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« Gaza a le visage de la souffrance »

jeudi 9 avril 2009 - 05h:52

Adam Makary - Al Jazeera.net

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Philip Rizk, 27 ans, journaliste pigiste et blogueur qui fait des reportages à Gaza depuis 2005, a été arrêté par les forces de sécurité égyptiennes après un rassemblement pro-palestinien au Caire, le 6 février dernier.

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Rizk dit qu’il suffit d’une seule visite à Gaza pour se représenter le genre de martyre que le peuple endure quotidiennement [Gallo/ Getty]

Il a été libéré quelques jours plus tard sans aucune inculpation.

A Gaza, il a tourné « La vie palestinienne », documentaire s’attachant à montrer les moyens de résistance non-violents contre l’occupation palestinienne.

La première du film a eu lieu le 4 avril au Festival International du Film Documentaire à Londres. Voici des extraits d’une interview que Rizk a accordée à al Jazeera avant la projection.

Al-Jazeera : pourquoi avez-vous été détenu puis relâché par les autorités égyptiennes lors du rassemblement au Caire ?

Rizk : le 6 février, je participais à une manifestation de 15 protestataires contre le siège de la Bande de Gaza. Nous sommes partis des faubourgs du Caire en marchant dans la direction de Gaza. Après une douzaine de kilomètres, nous avons été stoppés par les forces de sécurité qui m’ont fait sortir du groupe. Ils m’ont fait entrer de force dans leur véhicule, et m’ont bandé les yeux, je ne savais donc pas où j’allais. L’un des protestataires était un juriste et avait une voiture, et ainsi, lui et quelques autres ont suivi le véhicule qui m’emmenait.

La police a organisé des postes de contrôle pour les ralentir et finalement ils ont perdu ma trace.

Les hommes de la sécurité m’ont emmené à trois postes de détention. Quand je suis arrivé à la troisième destination, ils m’ont donné un numéro, 29, en me disant d’oublier mon nom, et c’est là que j’ai passé quatre jours. Ils m’ont interrogé sur tout ce que j’ai pu faire dans ma vie : où je suis né, qui je connais ... tout.

Ils ne m’ont inculpé de rien, mais pendant qu’ils m’interrogeaient, ils m’ont accusé d’être un espion israélien. Ils ont dit aussi que je passais des armes au Hamas. Il semble donc qu’ils essayaient d’arriver à comprendre qui j’étais pour monter un dossier contre moi.

Vous avez fait des reportages depuis Gaza ces deux dernières années et vous avez été un des premiers journalistes à avoir accès aux tunnels. Les Palestiniens les utilisent-ils toujours ?

Les Gazaouis fonctionnent avec tout ce qu’ils ont à leur disposition.

J’ai vécu à Gaza de 2005 à 2007 et j’y ai travaillé pour une ONG appelée Fondation pour l’aide et la réconciliation (Foundation for Relief and Reconciliation).

Gaza a le visage de la souffrance et les conditions de vie sont inimaginables. Il faut visiter pour pouvoir imaginer le genre de détresse que les Gazaouis doivent endurer chaque jour. Ils fonctionnent avec tout ce qu’ils ont à leur disposition.

J’ai été bouleversé quand je suis retourné à l’été 2008. J’ai découvert ces tunnels moi-même et je n’arrivais pas à croire combien ils étaient à l’extérieur et à l’air libre. Auparavant, j’avais entendu dire que les entrées se trouvaient à l’intérieur même des séjours des gens, sous leurs lits ou sous une table, les rendant difficiles à trouver si jamais un soldat israélien perquisitionnait leur maison.

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Rizk : les Gazaouis fonctionnent avec tout ce qu’ils ont à leur disposition

L’été dernier, je suis passé dans des centaines de tentes, et sous chacune d’elles il y avait des points d’accès à des centaines de ces tunnels. Egyptiens et Israéliens étaient bien au courant, car ces tunnels étaient le seul moyen pour les gens de transporter de la nourriture et des biens.

Au moins 85% des gens sont dépendants de l’aide alimentaire. Si la quantité d’aide était réduite, ils mourraient de faim.

Les camps de réfugiés reçoivent une aide de farine, d’huile et de riz, mais sans ces dons ils ne pourraient pas survivre.

Ils sont peut-être en vie mais ils ne vivent pas. Il n’y a pas de travail, ils ont perdu leur dignité à cause du manque de travail causé en grande partie par le siège. Les pères n’ont rien à donner à leurs gosses et devant leurs femmes ils ont honte parce qu’ils n’ont rien à faire ; ils ne peuvent même pas répondre aux besoins les plus basiques de leurs familles.

