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Le grand silence après la guerre

samedi 24 janvier 2009 - 07h:31

Pierre Heumann

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Les Israéliens ne comprennent pas ce monde qui les accuse pour leur manière d’agir dans la Bande de Gaza. Ils refoulent les débats sur ce thème, dans les journaux, la souffrance des Palestiniens est reléguée aux dernières pages. Un Israélien sur deux estime que le cessez-le-feu arrive trop tôt.

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Camp de Beit Lahiya au nord de la bande de Gaza. Les Israéliens ne laissent derrière eux que douleur et désolation.

Plusieurs milliers de morts, de blessés et de sans abri à Gaza - tout cela n’est qu’à une bonne heure de voiture de Tel Aviv. Et pourtant en Israël les conséquences de la guerre contre le Hamas ne sont pas un sujet de discussion. Les élections du 10 février semblent refouler toute réflexion sur les problèmes moraux que pose la démarche des armes.

Pas le moindre débat public sur les limites éthiques que les soldats et les officiers devraient respecter. Personne ne pose cette question : combien d’enfants peut-on sacrifier à Gaza pour sauver la vie d’un soldat ? Personne ne veut savoir qui à présent va assister les sans-abri et les réfugiés de Gaza.

Ce silence préoccupe l’activiste pour la paix Gad Blatiansky. Cela l’inquiète, que son pays soit tellement indifférent devant la souffrance des Palestiniens à Gaza. Militairement, il est vrai qu’Israël l’a remporté sur le Hamas. Mais une société qui ne déclenche aucun débat intensif sur les victime dans la population civile à Gaza est selon lui « une société stupide avec des valeurs minables ». « C’est pour cela que la société israélienne a perdu » dit Blatiansky, qui est engagé à la tête d’une grande organisation pacifiste pour une solution politique du conflit israélo-palestinien.

Sous le portail internet Ynet, Blatiansky écrit aussi qu’Israël traverse actuellement un développement très dangereux, et il s’exclame avec effroi : « Que sommes-nous devenus ? ». Pour lui c’est bien plus qu’une formule rhétorique. Imaginer dans quelle société ses enfants vont grandir l’inquiète profondément.

Les questions inconfortables sont automatiquement tabou

De nos jours, des voix de cette nature sont rares en Israël. Elles ont une valeur de rareté qui paraît presque exotique. Parmi les critiques isolés figure notamment l’auteur David Grossman. Israël a démontré qu’il a une armée forte, d’accord. Mais la démonstration qu’il était dans son droit, il ne l’a pas réussie, rappelait-il dans le quotidien libéral de gauche Haaretz.

Parmi les rares critiques on compte aussi huit organisations israéliennes pour les droits de l’homme. Elles réclament au Procureur général Menachem Masus la création d’un comité indépendant chargé d’enquêter sur les attaques de l’armée israélienne contre des civils dans la Bande de Gaza.

Bien loin de la mentalité la plus répandue, selon laquelle toutes les questions inconfortables sont automatiquement tabou dès qu’il s’agit de la sûreté du pays, on trouve également le groupe Keshev, le « Centre pour la Protection de la Démocratie en Israël ». Sa dernière analyse des médias se conclut sur un réalisme froid, « qui n’a cependant rien de surprenant », comme le dit le dirigeant de Keshev, Yizhar Be’er.

Au cours des guerres, rédacteurs et reporters manifesteraient « presque instinctivement » une attitude patriotique et mangeraient n’importe quelle information dans la main des porte-parole officiels, au lieu de remettre en question les communiqués. « En situation de crise, les médias se préoccupent toujours de justifier les réactions militaires et ils reprennent sans aucune critique le discours du gouvernement ou des officiers » dit Be’er. C’est ce qui s’est passé cette fois-ci encore à Gaza.

Un Israélien sur deux ne veut pas de cessez-le-feu

Silence, on tire. C’est par cet ordre que les Israéliens justifient le silence pendant la guerre. Mais même par la suite, les citoyens n’ont pas envie de questions critiques. Après qu’une majorité écrasante eut soutenu sans barguigner la guerre de trois semaines contre le Hamas à Gaza, beaucoup sont à présent déçus que le gouvernement ait annoncé un cessez-le- feu unilatéral. Pour un Israélien sur deux, ce serait beaucoup trop tôt.

En effet, selon un sondage, plus de la moitié des citoyens ne croient pas que la tranquillité puisse revenir dans le sud d’Israël. L’objectif de la guerre ne serait pas encore atteint, le Hamas serait encore toujours dangereux. Ils devront sans doute bientôt retourner à Gaza « pour achever le travail », c’est ce que disent les soldats devant les caméras, tandis qu’ils rendent armes et munitions.

"Yedioth Achronot", le journal le plus influent du pays, n’a cessé pendant la guerre de prôner l’extension de l’action militaire, tout en refoulant dans les dernières pages la souffrance des Palestiniens - comme si celle-ci n’était pas pertinente. Les médias israéliens ont tous évalué les événements de Gaza différemment de la télévision et des journaux occidentaux. Ainsi les lecteurs de Yedioth Achronot n’ont appris le bombardement de l’école de l’UNWRA qu’en page sept de leur journal, alors que dans les médias européens et américains, la nouvelle était traitée en gros titres.

« Ils sont de nouveau tous contre nous ! »

Alors que le monde accuse à présent Israël et le menace de procès pour crimes de guerre, les Israéliens voient d’un ?il horrifié la campagne de dénonciation juridique qui s’amorce contre leurs ministres et leurs officiers. « Comme d’habitude ils sont de nouveau tous contre nous », c’est ce que beaucoup se disent, ne comprenant pas ce qu’on leur veut. D’après les sondages, 82% des citoyens israéliens estiment qu’Israël n’a pas usé d’une violence disproportionnée à Gaza. Aussi ne comprennent-ils pas que les images et les nouvelles arrivant de Gaza puissent susciter partout l’empathie avec les Palestiniens et l’indignation contre Israël.

Au lieu de se demander si le chiffre de 1.300 morts est moralement justifiable, ils exigent la libération de Gilad Shalit, le soldat qui fut enlevé et emmené à Gaza à l’été 2006 et qui n’est pas réapparu depuis. « Le combat ne sera pas terminé tant que Gilad Shalit ne sera pas revenu à la maison » disent les officiers qui viennent de revenir de Gaza.

L’indifférence vis-à-vis des Palestiniens serait le résultat d’un long processus, dit Blatiansky, ancien porte-parole d’Ehud Barak. On aurait toléré beaucoup de phénomènes socialement inacceptables - par exemple des cris de guerre sur les terrains de football comme « Mort aux Arabes ! »

Si la jeunesse israélienne se ferme de plus en plus aux voisins palestiniens, ceux-ci n’en sont cependant pas tout à fait innocents. « Les attentats-suicides qui ont insécurisé des villes israéliennes pendant la seconde Intifada ont endurci la société israélienne » selon Blatiansky, « pourquoi devrions-nous nous retenir, alors que les Palestiniens sacrifient leurs enfants à des attentats-suicides et nous les envoient ? »

* Pierre Heumann est correspondant au Moyen-Orient de la « Weltwoche » helvétique.

21 janvier 2009 - Spiegel online - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.spiegel.de/politik/ausla...
Traduction de l’allemand par Marie Meert


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