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Disparu sous les décombres

lundi 12 janvier 2009 - 06h:34

Chris Hedges - Truthdig

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« Nous ne pouvons pas rester assis à regarder les civils palestiniens être tués année après année et ne rien faire. Quand Israël arrêtera de tuer nos civils alors nous arrêterons aussi de tuer leurs civils ».

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Nizar Rayan lors d’un rassemblement du Hamas dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza en 2004 - Photo : AP/Adel Hana




Lorsque j’étais à Gaza, j’ai souvent rendu visite à Nizar Rayan dans sa maison dans le camp de réfugiés de Jabalya et qui a été tué jeudi lors d’un assassinat ciblé d’Israël. La maison est aujourd’hui totalement détruite. Elle a été touchée par deux missiles tirés par des avions de combats israéliens F-16. Rayan, qui me rencontrait dans son étude remplie de livres, a été décapité par l’explosion. Son corps a été projeté dans la rue. Ses quatre femmes et 11 enfants ont également été tués.

Rayan soutenait les tactiques y compris les attentats-suicide qui sont moralement répugnants. Sa haine d’Israël était profonde. Sa marque fondamentaliste de l’Islam était déplaisante. Mais étant donné qu’il avait été comme moi un étudiant en théologie, nos discussions ont souvent déviées de la nature de la croyance, l’Islam, le Coran, la Bible et la vie religieuse. C’était un homme sérieux, prévenant, qui avait profondément souffert sous l’occupation et qui avait dédié sa vie à la résistance. Il aurait pu fuir sa maison et devenir clandestin avec les autres dirigeants du Hamas. Le connaissant, je suppose qu’il ne pouvait pas quitter ses enfants. Que l’on l’aime ou pas, il avait un courage immense.

Le Hamas, me rappelait-il souvent, a commencé à viser les civils israéliens en 1994 seulement après que les croyants dans la mosquée de Hébron aient été assassinés par un colon juif, Baruch Goldstein. Goldstein habitait la colonie voisine de Kiryat Arba. Il est entré dans la mosquée vêtu de son uniforme de l’armée, portant un fusil d’assaut IMI Galil et quatre chargeurs de munitions. Il a ouvert le feu sur ceux qui priaient, tuant 29 personnes et en blessant 125 autres. Il a été attaqué et battu à mort par les survivants.

« Avant le massacre, nous ne visions que les militaires israéliens » avait dit Ryan. « Nous ne pouvons pas rester assis à regarder les civils palestiniens être tués année après année et ne rien faire. Quand Israël arrêtera de tuer nos civils alors nous arrêterons aussi de tuer leurs civils ».

Rayan était un professeur de théologie et de droit à l’université islamique de Gaza. C’était un homme grand, portant une épaisse barbe noire. Il avait la voix tranquille et douce de quelqu’un qui passait une grande partie de son temps à lire. Sur les murs de son bureau se trouvait des photos en noir et blanc illustrant l’histoire des Palestiniens pendant les 50 dernières années. Elles montraient des rangées de camions transportant des réfugiés hors de leurs villages en 1948. Elles montraient les taudis des nouveaux camps de réfugiés construits après la guerre de 1967. Et elles montraient les restes des villages palestiniens rasés dans ce qui est aujourd’hui Israël.

Le grand-père et grand-oncle de Rayan ont été tués lors de la guerre de 1948 qui a conduit à l’établissement de l’Etat d’Israël. Sa grand’mère est morte peu après, après qu’elle et son fils avaient été chassés de leurs village par des combattants juifs. Son père a été placé chez des membres de la famille et il a grandi avec l’amertume des dépossédés, une amertume que son père a transmis à son fils et son fils a transmis à ses propres enfants.

Les milices israéliennes ont conduit, en 1948, 800 000 Palestiniens hors de leurs foyers, fermes, villes et villages vers un exil en Cisjordanie, Gaza et dans les pays voisins. L’historien israélien, Ilan Pappe, a détaillé dans son livre The Ethnic Cleansing of Palestine la politique délibérée israélienne pour expulser les Palestiniens de leur terre.

« Il ne se passait pas une seule nuit où nous ne pensions pas ou ne parlions pas de la Palestine » avait dit Rayan la dernière fois que je l’ai vu, ses yeux embués. « On nous a enseigné que nos vies devaient être consacrées à récupérer notre terre ».

Rayan avait passé 12 années dans une prison israélienne. Son beau-frère s’était fait sauter lors d’une attaque-suicide dans un bus israélien en 1998. Un de ses frères avait été tué par des Israéliens lors de manifestations de protestation de rue cinq années auparavant. Un autre frère avait été expulsé au Liban et plusieurs autres avaient été blessés lors d’échauffourées.

