16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

« Que sont mes amis devenus.. »

vendredi 30 octobre 2009 - 06h:40

Uri Avnery

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Un simulaccre d’enquête. De fausses conclusions. Une adhésion feinte au droit international...

Selon un proverbe chinois, si quelqu’un dans la rue vous dit que vous êtes saoul, vous pouvez rire. Si une deuxième personne vous dit que vous êtes saoul, commencez à y réfléchir. Si une troisième vous dit la même chose, rentrez chez vous et allez dormir.

Nos dirigeants politiques et militaires ont déjà rencontré la troisième, la quatrième et la cinquième personne. Toutes ont dit qu’elles devaient enquêter sur ce qui s’est passé dans l’opération « Plomb durci ».

Ils ont trois options :

- mener une vraie enquête.
- ignorer la demande et faire comme si de rien n’était
- mener une enquête bidon.

Il est facile d’écarter la première option : elle n’a pas la moindre chance d’être adoptée. Excepté les suspects habituels (dont moi) qui ont exigé une enquête bien avant que qui que ce soit en Israël ait entendu parler d’un juge nommé Goldstone, personne ne la soutient.

Parmi tous les membres de notre classe dirigeante politique, militaire et médiatique qui suggèrent à présent une « enquête », il n’y en a pas un - je dis bien : pas un seul - qui entende par là une vraie enquête. L’objectif est de tromper les Goyim et de leur clouer le bec.

En réalité, le droit israélien établit des directives claires pour ce genre d’enquêtes. Le gouvernement décide de mettre sur pied une commission d’enquête. Le président de la Cour suprême nomme les membres de la commission. La commission peut contraindre des témoins à témoigner. Quiconque s’estime lésé par ses conclusions doit en être averti et obtenir l’occasion de se défendre. Ses conclusions sont irrévocables.

L’histoire de cette loi est intéressante. Dans les années ’50, David Ben Gourion a exigé l’établissement d’un « comité judiciaire d’enquête » pour décider qui avait donné les ordres de « l’incident sécuritaire » connu sous le nom d’Affaire Lavon (une opération secrète où un réseau d’espionnage composé de juifs locaux avait été activé pour commettre des attentats à la bombe contre des bureaux américains et britanniques en Egypte, afin de provoquer des frictions entre l’Egypte et les puissances occidentales. Les auteurs ont été arrêtés).

La requête de Ben Gourion fut rejetée, sous prétexte qu’il n’y avait pas de loi pour une telle procédure. Furieux, Ben Gourion démissionna du gouvernement et quitta son parti. Au cours d’une des séances orageuses du parti, le Ministre de la Justice Yaakov Shimshon Shapira traita Ben Gourion de « fasciste ». Mais plus tard Shapira, un vieux juif russe, regretta son éclat. Il rédigea une loi spéciale pour nommer des Commission d’investigation dans le futur. Après de longues délibérations à la Knesset (auxquelles je participai activement), la loi fut adoptée et a depuis été appliquée, notamment dans le cas des massacres de Sabra et Shatila.

Aujourd’hui je soutiens sans réserve la mise sur pied d’une Commission d’investigation, conformément à cette loi.

La deuxième option est celle proposée par le Chef d’état-major de l’armée et le Ministre de la Défense. En langue de bois cela s’appelle : man ?uvres dilatoires. Autrement dit : qu’elle aille au diable.

Les chefs de l’armée s’opposent à toute enquête ou investigation quelles qu’elles soient. Ils savent sans doute pourquoi. Après tout, ils connaissent les faits. Ils savent qu’une grande ombre enveloppe toute la décision de partir en guerre, la planification de l’opération, les instructions données aux troupes et les dizaines d’actes, petits et grands, commis pendant cette opération.

Selon eux, même si leur refus a de graves répercussions internationales, les conséquences d’une investigation, même bidon, seraient bien plus graves.

Aussi longtemps que le Chef d’état-major reste sur sa position, il n’y aura pas d’investigation hors de l’armée, quelle que soit l’attitude des ministres. Le chef de l’armée, qui assiste à toutes les réunions gouvernementales, est le personnage le plus haut placé dans la pièce. Quand il annonce que ceci ou cela est la « position de l’armée », aucun politicien présent n’oserait émettre la moindre objection.

