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Une interview exclusive de Khaled Meshal, dirigeant du Hamas (1°)

mardi 22 septembre 2009 - 06h:04

Ken Livingstone

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Ken Livingstone discute en exclusivité de religion, de violence et des chances pour la paix avec le leader du Hamas, Khaled Meshal.

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Khaled Meshal est responsable du bureau politique du mouvement Hamas

Lisez la seconde partie

La clé de la paix au Moyen-Orient est la restauration du droit international et la reconnaissance du droit, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens juifs, de vivre en paix et en sécurité côte à côte. Comme le dit le président Obama, il n’y a actuellement pas de processus de paix. Benjamin Netanyahou, premier ministre israélien, continue à étendre les colonies illégales en Cisjordanie et à Jérusalem et à maintenir le blocus quasi complet de Gaza. Les Palestiniens tirent des roquettes inefficaces sur Israël. Israël attaque régulièrement les territoires palestiniens au moyen d’armes modernes.

Aucun conflit majeur ne peut être résolu sans que chaque côté parle avec l’autre. Ce fut le cas en Afrique du Sud, en Irlande et dans d’innombrables autres situations où les intéressés avaient dit qu’ils ne parleraient jamais avec leurs adversaires. Dans les années 80, j’ai été contesté pour avoir dit que la solution du conflit en Irlande exigeait que l’on parle avec Gerry Adams et Martin McGuinness.

Au Moyen-Orient, la paix ne peut être réalisée que par des discussions entre les représentants élus , tant des Israéliens que des Palestiniens, à savoir le Hamas - qui a remporté les dernières élections parlementaires palestiniennes avec une importante majorité - ainsi que le Fatah. Cela ne veut pas dire que je sois d’accord avec les vues du Hamas, du Fatah ou du gouvernement israélien. Loin de là : je ne suis pas d’accord. Par exemple, je crois qu’un certain nombre de passages de la charte originale du Hamas sont inacceptables et devraient être rejetés. Beaucoup d’observateurs pensent que ce point de vue est partagé par certains membres du Hamas.

Pourtant, de l’avis de trop de gens, le Hamas reste opaque en tant qu’organisation . Ce qu’ils en savent provient de médias hostiles ; le Hamas n’a pas de visage. La plupart des gens pensent probablement que son dirigeant est un personnage dérangé du genre Osama Bin Laden. De fait, les partisans d’Al Qaida à Gaza sont tellement hostiles au Hamas qu’ils lui ont déclaré la guerre.

Pour ces raisons, j’ai pensé qu’il était important d’interviewer Khaled Meshal, dirigeant de facto du Hamas qui vit en exil en Syrie. Toutes les questions ne sont pas claires. Mais au début de tout processus de paix, ce qui compte le plus est de s’y engager. Le dialogue est nécessaire pour arriver à la clarté et à la compréhension mutuelle. Au début, Sinn Fein n’a pas répondu à toutes les questions, pas plus que Benjamin Netanyahou aujourd’hui. Meshal donne ses réponses à un moment de tension accrue et de nouvelles menaces de mort à son endroit qui s’ajoutent au danger permanent d’un assassinat aux mains non seulement des Israéliens, mais également des partisans d’Al Qaida dans la région.

J’espère que cette interview contribuera à plaider en faveur du dialogue nécessaire, qui est, je le crois, inévitable. Il s’agit simplement de savoir combien de souffrance subiront les deux côtés avant d’arriver à ce stade.

Ken Livingstone : Pourriez-vous expliquer un peu votre enfance et les expériences qui ont fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui ?

Khaled Meshal : Je suis né dans le village de Silwad en Cisjordanie, près de Ramallah, en 1956. Tout jeune, j’ai appris de mon père comment il avait participé à la révolution palestinienne contre le mandat britannique en Palestine dans les années trente et comment il s’était battu aux côtés d’autres Palestiniens, avec des armes primitives, contre les gangs de Sionistes bien équipés et entraînés qui attaquaient des villages palestiniens en 1948.

J’ai vécu à Silwad pendant 11 ans jusqu’à la guerre de 1967, où, comme des centaines de milliers de Palestiniens, j’ai été forcé avec ma famille de quitter notre maison et de m’établir en Jordanie. C’est une expérience bouleversante que je n’oublierai jamais.

KL  : Que vous est-il arrivé après la guerre ?

KM : Peu après, j’ai quitté la Jordanie pour le Koweït où mon père travaillait et vivait déjà avant 1967. Après avoir terminé l’école primaire en 1970, je suis entré dans la prestigieuse école secondaire Abdullah al-Salim. Au début des années 70, c’était un lieu d’intense activité politique et idéologique.