L’ironie est que les principaux fournisseurs d’emploi sont les ONG financées par des organisations internationales qui servent à aider à faire survivre le reste de la population. Entre-temps, les politiciens ne cherchent pas de solutions réelles au conflit.

De quoi les médias ne parlent-ils pas ?

Plus de 1400 personnes sont mortes dans la dernière guerre contre Gaza. Mais sur une base régulière, les Gazaouis meurent de toutes sortes de causes dont nous n’entendons pas assez parler dans les médias. Le système des eaux usées est épouvantable, l’eau est polluée et les maladies deviennent un phénomène croissant à Gaza.

Les hôpitaux ne sont pas à la hauteur parce qu’ils manquent d’électricité ; beaucoup de Palestiniens ont un besoin désespéré de dialyse rénale, les genres de maladies existant là-bas s’aggravent ; tout simplement, ce n’est plus un espace vivable.

La ligne de démarcation entre le sens de la vie et celui de la mort s’évanouit. En tant qu’étudiant, vous pouvez passer toute votre vie à essayer de faire de votre mieux à l’école, d’obtenir de bonnes cotes - mais tous ces efforts sont perdus parce qu’il n’y a pas d’avenir même pour le meilleur de la promotion.

Chacun est laissé dans une impuissance complète sans espoir ni futur potentiel. Je suis même choqué de voir combien des enfants arrivent à être performants dans ces écoles, quand on considère comment ils vivent, en état de guerre constant.

On a évoqué les tensions entre Palestiniens et colons israéliens à Hébron. Est-ce une situation potentiellement explosive ?

Ce qui arrive à Gaza reste à Gaza parce qu’on ne parle pas de certaines choses dans les reportages. Israël a si bien réussi à contrôler le flux de l’information qu’il contrôle toute personne qui entre et qui sort de la Bande. C’est plus facile pour des étrangers qui peuvent entrer avec des ONG travaillant à Gaza. Où qu’aillent les médias, c’est Israël qui délivre les permis, et de la mi-novembre jusqu’à fin janvier ou début février, les Israéliens n’ont plus autorisé aucun accès, il y a eu black-out de l’information.

Un autre élément est que les organisations médiatiques dans le monde ne sont pas tellement intéressées à continuer de faire des reportages sur Gaza.

Pour elles, il n’y a rien de nouveau dans la situation, alors qu’en fait, l’histoire ne cesse de se déployer, les « nouvelles de dernière minute » ne cessent pas à Gaza. Mais comme ces « nouvelles » révèlent toujours un même type d’information, personne ne se soucie de les rapporter.

Ainsi votre documentaire va jeter la lumière sur la situation à Gaza ?

Mon documentaire est une réponse à ce que j’ai vu à Gaza et en Cisjordanie, et ce sont des histoires qui ne font pas les titres des médias. On identifie si facilement les Palestiniens à des terroristes portant cagoule, tenant un fusil ou tirant un missile Qassam.

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Rizk estime que la ligne de démarcation entre le sens de la vie et celui de la mort s’évanouit à Gaza

Mais ce sont réellement des gens de tous les jours qui essaient de faire de leur mieux dans la vie, envoient leurs enfants à l’école, cherchent un boulot, réussissant leurs examens de fin d’études.

J’ai remarqué une chose dans les médias, c’est que le thème de la violence est toujours associé à des histoires venant de Gaza.

Pourquoi ne pas braquer le projecteur sur des histoires de résistance non-violente ? Si certains Palestiniens retournent la violence israélienne avec une violence accrue, la grande majorité ne le fait pas, et le mot arabe pour de tels actes de protestation non-violente est sumoud, qui signifie volonté indéfectible, persévérance.

Quoi que les Israéliens fassent aux gens que j’ai rencontrés, ils continuent à lutter pour leur droit de rester sur leurs terres, leur droit de rester vivants. Bien des gens que j’ai filmés ne sont pas affiliés à des partis politiques, ce sont des gens normaux comme vous et moi.

J’avais besoin d’aller en Palestine pour comprendre ce qui se passait là-bas. Etudier et lire sur le sujet ne faisait pas sens, jusqu’à ce que je voie le mur, les colonies et l’occupation physique. Après cela, après avoir vécu les expériences que j’ai traversées, j’ai voulu traduire ce que j’ai vu via le média cinématographique.

J’ai également en projet un film en Afrique de l’ouest, ensuite j’aimerais me pencher sur l’Egypte, qui est un véritable état policier. Il y a beaucoup de bureaucratie partout, ce sera donc un vrai défi.

Plus d’informations sur le documentaire de Philip Rizk à : http://www.thispalestinianlife.org

Avril 2009 - Al Jazeera.net - Cet article peut être consulté ici :
http://english.aljazeera.net/focus/...
Traduction de l’anglais : Marie Meert


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