Ses fils, selon leur père, ne veulent devenir qu’une seule chose : des martyrs pour la Palestine.

« Je prie que Dieu les choisisse » disait-il.

Le Hamas qui a pris le pouvoir grâce à des élections libres et loyales, insiste que le vrai but d’Israël est de briser la volonté des Palestiniens de Gaza et de détruire le Hamas en tant qu’organisation. Selon les équipes médicales de Gaza, depuis qu’Israël a lancé son attaque par air et par mer, au moins 430 Palestiniens ont été tués dont 65 enfants et 2 250 autres ont été blessés. Les bombardement ont démoli des douzaines de maisons et provoqué la peur de déficits sévères de nourriture et de maladies dans cette enclave où la plupart des Gazaouis dépendent de l’aide étrangère.

« La protection des civils, le cadre de vie, le futur des pourparlers de paix et du processus de paix régional ont été piégés entre l’irresponsabilité des attaques du Hamas et l’excès de la réponse israélienne » a dit Robert Serry, l’envoi des Nations Unies pour le Moyen-Orient, aux journalistes à Jérusalem.

L’assaut israélien a débuté le 4 novembre lorsqu’Israël a cassé la trêve que le Hamas avait observée pendant plusieurs mois. Israël avait alors bloqué les fournitures de nourriture livrés par l’UNRWA et le PAM. Israël a coupé les combustibles utilisés pour faire fonctionner la centrale électrique de Gaza. Elle a interdit aux journalistes et aux travailleurs humanitaires l’entrée à Gaza. Le PAM de l’ONU a qualifié la situation à Gaza d’effrayante et a dit que «  beaucoup de produits d’alimentation de base n’étaient plus disponibles sur les marchés ».

Et tout cela est en train d’être accompli par une armée militaire moderne contre une population qui n’a aucun moyen de résister.

La direction israélienne a prévenu que cette campagne sera longue et insinué qu’elle pourrait être suivie par une invasion terrestre. Les tanks israéliens sont massés sur la frontière de Gaza. Les frappes continuelles sur Gaza et l’augmentation du nombre de morts enflamment la rage des Palestiniens à l’extérieur de Gaza. Les forces de police israéliennes se préparent déjà à ce qu’elles appellent avec euphémisme ?un terrorisme spontané’ c’est-à-dire un déchaînement publique de protestations en soutien à Gaza qui pourrait devenir violent. La police israélienne a utilisé vendredi du gaz lacrymogène pour étouffer les manifestations de Palestiniens dans la Jérusalem-Est annexée. Quatre Israéliens ont été tués par des roquettes palestiniennes depuis la dernière reprise des violences.

Le seul commentaire de Barack Obama au sujet du massacre à sens unique à Gaza, était : «  Si mes filles vivaient dans une maison menacée par des attaques de roquettes, je ferais tout ce qui est possible pour mettre fin à cette situation ». Il a répété mot pour mot le cliché israélien utilisé pour justifier la politique israélienne que Richard Falk, (le rapporteur spécial des Nations-Unies pour les droits humains dans les territoires occupés palestiniens et un ancien professeur de droit de l’université de Princeton) a défini comme étant « un crime contre l’humanité ». Si l’auto-défense s’applique à Israël, alors pourquoi ne s’applique-t-elle pas à la famille Rayan ? Pourquoi ne s’applique-t-elle pas aux Palestiniens ? C’est Israël et non les Palestiniens qui défie les résolutions des Nations-Unies et la loi internationale en occupant et en saisissant de larges portions de terres palestiniennes.

Les murs de Gaza sont recouverts de photographies de la taille de posters montrant les « martyrs » tués pas les Israéliens. Beaucoup sont photographiés tenant une arme devant le dôme doré de la Mosquée Al-Aqsa de Jérusalem. Ce sont des photos prises dans un studio bien avant leur mort. L’arme est un accessoire et la mosquée étincelante, une toile de fond choisie avec soin. La seule chose vraie dans ces photos est le désir de ces jeunes hommes de se battre contre Israël et pour un Etat palestinien et de mourir. Et pour le moment, à moins que ces photos ne se fadent ou ne s’écaillent, la courte vie et l’héroïsme de cette jeunesse assassinée seront magnifiées.

