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Gaza : la vie après la mort

mercredi 17 juin 2009 - 05h:53

Palestine Telegraph

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Parmi les milliers de Gazaouis endeuillés par la guerre, peu d’entre eux ont eu leur vie détruite comme Moeen Deeb.

C’est pour plusieurs raisons que Moeen Deeb a quitté un bon travail comme ingénieur des téléphones à 800 $ par mois chez PalTel peu de temps après la fin de l’opération plomb fondu en janvier.

L’une d’elles est qu’il ne supportait plus les regards de pitié que lui jetaient ses collègues. « Je suis retourné travailler, mais je n’ai pas pu continuer » dit-il. « Les gens voyaient en moi celui qui avait perdu toute sa famille. J’avais vraiment le sentiment qu’ils pensaient que j’aurais toujours besoin de leur soutien ».

Bien que M. Deeb, 40 ans, ne soit pas du genre à s’apitoyer sur son sort, la réaction de ses collègues était compréhensible. Car parmi les milliers de Gazaouis endeuillés par la guerre, peu d’entre eux ont eu leur vie détruite comme lui.

Alerté par téléphone, il avait quitté en hâte son travail l’après-midi du 6 janvier. Arrivé à la maison, il la trouva détruite par deux obus israéliens de 120 mm lors de l’attaque qui avait tué également 36 civils dans le périmètre de l’école des Nations unies, Al Fakhoura, à quelque 100 m de chez lui. Onze personnes de sa famille sont mortes, dont cinq de ses six enfants, âgés entre quatre et 22 ans, sa femme, sa mère, un de ses frères, deux de ses neveux et une nièce.

Cinq mois plus tard, M. Deeb essaie de s’adapter à cette perte irréparable. Il dit qu’il a perdu 20 kilos depuis le 6 janvier. « Je ne mange pas normalement et je ne dors pas la nuit » dit-il. Mais il ajoute que la vie doit continuer. « Nous devons faire face à la réalité » dit-il. Il a été l’un des survivants interviewés la semaine dernière par le juge sud-africain Richard Goldstone, qui mène actuellement une enquête à la demande du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, sur les éventuels crimes de guerre commis par Israël et le Hamas pendant l’opération de Gaza. Une enquête précédente avait été commandée par le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Elle avait été dirigée par le respecté ancien directeur britannique d’Amnesty International, Ian Martin, et Israël y avait initialement coopéré pour la rejeter ensuite comme étant « manifestement partiale ». Ian Martin avait conclu que c’étaient « incontestablement » des obus israéliens qui avaient tué les civils de ce quartier dans le périmètre de l’école et dans celui de la maison de Deeb. Les obus, rarement, voire jamais utilisés à Gaza auparavant, sont considérés comme moins précis que les tirs d’artillerie.

M. Deeb a aussi quitté son travail parce qu’il est responsable de son neveu de 23 ans, à présent orphelin de père, confiné dans une chaise roulante après avoir perdu ses deux jambes dans l’attaque. « Je suis responsable de tout le monde » dit-il. Le fils survivant de M. Deeb, Bakr, 18 ans » a aussi eu du mal à s’adapter. Ayant quitté l’école en 10e année, Bakr n’a pas d’emploi bien qu’il ait récemment obtenu son permis de conduire et qu’il pourrait être chauffeur de taxi ». « Il a une fiancée maintenant et cela lui occupe l’esprit. Il pourrait trouver une certaine compensation dans ces fiançailles ». « Sa fiancée n’a que 16 ans et M. Deeb voulait que le couple attende, mais il les a autorisés à se marier l’année prochaine maintenant que « tout est sens dessus dessous ».

M. Deeb a moins de problèmes d’argent que la plupart des Gazaouis. Avec un ami,il a investi sa prime de pension anticipée dans une petite entreprise de plastique en Égypte. Il dit qu’il en tire un revenu supérieur à son salaire et cela lui permet de rester à la maison pour aider à soigner la famille de Samir, son frère décédé ; toutefois, il n’a pas encore assez d’argent pour s’acheter du ciment, difficile à trouver, afin de réparer le trou béant qu’un des obus a laissé dans le mur.

Comme d’autres dans la même situation, il dit que le gouvernement en exercice du Hamas lui a versé 1000 ? pour chacune des personnes décédées et que l’Autorité palestinienne de Ramallah lui a donné 2500 ?. M. Deeb, qui veut toujours traduire Israël en justice par l’intermédiaire d’un avocat israélo-arabe de Nazareth, explique : « j’ai accepté ces sommes, mais elles ne me dédommageront même pas pour un ongle de mes enfants » et il ajoute qu’il n’a pas dépensé un centime de cet argent. « Il faut penser à l’avenir » dit-il. Un avenir qui n’a rien d’optimiste pour M. Deeb.

En février, lors de sa première interview avec le journal Independent, M. Deeb a expliqué qu’il avait été membre du Front démocratique pour la libération de la Palestine - première faction à appuyer la solution des deux États dans les années 1970. Il dit, qu’à l’époque, tout ce qu’il voulait c’était que « les Israéliens quittent toute la Palestine ». Maintenant, plus calme, il dit : « j’accepterais deux états voisins ». Il croit que les États-Unis ont le pouvoir de faire pression sur Israël - qu’il appelle le « 51e État étasunien » - mais il doute qu’ils le feront et il se plaint également de ce que le gouvernement du Hamas n’a pas « d’horizon politique ».

