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Les horreurs de la paix d’Israël

mercredi 28 janvier 2009 - 06h:27

Samera Esmeir
Al-Ahram Weekly

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"Par la guerre et par la paix, Israël cherche à détruire les Palestiniens, physiquement et psychologiquement."

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Les blindés israéliens à la frontière de Gaza, le 22 janvier. (AFP)




Après trois semaines de guerre contre la bande de Gaza, Israël a décrété un cessez-le-feu unilatéral tout en refusant de mettre fin à ses opérations soi-disant défensives. En réponse, le Hamas a déclaré un cessez-le-feu d’une semaine, jusqu’à ce que le retrait des troupes israéliennes soit terminé. Pour beaucoup en Occident, le cessez-le-feu peut passer pour un moment qu’il faut fêter, la cessation par les deux côtés des hostilités militaires pouvant relancer le processus de paix. Mais il y a des raisons à rester réservés à l’égard de ce cessez-le-feu, car il perpétue une situation où Israël ne fait qu’agir unilatéralement. Ce à quoi nous assistons en vérité est une nouvelle phase de la catastrophe de Gaza. Même si les spécificités de cette phase ne nous sont pas encore connues, la violence d’Israël apparaît encore plus évidente. Et c’est peut-être pourquoi le Premier ministre israélien Ehud Olmert n’a pas fait mention, une seule fois, du mot « paix » quand il a annoncé le cessez-le-feu. Le « processus de paix » pourrait bientôt se révéler comme l’autre face de la médaille, celle d’une guerre - poursuivie par d’autres moyens - qu’il alimente simultanément.

Il y a au moins deux leçons à tirer de la guerre dans la bande de Gaza.

La première est qu’il faut voir comment la guerre et les cessez-le-feu unilatéraux constituent des stratégies pour le renforcement du pouvoir d’Israël sur la population palestinienne dans Gaza, et pour la transformation de cette population. Israël exige unilatéralement une coexistence pacifique de la part des Palestiniens, lesquels doivent se résigner à l’emprisonnement sinon Israël les menace - et met ses menaces à exécution - de détruire leurs vies. Les Palestiniens, dans le script israélien, ont le « choix » entre se soumettre ou être anéantis. Un choix où la soumission ne se présente pas comme une alternative à la destruction, mais comme une autre façon d’anesthésier la vie de la population. Elle implique de refaire des Palestiniens de Gaza des allocataires sans autres ressources de l’aide humanitaire, qui seront rendus ainsi dociles et dépendants. Pire encore, cette aide humanitaire est plus souvent refusée qu’accordée. Israël, autrement dit, exige que les Gazaouis apprennent, pendant les décennies à venir, à vivre dans leur prison territoriale, tout en restant sous occupation et sans montrer par le moindre signe, missiles ou autres, qu’ils vivent démunis de tout dans leur monde. En revanche, on exige d’eux qu’ils restent dans les statistiques publiées dans les rapports des organismes humanitaires internationaux, comme dans les récits qui nourrissent les journalistes compatissants.

Telle est le sens des propositions israéliennes et égyptiennes pour l’instauration d’une « hudna », ou trêve, (c’est-à-dire absence de toute résistance) avec le Hamas pour 15 à 30 ans. Un formidable scénario pour deux Etats en situation de guerre, qui est loin d’être juste quand l’un des Etats occupe le territoire de l’autre. La proposition du Hamas pour une hudna d’un an a été, en un certain sens, une tentative pour éviter d’avoir à choisir entre les deux options tout aussi désastreuses, la soumission ou l’anéantissement.

Que pouvons-nous conclure de l’offre unilatérale de cessez-le-feu d’Israël ? Quelles sont les conditions pour qu’Israël reprenne sa brutale destruction de la population palestinienne ?

Selon Israël, si les Palestiniens veulent éviter un autre cycle de destructions, ils doivent accepter les conditions suivantes : se taire aux conditions de l’occupation, et résister à l’envie de résister à l’occupation. Autrement dit, pour Israël, les Palestiniens doivent maintenant oublier leur situation, situation qui est marquée par une longue histoire de leur lutte contre le projet colonial sans fin d’Israël. Ils doivent au contraire se métamorphoser en individus du présent, sans mémoires, ni traumatismes ni aspirations. Bref, Israël conduit une guerre pour tuer la vie, tout en menant un cessez-le-feu pour éradiquer les questions politiques. Pour la jeunesse de Gaza, les deux situations sont effroyables : être tués ou être les témoins silencieux de sa mort - mettre fin à sa vie ou se tuer en tant qu’être humain politique et moral. Les deux situations sont mortelles. La seule différence, c’est que la seconde mort n’apparaîtra pas comme un fait sensationnel ou horrifiant sur les écrans de télévision. En effet, aucun des grands médias n’en parlera, étant donné qu’ils ne reconnaissent pas que priver un peuple de son combat politique sous l’occupation signifie demander à ce peuple d’accepter une subordination meurtrière et l’emprisonnement comme mode de vie.

