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Palestine : la dimension économique

lundi 8 juin 2009 - 06h:25

Hael Al-Fahoun - palaestina.org

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Dans le cadre de la Conférence Economique de l’Association pour le Proche et le Moyen-Orient (Numov), le Délégué Général de Palestine en Allemagne, Hael Al-Fahoun, a donné un exposé sur les structures économiques dans les territoires occupés. Il analyse le potentiel présent, mais qui en raison de l’occupation est à peine utilisable.

Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

L’économie, comme vous le savez, n’est rien d’autre que la vie d’une société elle-même, et en cela, malgré la rareté du discours économique sur la Palestine, la prévalence des passions idéologiques, ou le pouvoir des représentations théologiques, l’économie est le souci le plus vital pour la survie, la croissance, le bien-être et le développement de tout peuple, de toute nation et de tout état.

Je voudrais rappeler ici quelques faits essentiels concernant l’économie palestinienne, et quelques-uns des facteurs qui pèsent sur sa situation présente. Je ne vous accablerai pas de chiffres et de statistiques, mais j’essaierai d’esquisser les structures et les tendances qui sont à l’ ?uvre dans l’économie palestinienne. Ensuite j’aimerais réfléchir avec vous sur son futur possible, afin de pouvoir partager une vision commune, à la fois de nos besoins les plus urgents dans le court terme et des scénarios souhaitables dans le long terme.

Tout d’abord, précisons que lorsque nous parlons de la Palestine dans ce contexte particulier, nous parlons de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et de Jérusalem-Est : les territoires palestiniens occupés en 1967, qui ne constituent que 22% de l’ancienne Palestine mandataire. C’est le territoire que la communauté internationale (de l’Assemblée Générale de l’ONU au Quartette) reconnaît comme celui du futur état palestinien, et c’est le territoire pour lequel nous réclamons la souveraineté, conformément au droit international. Bien sûr, cela n’abolit en rien ni l’histoire ni la géographie, mais reflète une réalité politique qu’il faut affronter.

Territoire veut dire sol, et le sol de la Palestine politique rétrécit littéralement, étant graduellement exproprié par la puissance occupante aux fins de colonisation ou d’autres objectifs. En effet, le sol est confisqué sous un éventail de motifs : pour établir des colonies de peuplement, pour les étendre, pour occuper et clôturer leurs environs, réservés pour la prétendue « croissance naturelle » ; pour installer des sites et des camps militaires, notamment des bases d’entraînement, des « zones de sécurité » fermées, ainsi que des centres de détention, des « routes de contournement » qui connectent le réseau de colonies et évitent les villes palestiniennes et les terres qui les entourent, la zone du Mur, et bien sûr les fameux « avant-postes », certains d’entre eux étant sporadiquement supprimés et presque instantanément reconstitués. Tout cela est construit sur des terres palestiniennes privées ou publiques qui ont été expropriées, processus qui n’a jamais cessé depuis 1967, diminuant systématiquement et significativement la surface disponible pour l’activité économique palestinienne.

L’eau, composant de base pour l’économie en général et l’agriculture en particulier, est également une denrée manquante à cause des effets de l’occupation et de la colonisation. Pas moins de 85% des ressources hydriques en Cisjordanie sont détournées en faveur des colonies, de leurs piscines et de leurs jardins irrigués, tandis que les citoyens, les agriculteurs et les chefs d’entreprises palestiniens ont à peine assez d’eau pour survivre, et que toute la population de Gaza souffre d’une grave insuffisance d’eau potable. A l’exception du district de Jénine, toutes les ressources en eau souterraine de Cisjordanie se trouvent dans des zones que les gouvernements israéliens successifs ont déclarées vitales pour la sécurité d’état !

L’environnement, c’est-à-dire la qualité et les potentialités des bases sur lesquelles repose l’activité économique, est lui aussi gravement détérioré par les effets des politiques d’occupation et de colonisation, avec des pollutions et des dégradations du sol et des ressources hydriques quelquefois irréversibles et le plus souvent délibérées.