Il y a pourtant quelque chose de remarquable dans la manière dont certains Gazaouis endeuillés arrivent à faire face à leur perte. Maysa Samouni, 20 ans, était parmi ceux qui disent avoir reçu, la veille, l’ordre des soldats israéliens de se réfugier dans le hangar où 29 civils - principalement des Samouni - ont été tués par les obus israéliens à l’aube du 6 janvier, quand trois hommes de la famille de son mari se sont risqués à sortir pour ramener un oncle dans un lieu qu’ils croyaient sûr.

Mme Samouni, dont le mari Tawfiq a été tué , et dont la petite fille de trois ans, Jumana, a perdu trois doigts, a donné des détails précis - et inévitablement souvent horribles - par téléphone à l’organisation israélienne de défense des droits humains, Btselem, le lendemain de l’attaque ; ce témoignage qui a été repris par chaque enquête ultérieure menée par des journalistes et des organisations de défense des droits humains.

Un obus a tué les trois hommes, et alors que Tawfiq - anciennement conducteur de bulldozers, mais qui essayait de boucler ses fins de mois en tenant une épicerie chez lui à la maison- courait chercher de l’aide, un autre obus est tombé sur le toit, tuant 26 personnes. Même aujourd’hui, elle s’empresse de reprendre un journaliste qui parle de 30 personnes tuées pendant la phase la plus terrible de la guerre. « C’était 29 » dit-elle, en ajoutant, au sujet de son témoignage, que « les détails sont importants ».

Elle dit que le pire moment ce fut de retourner voir les maisons détruites de sa belle-famille. « Je n’ai rien reconnu »dit-elle. Au sujet du premier obus, elle dit simplement : « je suis sûre que les Israéliens avaient l’ordre de tirer sur tout ce qui bougeait et de tuer. Les hommes [ceux qui sont sortis de la maison] portaient des pulls. Peut-être les soldats ont-ils pensé qu’ils appartenaient à la résistance ». Mme Samouni, qui vit à présent avec ses parents, ajoute : « il m’a fallu un mois pour faire face à la nouvelle situation. Mais je n’avais d’autre choix que de continuer à vivre. Il faut regarder vers l’avenir. Rien ne reviendra. Les morts ne vont pas revenir à la vie ». Mme Samouni ira donc à l’université Al Aqsa étudier l’anglais, à temps complet, en septembre.

Khalil al Jadili, 16 ans, fait preuve de la même résilience : il a eu les deux jambes amputées, lors de ce que la famille appelle « un tir aveugle d’obus qui, à 15 heures 10 a tué, le 16 janvier, son jeune frère Mohanad, 8 ans, et fait perdre l’oeil gauche à un autre frère, Abdel Hadi, 15 ans, alors qu’ils étaient tous dans la maison de leur grand-mère en face de chez eux au camp de réfugiés bondé de Bureij, dans le centre de Gaza. Avant de partir, via l’Égypte, en République tchèque où il espère qu’on lui montera des jambes artificielles, Khalil, qui avait été un footballeur et un joueur de basket-ball passionné avant l’attaque qui a changé sa vie, dit : « j’espère revenir en marchant ». Bien que sa mère Nabila, 39 ans, dise que Khalil a souvent été pris de « grandes colères » depuis, toute la famille y compris Khalil sourit gaiement en présence de visiteurs et plaisante au sujet de la photo dans laquelle on voit Khalil avec les « jambes » en carton qu’il a fabriquées et qu’il a enfilées dans des jeans. « Je voulais voir de quoi j’aurai l’air avec mes jambes artificielles », explique-t-il. Nabila montre son téléphone mobile avec une photo de Mohanad mort en disant : « ce n’était qu’un bébé ». Mais même en disant ça, elle garde son calme.

La famille, qui aspire à s’installer dans une maison plus vaste où Khalil, maintenant en chaise roulante, pourra avoir sa propre chambre, est désespérément pauvre et le père, Amr, dit qu’il ne pousse plus sa charrette dans les rues locales - charrette à bras ou même tirée par un âne - depuis laquelle il vendait des brosses et du détachant. À cause du blocus, qui dure depuis deux ans, dit-il « je n’ai pas de produits à vendre ». Mais bien que épuisé par les interminables démarches pour obtenir des passeports et des traitements à l’étranger pour ses deux fils blessés, il avoue qu’au moins cela l’a occupé. « On dirait que je cours tout le temps » dit-il. Entre-temps, Mme Samouni continuera d’aller avec sa fille Jumana rendre visite à sa belle-famille chaque semaine. « Après tout, c’est sa famille aussi » dit-elle. C’est peut-être le seul moment où elle montre sa tristesse. « J’étais heureuse avec les Samouni » dit-elle. « Je m’entendais bien avec eux ».

12 juin 2009 - Palestine Telegraph - Cet article peut être consulté ici :
http://www.paltelegraph.com/photo-s...
Traduction : Anne-Marie Goossens


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