Pendant ma deuxième année à l’école al- Salim, je suis entré chez les frères musulmans (al-Ikhwan al-Muslimun). Après ma quatrième année, j’ai réussi à entrer à l’université de Koweït, où j’ai fait un BSc en physique.

L’Université de Koweït avait une branche active de l’Union générale des étudiants palestiniens (GUPS), qui avait été sous le contrôle total du mouvement Fatah. Moi-même et mes compagnons islamistes avons décidé, en 1977, d’adhérer au GUPS, que nous avions auparavant boudé parce que nous contestions l’élection de ses dirigeants. Toutefois, il nous a été impossible de travailler au sein du GUPS ; nous nous sentions constamment bridés et nous nous sommes rendus comptes qu’en tant qu’islamistes, on ne nous laisserait jamais la moindre chance.

En 1980, deux ans après mon diplôme, mes compagnons plus jeunes ont décidé de quitter le GUPS et de former leur propre association palestinienne sur le campus. Beaucoup d’étudiants étaient déçus du leadership palestinien qui semblait disposé à se contenter de beaucoup moins que ce dont ils rêvaient depuis leur enfance, à savoir la libération complète de la Palestine et le retour de tous les réfugiés chez eux.

KL : Quelle est la situation à Gaza aujourd’hui ?

KM : Gaza aujourd’hui se trouve sous siège. Les passages sont fermés la plupart du temps et depuis des mois, les victimes de la guerre israélienne contre Gaza se sont vu refuser l’accès aux matériaux nécessaires pour reconstruire leurs maisons détruites. Dans de nombreuses parties de la Bande de Gaza, il faut reconstruire des écoles, des hôpitaux et des maisons. Des dizaines de milliers de personnes n’ont pas d’abri. À mesure que l’hiver approche, la situation de ces victimes ne fera qu’empirer dans le froid et sous la pluie.

Un million et demi de personnes sont détenues comme otages dans l’une des plus grandes prisons de l’histoire de l’humanité. Elles sont incapables de sortir librement de la Bande, que ce soit pour un traitement médical, pour leur éducation ou pour d’autres besoins. Ce que nous avons à Gaza est un désastre et un crime contre l’humanité perpétré par les Israéliens. Par son silence et son indifférence, la communauté mondiale, est complice de ce crime.

KL : Pourquoi pensez-vous qu’Israël continue à imposer le siège à Gaza ?

KM : Les Israéliens prétendent qu’ils maintiennent le siège pour des raisons de sécurité. Leur véritable motif est de faire pression sur le Hamas en punissant toute la population. Les sanctions ont été mises en place peu après la victoire du Hamas aux élections palestiniennes en janvier 2006. Bien que les Israéliens aient des soucis de sécurité, ce n’est pas leur principale motivation. Leur objectif est avant tout de préparer un coup monté contre les résultats des élections démocratiques qui ont amené le Hamas au pouvoir.

Les Israéliens et leurs alliés cherchent à faire échouer le Hamas en persécutant la population. C’est une entreprise hideuse et immorale. Aujourd’hui, le siège se poursuit bien que nous observions le cessez-le-feu depuis six mois. L’année dernière, une trêve a été observée de juin à décembre 2008.

Pourtant le siège n’a jamais été levé et les sanctions sont restées en place. Saper le Hamas est le principal objectif du siège. Les Israéliens espèrent retourner la population de Gaza contre le Hamas en augmentant les souffrances de toute la population de la Bande.

KL : Il y a combien de partisans du Hamas et de représentants élus du Hamas emprisonnés en Israël ? Ont-ils tous étés inculpés et déclarés coupables ?

KM : Sur les 12 000 Palestiniens au total détenus dans les prisons israéliennes, quelque 4000 sont membres du Hamas. Ce chiffre comprend notamment des dizaines de ministres et de parlementaires (membres du Conseil législatif palestinien). Environ 10 ont été libérés récemment, mais il reste quelque 40 membres du PLC en détention. Certains se sont vu infliger des peines, mais beaucoup sont en détention administrative selon le vocable israélien.

Le seul crime que ces personnes aient commis est être associées au groupe parlementaire du Hamas. Israël considère qu’exercer son droit démocratique est un crime. Tous ces parlementaires sont traduits devant un système israélien de justice qui n’a rien à voir avec la justice. Le système judiciaire israélien est un instrument de l’occupation. En Israël, il y a deux systèmes de justice : l’un s’applique aux Israéliens et l’autre aux Palestiniens. C’est un régime d’apartheid.

KL : Quel rôle éventuel jouent les autres États et institutions tels que les USA, l’UE, la Grande Bretagne, l’Égypte ou l’Autorité palestinienne dans le blocus de Gaza ?

KM : Le blocus de Gaza n’aurait jamais été imposé sans la collusion avec des puissances régionales et internationales.