Traditionnellement, la principale production agricole en Palestine a toujours été l’olivier, source de l’huile d’olive, mais aussi du savon, favorisant ainsi le passage de l’agriculture aux produits manufacturés. Le sort des oliviers palestiniens sous l’occupation est l’un des exemples les plus choquants de la complémentarité entre les actions des colons et celles de l’armée. Des centaines de milliers d’oliviers, certains d’entre eux vieux de plusieurs siècles, ont été détruits tout au long des années d’occupation, soit par les colons au nom de leur ambition délibérée de vider la Palestine de sa population d’origine, soit par les forces d’occupation sous divers prétextes administratifs ou militaires. Et quand le temps de la récolte est venu dans ce qui reste d’oliveraies, les colons sèment la terreur contre les récoltants et empêchent la récolte par la violence. Et s’ils ne le font pas, c’est l’armée israélienne qui proclame un couvre-feu pour empêcher les propriétaires des vergers d’y accéder pendant les quelques semaines de la saison des olives.

Mais bien sûr, le pire obstacle à l’activité économique provoqué par l’occupation est l’état de siège et le système de barrières de séparation implanté en nombre variable dans des centaines de postes de contrôle, y compris la séparation interne empêchant la circulation à l’intérieur de la Cisjordanie même, entre villes et villages, sans parler de l’absence totale de « passages sécurisés » entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza, promis par les accords signés, mais jamais mis en place.

Lorsque ce régime de barrières de séparation a été installé en 1996, la Banque Mondiale a estimé que son coût pour l’économie palestinienne serait de 7 millions de dollars par jour, soit sept fois le montant de l’aide internationale à la Palestine à l’époque. Depuis 2000, les destructions massives d’infrastructures et de propriétés tant privées que publiques lors d’opérations dites militaires ont fait croître ces chiffres de façon spectaculaire.

Enfin il y a le Mur, « serpentant » comme le décrivit un jour le Président Bush, « au c ?ur du territoire palestinien », incarnation concrète de l’incapacité israélienne à imaginer la paix et la coexistence. Le Mur, reconnu illégal par la communauté internationale, consacre de facto l’annexion de quelque 10% de la Cisjordanie, mais il coupe aussi, dans les deux directions, les fermiers de leurs cultures, les travailleurs et les chefs d’entreprises de leurs lieux de travail, les patients de leurs hôpitaux, les élèves de leurs écoles et les consommateurs de leurs marchés.

Dès lors les Palestiniens de Palestine sombrent un peu plus chaque jour dans la pauvreté et le chômage. Et même sans évoquer ici les souffrances et les tragédies humaines provoquées par l’assassinat ou la mutilation de tant de milliers de civils, y compris des femmes et des enfants, il faut prendre la mesure des effets économiques de ce massacre ininterrompu.

C’est là un tableau sinistre de ce qui se passe en Cisjordanie, mais la situation de Gaza, où deux années de blocus culminant avec l’agression militaire de décembre-janvier ont créé une vraie crise humanitaire, est bien pire encore. Même si les colons ne sont plus là, le territoire est plus que jamais occupé, assiégé et agressé, et ce qui subsiste d’activité économique est à présent de plus en plus dépendant des tunnels souterrains, qui servent d’organes respiratoires. Et la seule manière de contrôler les marchandises qui passent la frontière égypto-palestinienne est d’ouvrir des points de passage normaux et de laisser les marchandises aussi bien que les personnes circuler ouvertement.

La situation à Jérusalem-Est et dans les villages environnants annexés formellement et illégalement en juin 1967 est un autre cas extrême de destruction de l’économie palestinienne, par l’élimination directe de la présence palestinienne dans la Ville Sainte. Ce n’est rien d’autre que de l’épuration ethnique, ce que l’association israélienne pour les droits de l’homme « B’Tselem » appelle « le transfert discret ». Ici encore, « l’initiative privée » de mouvements de colons pour déposséder les Palestiniens de Jérusalem de leurs maisons croise la politique israélienne officielle visant à dénier aux Palestiniens le droit de vivre à Jérusalem.

