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Amnon Kapeliouk, l’ami israélien

mardi 4 août 2009 - 07h:03

Ignacio Ramonet

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Il était l’honneur de la presse israélienne. D’un courage hors du commun, comme le montre chacun des articles qu’il écrivit pour Le Monde diplomatique depuis 1969.

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Amnon Kapeliouk (1930-2009)

Il fut un implacable accusateur des autorités de son pays, en particulier des militaires, dont il démontrait les abus au moyen de révélations accablantes (1). Prouvant aussi, par son exemple même, qu’il existe au sein des médias d’Israël des espaces critiques à l’égard du pouvoir.

Amnon Kapeliouk était un journaliste de race comme il en reste peu, habité par son métier, interrogeant sans cesse, prenant note de chaque détail, fureteur, charmeur, indiscret, bref, un investigateur inlassable. Il était persuadé que la fonction - sociale, civique, démocratique - du journaliste consiste toujours, par le dévoilement d’informations dissimulées, à mettre au jour la vérité. Celle-ci étant trop souvent cachée, occultée, travestie par les pouvoirs.

C’était aussi un homme extrêmement cultivé, collectionneur, mélomane, passionné de peinture, n’hésitant pas à aller au bout du monde pour retrouver quelque pinacothèque inconnue et admirer enfin un tableau précis. Olga, son épouse, une linguiste mondialement connue, a raconté comment Amnon découvrit la capitale française au début des années 1960 : chaque jour, il choisissait un arrondissement et en sillonnait toutes les rues, explorait ses curiosités, visitait tous ses musées. Méthodiquement, du Ier au XXe...

Amnon était né à Jérusalem en 1930, au sein d’une famille juive, sioniste, laïque et progressiste, venue d’Ukraine. Sur son premier passeport, à « Pays de naissance », on pouvait lire « Palestine », celle du mandat que la Société des nations avait confié, en 1922, à l’Empire britannique. C’est dire si Amnon a connu des tragédies, au cours de ses soixante-dix-

huit ans, dans cette région.
Il avait grandi dans une ville où la communauté arabo-palestinienne était alors fort importante, et il avait donc appris l’arabe, encouragé par son père, Menahem Kapeliuk, un immense arabisant. Il adorait cette langue, la savourait, vantait sa musicalité, sa richesse, sa finesse.

Il la lisait, l’écrivait et la parlait, affirmait-il très fier, « sans accent ». Cela lui avait d’ailleurs permis - grâce aussi à son passeport français - de réaliser des reportages pour le plus important quotidien d’Israël, Yediot Aharonot, dans presque tous les Etats arabes, ce qu’aucun autre journaliste israélien n’a jamais fait.

Cette familiarité avec la culture arabe l’avait rendu sensible au grand malheur palestinien. Tout en dénonçant le recours au terrorisme, il devint un infatigable défenseur des droits de ce peuple. Il rencontra très tôt les dirigeants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et établit d’étroites relations avec ses dirigeants, en particulier avec son chef historique, Yasser Arafat, qu’il avait interviewé, au péril de sa vie, en 1982, à Beyrouth alors encerclé et bombardé par l’armée israélienne, et dont il écrivit une exceptionnelle biographie (2).

Il appréciait le « Vieux ». C’était manifeste. Il suffisait de les voir ensemble. Quelque temps avant le décès du leader palestinien, en 2004, Amnon avait tenu à me le présenter. Nous étions arrivés vers sept heures du matin à la Mouqata’a, la résidence située à Ramallah, en Cisjordanie, où le président palestinien se trouvait depuis trois ans en « arrêt domiciliaire » par décision du premier ministre israélien de l’époque, M. Ariel Sharon. On nous fit patienter dans un petit salon au décor abominable, où attendaient déjà quelques vieux compagnons de lutte. Mythes vivants pour la jeunesse palestinienne, plusieurs de ces vétérans avaient fait toutes les guerres : 1948, 1967, 1970, 1973, 1982... Et les avaient toutes perdues.

Mais ils étaient là, revenus enfin sur leur terre de Palestine ; et tous accueillirent Amnon, l’ami israélien, avec de fortes et sincères accolades d’amitié.
Arafat fit son entrée peu après. Epuisé et comme halluciné. On aurait dit qu’il n’avait pas dormi depuis une éternité. Il était alors affecté d’une maladie qui provoquait un tremblement constant de sa lèvre inférieure et donnait la pénible impression d’un balbutiement permanent. Amnon pensait que M. Sharon testait sur lui un poison d’un nouveau type.

Sans aucun protocole, Arafat se dirigea directement vers Amnon et le serra avec respect et affection dans ses bras. Ils s’isolèrent dans un coin de la pièce et entamèrent immédiatement une longue conversation en arabe. Kapeliouk parlait, expliquait. Arafat écoutait, questionnait. « De quoi avez-vous conversé pendant si longtemps ?, demandai-je à Amnon, dès notre sortie. On avait l’impression que tu lui faisais un exposé sur la géopolitique planétaire. - Pas du tout !, répondit-il en s’esclaffant. Il voulait juste savoir si l’équipe de football de Sakhnine avait des chances de remporter la Coupe d’Israël (3) ! »

Ainsi était Amnon Kapeliouk, un intellectuel de gauche ouvert à tous les thèmes, aimable et chaleureux, débordant d’humour, infatigable narrateur d’anecdotes puisées dans ses mille et une expériences de reporter globe-trotteur, amoureux de son pays, Israël, mais sévère pourfendeur de toutes ses extrêmes droites. Le Monde diplomatique perd un journaliste irremplaçable. Et un grand ami. Nos pensées les plus solidaires vont à son épouse, Olga, à ses deux filles et à ses petits-enfants, sans oublier le fidèle Poncho.

Ignacio Ramonet, Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.

(1) Lire, par exemple, ses ouvrages Sabra et Chatila, enquête sur un massacre, Seuil, Paris, 1982 ; Hébron, chronique d’un massacre annoncé, Arléa, Paris, 1994 ; et Rabin, un assassinat politique, Le Monde Editions, 1996.

(2) Arafat l’irréductible, Fayard, Paris, 2004.

(3) Le club Hapoël Bnei Sakhnine, basé à Sakhnine, ville arabe de Galilée, a effectivement remporté la Coupe d’Israël de football en mai 2004. C’était la première fois qu’un club d’une ville arabe israélienne - dont les joueurs sont de confession juive, chrétienne ou musulmane - remportait la Coupe.

Août 2008 - Le Monde Diplomatioque - Cet article peut être consulté ici :
http://www.monde-diplomatique.fr/20...


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