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Checkpoint - d’Azmi Bishara

mardi 30 janvier 2007 - 09h:04

Nathalie Galesne

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Parce que la douleur était trop forte, parce que la vie s’essoufflait dans le non sens bien qu’il soit père de deux enfants, Azmi Bishara, arabe israélien, a décidé de se saisir de l’écriture pour raconter l’insoutenable et d’une certaine façon le surmonter.

Philosophe, député à la Knesset depuis 1996, professeur à l’université Bir Zeit, auteur d’une dizaine d’ouvrages théoriques en arabe et en hébreu, maniant quatre langues à la perfection, Azmi Bishara, a préféré cette fois ci s’adonner à la fiction et à l’exercice littéraire pour raconter la Palestine occupée.

La Palestine, c’est-à-dire une terre démantibulée par l’implantation de colonies sauvages, par le réseau des routes de contournement, et maintenant par ce gigantesque mur en construction qui la coupe de l’autre et d’elle-même. Tout un arsenal de béton et d’armes qui permet de quadriller et d’isoler les Palestiniens, de les séparer et de les contrôler dans la logique d’apartheid mise en place par le gouvernement Sharon.

Etre Palestinien, c’est donc par définition être privé de son espace-temps puisque l’unique certitude territoriale se fonde sur une identité de frontière où le seul espace incontestable est celui du barrage militaire, du checkpoint.

Comment s’articulent alors, non seulement la vie quotidienne, mais aussi l’imaginaire, la représentation du monde d’hommes et de femmes traqués dans leur mouvements et dans leur libertés élémentaires ? Ou encore comment se repérer dans la vie, et vis-à-vis de soi-même, privé des mesures du temps et de l’espace ? C’est précisément cet état intérieur que l’auteur fouille dans la fragmentation de son récit, grâce, entre autres, au personnage de Wajd, la fille du narrateur, un être en construction dans un pays déconstruit, détruit.

Wajd est une petite fille, inscrite comme tant d’autres dans le monde à la maternelle, mais qui doit attendre des heures pour rentrer chez elle, car elle doit passer quotidiennement le barrage routier sur le chemin de son école. C’est pourquoi lorsque son père lui demande « où tu étais, ma chérie ? », elle répond tout naturellement : « Au mahtrom (terme hébraïque désignant le check point)... A lire de toute urgence.

Fragment de Checkpoint

Au cours des quatre mois suivants, égaux en longueur, inégaux en largeur, le checkpoint a cessé d’être prévisible et familier. Après l’invasion, il est devenu le symbole d’une présence tyrannique. Le checkpoint est à la fois ce qui sépare et ce qui lie deux mondes. C’est la frontière et le point de passage.

C’est la souffrance et l’espoir de passer. Désormais, le checkpoint se prend au sérieux. Les quantités de fer et de matières solides qui le constituent sont maintenant plus abondantes et les soldats, aux mines austères, plus nombreux. Il a une structure, il n’est plus formé exclusivement de restes de matériel miltaire, barils, blocs de ciment, et toutes sortes de pierres.

Tout autour s’élèvent des baraquements préfabriqués en ciment, en fer ou en verre, munis d’équipements spéciaux. Même sa couleur marron-gris est devenue uniforme. Toute ornementation a disparu, le checkpoint est devenu atone.

L’attente s’est prolongée au checkpoint. Les complaintes des personnes qui attendent ont diminué à mesure que leurs souffrances et leur patience, elles, augmentaient. Les gens ont acquis une constance, non parce que leur carapace s’est endurcie mais parce que le checkpoint est devenu super-réactif et ne supporte plus les plaintes.

La peur empêche toute protestation. Dans la période qui a suivi l’invasion, « ça ne rigolait plus » au checkpoint, car le soldat avait la main qui tremblait légèrement sur la détente. Il avait peur, lui aussi.

Toutefois, l’équilibre de la terreur au checkpoint ne modifie en rien l’identité de l’oppresseur et celle de l’opprimé, l’identité du dominant et celle du dominé, l’identité de qui contraint et celle de qui est contraint. En réalité, il n’y a pas d’équilibre dans la terreur : il existe deux terreurs déséquilibrées comme il existe deux peurs déséquilibrés.

Exigeant de l’homme la totalité de son temps, de ses moyens et de sa patience, le checkpoint est totalitaire. La journée tout entière peut s’écouler au checkpoint car le temps lui-même attend sur place. Ramallah est désormais à un jour de voyage, comme tout le reste d’ailleurs. Le voyage - qui dure toute la journée - ressemble à « une journée de dur labeur au moulin », et la nuit peut tomber après avoir couvert les vêtements de poussière, jamais de farine.

Qu’ils voyagent ou pas, qu’ils le traversent ou pas, les gens vivent à l’ombre du checkpoint. Sa présence domine tout. Il s’introduit dans les méandres de la vie et laisse partout son empreinte. L’humeur dépend de l’information en provenance du checkpoint. Les plans, les projets, la quête du pain quotidien, les décisions relatives au lieu d’habitation, à l’école des enfants ou au lieu de travail sont tous attachés à l’emplacement » devant » ou « derrière » le checkpoint. Tous les projets doivent se justifier devant ce trône et selon sa seule logique.


Azmi Bishara, Checkpoint, Actes sud, 2004

Référence Amazon.fr : http://www.amazon.fr/Checkpoint-Azm...

L’auteur

Azmi Bishara est né en 1956 à Nazareth, il a obtenu un doctorat en philosophie à l’université Humblot de Berlin avant d’enseigner à l’université de Bir Zeit de Ramallah. Fondateur du « Rassemblement national démocratique », un parti laïque de gauche, il est depuis 1996 député à la Knesset.

Il a publié une dizaine d’ouvrages dont Contribution à la critique de la société civile (en arabe, 1996), Les arabes en Israël (en arabe, 1998), Les Lumières : projets inachevé (en hébreu, 1997). « Mon peuple se bat contre mon Etat, et mon Etat fait la guerre à mon peuple », dit-il pour expliquer les difficultés de sa double identité d’Arabe Israélien.

Interview d’Azmi Bishara (site ISM) :
"Check Point" a aidé Azmi Bishara à traverser une période difficile

2004 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.babelmed.net/index.php?m...


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