Dans la « seule démocratie du Moyen-Orient », la loi (proposée en son temps par Menahem Begin) stipule que le gouvernement en tant que tel est commandant en chef des Forces de défense israéliennes. Voilà la théorie. Dans la pratique, jamais aucune divergence de décision avec la « position de l’armée » n’a été adoptée et ne le sera jamais.

L’armée exige d’investiguer par elle-même. Qu’il le veuille ou non, Ehud Barak représente cette position. Le gouvernement a postposé le traitement du problème, et les choses en sont là aujourd’hui.

A cette occasion, les projecteurs devraient se braquer sur la personne la moins visible en Israël : le Chef d’état-major, le général Gabi Ashkenazi, nec plus ultra de l’insaisissable. Tout déperle sur lui. Dans ce débat comme dans tous les autres, il n’est tout simplement pas là.

Chacun sait qu’Ashkenazi est un homme timide et modeste. Il ne parle, n’écrit, ne discourt presque jamais. A la télévision, il se fond à l’arrière-plan.

C’est ainsi qu’il apparaît au public : un honnête soldat, sans ficelles ni subterfuges, qui fait tranquillement son boulot, reçoit ses ordres du gouvernement et les exécute loyalement. Il diffère en cela de tous ses prédécesseurs, qui étaient vantards, fous de publicité et loquaces. Alors que la plupart d’entre eux venaient de fameuses unités d’élite ou des arrogantes Forces aériennes, c’est un homme de la grise infanterie. Le Duc de Wellington, voyant la grande quantité de paperasse dans son armée, s’exclama un jour : « Les soldats doivent se battre, pas écrire ! ». Ashkenazi lui aurait plu.

Mais la réalité n’est pas toujours ce dont elle a l’air. Ashkenazi joue un rôle central dans le processus de prise de décision. Il a été nommé après que son prédécesseur, Dan Haloutz, eut démissionné après les échecs de la guerre du Liban de 2006. Sous la direction d’Ashkenazi, de nouvelles doctrines ont été formulées et mises en ?uvre dans l’opération Plomb Durci. Je les définis (sous ma propre responsabilité) par : « zéro perte » et « mieux vaut tuer cent civils ennemis que perdre un seul de nos propres soldats ». Comme la guerre de Gaza n’a entraîné de procès pour aucun simple soldat, Ashkenazi doit porter la responsabilité de tout ce qui s’y est passé.

Si la Cour internationale de La Haye procédait à une mise en accusation, Ashkenazi se verrait probablement attribuer la place d’honneur d’Accusé n°1. Pas étonnant qu’il s’oppose à toute investigation extérieure, comme le fait Barak, lequel occuperait sans doute la place n°2.

Les politiciens qui s’opposent (toujours en sourdine) à la position du Chef d’état-major croient qu’il est impossible de résister totalement à la pression internationale et qu’il faudra bien mener une sorte d’enquête. Comme aucun d’entre eux n’a l’intention de mener une vraie investigation, ils proposent de suivre une méthode israélienne bien rodée et qui a fonctionné magnifiquement des centaines de fois par le passé : la méthode du simulacre.

Un simulacre d’enquête. Des conclusions factices. Une adhésion feinte au droit international. Un faux-semblant de contrôle civil sur les militaires.

Rien de plus simple. Un « comité d’enquête » (mais non une Commission d’investigation conforme à la loi) sera mis sur pied, présidé par le juge patriote qui convient et composé d’honorables citoyens soigneusement choisis dont chacun sera « l’un des nôtres ». Les témoignages seront entendus à huis clos (pour des motifs de sécurité, bien sûr). Des juristes de l’armée prouveront que tout était parfaitement légal, le professeur Asa Kasher, le Monsieur Propre national, louera l’éthique de l ?armée-la-plus-morale-au-monde. Des généraux péroreront sur le droit inaliénable de légitime défense. Enfin, deux ou trois jeunes officiers ou soldats pourront être jugés coupables « d’irrégularités ».

Dans le monde entier, les amis d’Israël entonneront un ch ?ur extatique : quel Etat de droit ! quelle démocratie ! quelle moralité ! Les gouvernements occidentaux déclareront que justice a été rendue et que le dossier est clos. Le veto états-unien pourvoira au reste.