La dualité soumission/anéantissement qui caractérise le psychisme israélien officiel est délirante. Son caractère délirant, néanmoins, ne réduit en rien celui meurtrier de ses opérations. L’illusion est de croire que les Gazaouis, traumatisés par la guerre, puissent se transformer en sujets dociles de l’assistance humanitaire, commandés non seulement par les gouvernements occidentaux responsables au premier chef du siège de Gaza, mais aussi par Israël, puissance occupante de la bande de Gaza et des autres territoires palestiniens. Ainsi, l’illusion est-elle de croire que les Palestiniens vont accepter paisiblement les conditions de l’occupation et la poursuite de leur emprisonnement jusqu’à ce qu’Israël veuille bien leur octroyer un Etat palestinien. Prises dans la dualité anéantissement/soumission, ces illusions visent à la maîtrise de l’occupant, par la paix ou par la guerre.

Naturellement, il est difficile de savoir si Israël va réussir à limiter les options du « choix » pour les Palestiniens à la destruction et à la soumission. Beaucoup de Palestiniens disent effectivement : « Non au processus de paix » et « Non à la guerre », sous l’occupation persistante.

Et voici la seconde leçon à tirer de la bande de Gaza.

La paix, au moment présent, n’est pas le contraire de la guerre. Elle est plutôt la deuxième face de la même médaille. L’appel des 12 Etats arabes pour suspendre l’initiative de paix arabe est peut-être en train de refléter une certaine appréciation des horreurs de la paix. Les dirigeants de ces Etats ont compris que l’initiative arabe fournissait à Israël une invitation à la paix qui l’incitait, plutôt que le dissuader, à mener la guerre contre les Palestiniens qui refusent de se mêler au concert de la paix alors qu’ils restent sous occupation. Ce processus de paix, engagé dans les années 90, et dont les rituels se sont intensifiés ces deux dernières années après l’élection du Hamas, a été le ferment sur lequel est née la guerre contre Gaza.

En tant que processus fluctuant, la paix dans la bande de Gaza a mobilisé des opérations disciplinaires et assassines ; soit une paix qui respecte les conditions du processus de paix et donne l’espoir que peut-être ses petits-enfants verront la fin de la colonisation, soit une paix où l’on risque l’arrestation, la torture et la mort par Israël ou ses sous-traitants. Mais le pire, et comme le travail diplomatique autour de cette guerre de Gaza le montre, c’est que la paix est devenue aussi une sorte d’« impératif de civilisation » que les Palestiniens sont priés de respecter, tout en abandonnant leur résistance à l’occupation qui va se poursuive. Ce n’est qu’ainsi qu’ils rejoindront le monde civilisé, ou alors, ils seront considérés comme de méchants terroristes. Est-il besoin d’ajouter que les opérations de cet impératif de civilisation sont de loin beaucoup plus violentes que celles qu’il cherche à réprimer ? Face à un refus palestinien de jouer le jeu, le processus évolutif de paix engendre, provoque et exacerbe les opérations assassines qui poussent le pouvoir - comme nous l’avons vu durant ces trois semaines de guerre - à anéantir, liquider et démanteler tout ce qui se dresse devant l’« impératif de civilisation ». Le rétablissement de la paix, en Palestine, et ailleurs dans le monde, est notre mission civilisatrice du moment, et elle est dévastatrice.

La tenue du sommet économique arabe au Koweït pourrait, mais peut-être pas, conduire à la suspension de l’initiative de paix arabe. Le processus de paix entre l’Autorité palestinienne et Israël va peut-être aussi survivre à la dernière catastrophe. Mais en attendant, Gaza montre que l’opposition qui semble apparaître entre guerre et paix, entre soumission et anéantissement, n’existe pas. Au contraire, l’un nourrit l’autre et accroît ses possibilités. Par conséquent, il devrait être évident que le choix entre le processus de paix et la guerre n’est pas véritablement un choix, car les deux ne représentent pas des projets radicalement différents.

Les Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza subissent l’occupation israélienne depuis 41 ans. Durant cette période, ils ont participé à plus de 18 ans de processus de paix. Près de la moitié de toutes leurs années d’occupation depuis 1967 se sont passées à engager des démarches de paix. Ce simple fait ne devrait-il pas nous alerter sur l’affinité qui existe entre paix et occupation, entre soumission et destruction ? Ce simple fait peut-il nous révéler que la paix n’est pas toujours la solution à la guerre, mais qu’elle est souvent le terrain sur lequel une guerre est menée ? Et si cette alerte est entendue, va-t-on enfin commencer à se réveiller avec les carillons de la paix, et pas seulement avec les bombes de la guerre ?

Samera Esmeir a reçu son doctorat Droit et société à l’Université de New York. Elle est aujourd’hui maître-assistant à l’université de Californie à Berkelay, USA.

Centres d’intérêt : Le colonialisme et la modernité, la guerre, la violence, le développement, la mémoire, la pensée sociale et politique, études moyen-orientales.

Ancienne avocate, Samera Esmeir a également été co-éditrice et co-fondatrice de la revue de l’association Adalah, un journal publié en arabe, en hébreu et en anglais qui met l’accent sur la minorité palestinienne en Israël.

Son mel : samera.esmeir @ berkeley.edu.

26 janvier 2009 - Al-Ahram/Weekly - traduction : JPP


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