Malheureusement, les choses ne semblent pas devoir s’améliorer dans le court terme. Tout en tentant de tromper l’opinion mondiale en parlant de « paix économique », le gouvernement israélien continue d’étrangler l’économie palestinienne en essayant vainement de briser la volonté de notre peuple, et les effets secondaires de la crise financière mondiale actuelle exacerbent les difficultés déjà immenses. C’est pourquoi votre solidarité et vos efforts conjoints, en tant qu’Européens et acteurs économiques de la mondialisation, mais aussi en tant qu’investisseurs individuels, sont tellement cruciaux dans la conjoncture actuelle.

Chers amis,

En présence de tous ces éléments, il faut bien admettre que la résilience de la société et de l’économie palestinienne est remarquable. Si 60% des forces de travail sont sans emploi, cela signifie 40% de travailleurs, tandis que la solidarité sociale et familiale empêche l’ensemble de la société de sombrer dans la famine. Je voudrais ici rendre hommage à la vitalité du secteur privé palestinien, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, y compris les expatriés qui ont réussi et qui retournent. Je souhaite par ailleurs souligner la contribution du secteur public à assurer emplois et revenus, lesquels sont finalement redistribués dans toute une variété de domaines.

Confrontés aux retards permanents du processus politique, les Palestiniens ont entrepris de commencer à construire leur économie et leurs institutions. Dans une approche inverse, nous voulons créer des faits accomplis institutionnels et économiques qui constitueront l’épine dorsale du futur état palestinien. Mais le succès n’est possible que si nos partenaires dans la recherche de la paix - en Europe en général, mais en particulier en Allemagne où existe une importante communauté palestinienne riche de compétences techniques, scientifiques, professionnelles et financières - mettent tout leur poids dans la balance avec le secteur privé palestinien. De tels projets et expériences sont déjà en cours dans différents domaines, et ils méritent notre soutien inconditionnel.

Dans une perspective proche, le plus urgent est l’aide et la reconstruction, en particulier à Gaza. Mais nous ne voulons pas, et nous n’avons pas besoin d’être dépendants en permanence de l’aide internationale. Nous voulons des efforts internationaux pour nous aider à devenir autonomes, à créer de l’emploi, à stimuler le secteur privé et à recréer les dynamiques du commerce et de la consommation, tout en permettant à l’état et au secteur public de réguler et de gérer l’activité économique et financière.

A moyen terme cependant, le but doit être de restaurer une activité économique normale. Cela implique la fin de la séparation, des colonies, du mur, etc... Cela implique l’opération du Passage sécurisé entre Gaza et la Cisjordanie. En fait, cela implique la fin de l’occupation et l’établissement de l’état palestinien indépendant, souverain, pacifique et démocratique viable, qui est la clé de la paix et de la stabilité régionales. Même l’actuelle division politique dans les rangs palestiniens, sur une base géographique, n’est qu’un effet collatéral ou un sous-produit de l’occupation israélienne pour empêcher la liberté de circulation entre les deux parties du territoire.

A son tour, la paix régionale ouvrira de nouvelles opportunités pour des pays comme la Palestine, dotée d’un petit territoire et sans ressources naturelles générant une rente, mais riche de compétences techniques et scientifiques - tout en étant, par sa nature et son histoire, une destination privilégiée pour les pèlerinages et le tourisme. La paix dans la région, encourageant l’intégration de marchés locaux dans le système économique de la grande région construit sur une répartition rationnelle des rôles économiques, permettra à la vitalité palestinienne de fournir une contribution majeure au bien-être de la zone dans son ensemble.

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Hael Al-Fahoun

* Hael Al-Fahoun est délégué Général de Palestine en Allemagne

29 mai 2009 - palaestina.org - Vous pouvez consulter ce document sur :
http://www.palaestina.org/news/beit...
Traduction de l’allemand : Marie Meert


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