvait sortir. Tous les jours, il y eut des attaques et des explosions. Tous les jours, il y eut des blessés et des martyrs.

«  Nous ne suivions pas les cours, en fait, » dit Ahmad, « Rien. Tu ne peux pas étudier (quand) les gens meurent, » explique-t-il.

Pourtant leurs examens approchaient. Le premier jour des examens était le 9 juin 2003 - et l’armée israélienne était toujours dans Beit Hanoun.

« Que devions-nous faire ? » dit Ahmad. « Il fallait bien qu’on passe nos examens. Aussi, nous avons décidé d’aller à l’école même si on trouvait les chars israéliens devant les portes de l’école. »

Ainsi firent-ils. Malgré le fait qu’ils n’avaient pu s’y préparer à cause du siège et des assassinats. Les examens durèrent un mois. Tous les jours, les élèves s’y rendirent. Et tous les jours, les chars israéliens furent présents à la porte de l’école.

« Ce fut le pire mois, dit Ahmad. Tu as passé toute ton année scolaire à te préparer et à bien travailler en vue de tes examens de fin d’année, et au dernier moment, tu es empêché de les passer parce que ta ville est attaquée. »

Les soldats partirent après 67 jours de siège. Et vinrent alors les résultats de leurs examens.

« J’ai été reçu, » dit Ahmad, « Ma moyenne était de 83,5. C’était très bien. »

Mais aussitôt, il ajoute : « Tu ne sais rien de ce qu’il se passe. Tu vas étudier simplement pour avoir la vie dont tu rêves. Puis tu t’aperçois que tu ne pourras pas y arriver à cause des obstacles que tes ennemis ont posés. Et ce sont des obstacles épouvantables. Pas de ceux qu’on peut franchir comme ça.

« C’était la guerre, partout. Et les gens mourraient partout. Et tu ne sais rien. Peut-être que ça va être ton tour. C’est-à-dire que, je crois en Dieu, et je sais bien que tout le monde doit mourir. Mais quand ça se passe comme ça, continuellement, avec tous les jours des attaques, tu passes ton temps à t’inquiéter. Aussi, ce que je ressentais c’était, qu’est-ce que je dois faire ? Dois-je aller me battre et résister ? Dois-je étudier comme un moyen de résister, comme le meilleur moyen pour la résistance ? Dois-je simplement rester à avoir peur, à ne rien faire, avec ma famille ?

« J’ai commencé à croire que, peut-être, la force qui me viendrait de mon éducation serait dans l’avenir plus grande que celle d’une pierre contre un char. Je me suis demandé un million de fois si je devais les imiter (lancer des pierres sur les chars d’assaut israéliens comme certains jeunes Palestiniens). Même si c’était une petite chose.

« Certains disaient que c’était stupide, une pierre contre un char. Mais (ce qui comptait) c’était leur volonté et leur détermination. Ca venait du plus profond d’eux-mêmes. Peu importe que tu aies peur ou non. Tu veux juste la lutte, résister pour tes droits. Même si elle te prend la vie, même si elle te prend tout ; tu as la conviction que c’est ton droit et que tu dois le faire. »

C’est l’une des façons de résister. Mais Ahmad décida que sa façon de résister serait les études.

« Je devais m’occuper de ma famille. Parvenir à ce que mes parents attendaient de moi. Ils voulaient nous voir instruits, que nous ayons une vie correcte, de bons emplois, une bonne situation dans la communauté. Ils voulaient que nous les aidions et que nous aidions les gens. Aussi, définitive ou pas, c’est cette décision que j’ai prise.

« Tu ressens beaucoup de choses mais tu dois continuer, garder ta route. Le seul moyen est de poursuivre le juste combat, à travers ton éducation, et tes rêves, et tes convictions. C’est ce que j’ai ressenti.

« A aucun moment, je n’ai senti devoir abandonner. Je n’ai rien trouvé qui m’ait dit, il faut abandonner, maintenant. Et à chaque fois que quelque chose de mauvais m’arrivait, ou une catastrophe, ça me donnait encore plus de force pour continuer.

« Parce que cette vie est devenue normale pour nous, une vie anormale pour les autres peuples qui est devenue normale pour nous. Donc, il nous fallait trouver une autre façon de vivre. C’était notre réalité. Nous devions faire face à cette réalité, quelle qu’elle soit. Alors ça nous a permis de nous faire à cette vie, malgré tout ça.