Alors, pourquoi les chefs de l’armée n’acceptent-ils pas cette proposition ? Parce qu’ils ont peur que les choses ne se passent pas aussi en douceur. La communauté internationale exigera qu’une partie au moins des auditions se déroulent en public. Elle exigera la présence d’observateurs internationaux. Et chose plus importante : il n’y aura aucun moyen légitime d’exclure les témoignages des Gazaouis eux-mêmes. Les choses se compliqueront. Le monde n’acceptera pas de conclusions fabriquées. En fin de compte, nous serons exactement dans la même situation. Il vaut mieux ne pas bouger et laisser courageusement les choses se tasser, quel qu’en soit le prix.

Entre-temps, la pression internationale s’accroît. Aujourd’hui déjà, elle a pris des proportions sans précédent.

La Russie et la Chine ont voté en faveur de l’adoption du rapport Goldstone par l’ONU. Le Royaume-Uni et la France « n’ont pas pris part au vote », mais ont exigé qu’Israël mène une vraie investigation. Nous nous sommes brouillés avec la Turquie, qui était jusqu’à présent un allié militaire important. Nous avons des altercations avec la Suède, la Norvège et un certain nombre d’autres pays amis. Le Ministre français de Affaires étrangères s’est vu interdire l’accès à la bande de Gaza et il est furieux. La paix déjà froide avec l’Egypte et la Jordanie s’est encore refroidie de plusieurs degrés. Israël est boycotté dans de nombreux forums. De hauts responsables de l’armée ont peur de voyager à l’étranger par crainte d’être arrêtés.

Cela soulève une fois de plus la question : la pression extérieure peut-elle avoir un impact sur Israël ?

Elle le peut certainement. La question est : quel type de pression, quel type d’impact ?

En effet, la pression a convaincu plusieurs ministres qu’un comité d’enquête pour le rapport Goldstone doit être mis sur pied. Mais personne dans la classe dirigeante israélienne - absolument personne ! - n’a évoqué la vraie question : peut-être le rapport Goldstone a-t-il raison ? Excepté les suspects habituels, personne dans les médias, la Knesset ou le gouvernement n’a demandé : peut-être, en effet, des crimes de guerre ont-ils commis ? La pression extérieure ne les a pas contraints à se poser de telles questions. Il faut qu’elles viennent de l’extérieur, du public lui-même.

Le type de pression doit également être pris en compte. Le rapport Goldstone a un impact sur le monde parce qu’il est précis et ciblé : une opération spécifique, pour laquelle des personnes spécifiques sont responsables. Il soulève une exigence spécifique : une enquête. Il s’attaque à une cible claire et bien définie : des crimes de guerre.

Si nous appliquons cela au débat sur le boycott d’Israël : le rapport Goldstone pourrait se comparer à un boycott ciblé sur les colonies et leurs aides, et non pas à un boycott sans limite de l’Etat d’Israël. Un boycott ciblé peut avoir un impact positif. Un boycott global, illimité aurait, à mon avis, l’effet opposé. Il pousserait davantage encore le public israélien dans les bras de l’extrême droite.

La bataille sur le rapport Goldstone est maintenant à son comble. A Jérusalem, l’énergie grandissante de ses vagues est clairement perceptible. Cela présage-t-il un tsunami ?

JPEG - 6.9 ko
Ury Avnery

* Uri Avnery est un écrivain et journaliste israélien militant de Gush Shalom (le Bloc de la Paix).

Du même auteur :

- Biberman & Co - 7 avril 2009
- La loi israélienne la plus révoltante ? - 27 mars 2009
- "Pas vous ! Vous !!!" - 9 avril 2008
- Je suis venu, j’ai vu, j’ai détruit ! - 22 mars 2008
- Et quoi de neuf pour l’Iran ? - 8 octobre 2007
- Un ou deux Etats pour Israël et la Palestine ? - 22 août 2007
- Sans frontières - 26 mars 2007
- Face à La Mecque - 25 février 2007

26 octobre 2009 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.palestinechronicle.com/v...
Traduction de l’anglais : Marie Meert


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.