KL : Comment peut-on lever le blocus selon vous ?

KM : Pour la levée du blocus, il faut respecter le droit international. Les droits fondamentaux des Palestiniens et leur droit de vivre dans la dignité et à l’abri de la persécution devraient être reconnus. Il faut qu’il y ait une volonté internationale de servir la justice et de respecter les principes fondamentaux de la loi internationale en matière de droits humains. La communauté internationale devrait se libérer des entraves de la pression israélienne, parler vrai et agir en conséquence.

KL : Israël dit qu’il a bombardé et envahi Gaza l’année dernière en réaction devant les violations répétées du cessez-le-feu par le Hamas et les tirs de roquettes sur le sud d’Israël. Est-ce le cas ?

KM : Les Israéliens ne disent pas la vérité. Nous avons conclu une trêve avec Israël du 19 juin au 19 décembre 2008. Néanmoins, le blocus n’a pas été levé. Le marché prévoyait un cessez-le-feu bilatéral, la levée du blocus et l’ouverture des passages. Nous avons entièrement respecté le cessez-le-feu tandis qu’Israël ne l’a observé que partiellement, et vers la fin de la période il a repris les hostilités. Pendant toute cette période, Israël a maintenu le siège et n’a ouvert certains des passages que par intermittence, n’autorisant l’entrée que de 10 % au maximum des fournitures répondant aux besoins essentiels de la population de Gaza. Israël a tué la possibilité de renouveler la trêve parce qu il l’a délibérément brisée à plusieurs reprises.

J’ai toujours dit à mes visiteurs occidentaux, notamment à l’ancien président étasunien, Jimmy Carter, que dès qu’une trêve sera proposée au Hamas comprenant la levée du blocus et l’ouverture des passages, le Hamas répondra positivement. Jusqu’ici, personne ne nous a fait une telle offre. En ce qui me concerne, le blocus équivaut à une déclaration de guerre justifiant l’autodéfense.

KL : Quelle est l’idéologie et quels sont les objectifs du Hamas ?

KM : Notre peuple a été victime d’un projet colonial appelé Israël. Pendant des années, nous avons subi différentes formes de répression. La moitié de notre peuple a été dépossédée et se voir refuser le droit au retour chez lui, la moitié vit sous un régime d’occupation qui viole ses droits humains fondamentaux. Le Hamas lutte pour mettre fin à l’occupation et pour restaurer les droits de notre peuple, notamment le droit de rentrer chez lui.

KL : Quel est selon vous, la cause du conflit entre l’État d’Israël et les Palestiniens ?

KM : Le conflit découle de l’agression et de l’occupation. Nous menons notre lutte contre les Israéliens, non pas parce qu’ils sont juifs, mais parce qu’ils ont envahi notre patrie et nous ont dépossédés. Ce n’est pas parce que les juifs ont été auparavant persécutés en Europe qu’ils ont le droit de prendre notre terre et de nous jeter dehors. Les injustices subies par les juifs en Europe ont été horribles et criminelles, mais elles n’ont pas été commises par les Palestiniens, les Arabes ou les musulmans. Alors, pourquoi devrions-nous être punis pour les fautes des autres ou nous ferait-on payer pour leurs crimes ?

KL : Croyez-vous qu’Israël compte continuer à reculer ses frontières ?

KM : Israël n’a pas de frontières définies. Quand Israël a été créé dans notre patrie il y a 62 ans, ses fondateurs rêvaient d’un « Grand Israël » allant du Nil à l’Euphrate. L’expansionnisme s’est manifesté à plusieurs occasions : en 1956, en 1967 et plus tard lors de l’occupation d’une partie du Liban dans les années 80. La faiblesse des Arabes, la supériorité militaire d’Israël, le soutien accordé par les puissances occidentales à Israël, et les massacres que celui-ci était prêt à commettre contre des civils sans armes en Palestine, en Égypte et au Liban, lui ont permis de s’étendre par étapes.

Bien que beaucoup d’Israéliens aient toujours des idées expansionnistes, il semblerait que ce ne soit plus une option pratique. La résistance libanaise et palestinienne a forcé Israël à se retirer unilatéralement de terres qu’il avait antérieurement occupées comme suite à la guerre et à l’agression. Alors que par le passé Israël a pu battre plusieurs armées arabes, il est confronté aujourd’hui à une redoutable résistance qui fera non seulement pièce à son expansionnisme, mais qui l’obligera également avec le temps à lâcher de plus en plus de terres occupées illégalement.

* Ken Livingstone est ancien maire de Londres

17 septembre 2009 - Cet article peut être consulté à :
http://www.newstatesman.com/middle-...
Traduction de l’anglais : Anne-Marie Goossens et Claude Zurbach


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