« Et avec tous les défis auxquels nous avons été confrontés, et toute cette force qui frappait et détruisait tout ici dans Gaza, il nous a fallu continuer, toujours. Ce n’était pas fini pour nous. Parce ce que si nous arrêtions, cela ne nous aiderait pas. (Les Israéliens) continueraient. Que nous nous arrêtions ou pas, ils essaieraient d’obtenir ce qu’ils voulaient. Alors pourquoi leur donner plus de facilités pour arriver à ce qu’ils voulaient ? Nous devions aussi continuer. »

Il fait une pause après ce long soliloque. « Comme ce fut difficile » dit-il doucement.

Mais la difficulté persista après qu’il ait reçu son diplôme universitaire en technologies de l’information dans une université de Gaza.

« J’avais été confronté à des problèmes quand j’étais au lycée à cause de l’Intifada, mais ce fut pire encore à l’université, » explique Ahmad. Beit Hanoun était le secteur le plus violent de la bande de Gaza parce qu’il se trouve à proximité de la frontière (avec Israël), aussi il y a eu régulièrement des agressions. Tous les jours, il s’est passé quelque chose. Des gens étaient tués. Des gens étaient blessés. Des maisons étaient détruites. Des terres saccagées. La ferme de mon père a été passée au bulldozer quatre ou cinq fois. La plupart des maisons de mes relations ont été la cible des bombes.

« Au fil des semestres, je n’ai pu participer à bien des conférences à cause des attaques habituelles contre ma ville. Il y avait des attaques chaque semaine, parfois chaque jour, aussi je ne pouvais sortir de chez moi ; ce n’était pas sûr de sortir. Et j’ai dû aussi rester à la maison quand il y avait d’autres attaques, autour de la ville, ou autour de l’université. »

Bien des fois, il n’a pu même participer à des examens de fin d’études.

« J’avais travaillé tout le semestre et quand arrivait le moment de l’examen, les attaques tombaient sur Beit Hanoun et des amis, des gens que je connaissais, se faisaient tuer (alors je manquais l’examen). J’étais censé obtenir mon diplôme en 2008, mais je l’ai passé en 2009, un an plus tard à cause des agressions. Des agressions qui n’ont jamais cessé. Même maintenant. Surtout dans ma ville. »

Ahmad put finalement se présenter à son examen en décembre 2008, mais cette fois encore, survinrent des évènements.

« La fin de décembre fut le début d’une guerre, pas le début de l’examen de fin d’études. Ce fut énorme, je ne sais pas comment le décrire, » dit-il. « C’était comme si on m’avait dit : "Regarde, il y a un changement dans la remise de diplôme : tu ne reçois plus ton diplôme. Tu attends la mort, simplement."  »

Ses mois d’examens furent transformés en un mois de terreur.

« Ca a duré 23 jours, » dit-il, « mais tu peux dire 23 semaines. Vingt-trois mois. Vingt-trois ans. Vingt-trois siècles. Jamais ça s’arrêtait. Tu ne pouvais qu’attendre, instant après instant. Et tu ne savais rien. Tu pouvais seulement sentir l’obscurité. Il n’y avait pas de lumière, aucune sorte d’espoir, ou de sécurité, ou de droits de l’homme, ou quoi que ce soit. Juste 23 jours pleins d’obscurité. Pleins d’horreur. Pleins de victimes. De massacres. De tout ce qui est mauvais. Je n’arrive pas à trouver les mots pour décrire ça. »

Mais ces jours-là passèrent. Et il trouva assez de force pour se redresser au milieu des décombres et finir la mission commencée. Il obtint enfin son diplôme, le printemps dernier. Mais non sans des sacrifices et des pertes qu’il n’aurait jamais dû avoir à endurer.

« Ces cinq ans à l’université, je l’ai dit et je le répèterai toujours, » conclut Ahmad, « ces cinq ans ont été les plus épouvantables années de ma vie. Même si elles étaient supposées être les meilleures, les plus agréables. Si c’était le moment de partir et de découvrir la vie. Mais ce n’est pas la vie que j’ai découverte. En fait, j’ai découvert des désastres, ici, à Gaza. »


Marryam Haleem est étudiante à l’université de Wisconsi en philosophie et en littérature comparative ; elle a passé l’été à Gaza, faisant des recherches pour sa thèse.

Beit Hanoun, Bande de Gaza occupée, le 16 novembre 2009 - Live from Palestine - The Electronic Intifada
traduction : JPP


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