Gaza, comme la capitale du Kosovo, Pristina, est un bidonville en béton abandonné où les gaz d’échappement de voitures se mêlent à la puanteur des eaux usées. 1,5 million de Palestiniens y vivent (70% sont soit des réfugiés originaires de ce qui est aujourd’hui Israël ou les descendants de réfugiés). La moitié d’entre eux ont moins de 17 ans. Ils vivent dans une zone côtière plate et poussiéreuse qui n’est que deux fois plus grand que Washington D.C.. La plupart sont apatrides et n’ont jamais quitté les territoires palestiniens ou Israël. Les familles s’empilent dans des sortes de boites en ciment recouvertes de toitures en tôle ondulée retenue par des grosses pierres. Ils n’ont que peu de meubles. L’eau et l’électricité arrivent sporadiquement. Le taux de croissance de la population est l’un des plus élevés du monde : un taux de naissance de 3,7% par an en comparaison au taux de 1,7% annuel en Israël. Des charrettes tirées par des ânes encombrent les rues et des déchets putrides débordent des poubelles orange, don de l’Union Européenne.

Le seul chemin qui reste à la plupart des jeunes hommes de Gaza pour s’affirmer est la mort. J’ai assisté ici à d’innombrables enterrements. La décision des jeunes hommes (quelquefois même des garçons) de mourir est une décision consciente. Elle est née de ce désespoir et de cette rage. Elle est née d’un sentiment d’impuissance et d’humiliation. Elle est née d’une croyance qui dit que de ne pas accepter le sacrifice, même la mort, déshonore ceux qui sont « partis » avant, néglige les membres de la famille, les parents et les amis qui ont perdu leur terre, qui ont subi des décennies d’humiliations et d’abus de l’occupation, et qui ont souffert ou sont morts en résistant.

Les jeunes à Gaza n’ont rien à faire. Il n’y a pas de travail. Ils n’ont nulle part où s’échapper. Ils ne peuvent pas se marier parce qu’ils n’ont pas les moyens de se loger. Ils ne peuvent pas quitter Gaza, même pour aller en Israël. Ils dorment, quelquefois à 10 par chambre, et vivent avec moins de 2$ par jour, survivant sur les aumônes des Nations-Unies ou du Hamas et les dons de nourriture. Le martyr est la seule route qui se présente à ceux qui veulent accomplir un acte, aussi bref soit-il, qui leur apporte reconnaissance et gloire.

Les Palestiniens ont été nourris de récits d’abus, de désespoir et d’injustices. Les familles racontent et racontent encore comment ils ont été jetés hors de leurs terres et les histoires de parents tués ou exilés. Ils peuvent tous cocher les noms de martyrs appartenant à leur clan et qui sont morts pour cet Etat palestinien insaisissable. Le seul document encadré dans beaucoup de maisons palestiniennes est un acte de propriété couleur sépia, datant du mandat britannique. Certains hommes âgés gardent encore les clefs des maisons qui ont depuis longtemps disparues. Dès l’enfance, le virus du nationalisme et le fardeau de la vengeance sont inoculés chez les Palestiniens. Et, comme en Bosnie, un tel ressentiment s’infiltre dans les racines de la société pour des générations jusqu’au moment où il refait surface ou est finalement modifié, souvent seulement après que beaucoup de sang ait été versé.

« Dis à l’homme ce que tu voudrais être » a dit, la dernière fois que je l’ai vue, Hyam Temraz, l’une des femmes de Rayan, à son fils de 2 ans, Abed, en jetant un coup d’ ?il furtif à travers la fente de son voile noir.

« Un martyr » a répondu timidement l’enfant.

« Nous étions en Jordanie quand mon fils Baraa (4 ans) a vu un soldat jordanien. Il s’est mis à courir et l’a embrassé en lui demandant si c’était lui qui allait libérer la Palestine » raconte Hyam. « Il m’a toujours dit qu’il serait un martyr et qu’un jour, je creuserai sa tombe ».

Au début de la deuxième Intifada, j’ai été pris dans une bataille à la jonction Nezarim de Gaza. A quelques pas de là, Marwan Shamalekh (19 ans) a reçu une balle mortelle dans le dos, balle tirée par des soldats israéliens. Quand il est mort, il était en train de lancer des cocktails Molotov artisanaux sur un poste avancé israélien. Les bouteilles enflammées atterrissaient sans faire de dégâts contre le mur de béton de l’enceinte. Il n’avait pas d’armes. J’ai couru avec les compagnons de Marwan qui emportaient son corps flasque sur la route. Les soldats israéliens nous ont tiré dessus pendant que nous fuyions.

J’ai arrêté de me raser et j’ai laissé pousser ma barbe en signe de respect et de deuil pour Marwan. J’ai rendu visite à ses parents. Ils ont mis une chaise sur le patio en ciment à l’extérieur de leur toute petite maison. Ils m’ont servi des assiettes de dattes et des demi-tasses de café amer. Madame Shamalekh ne pouvait pas parler : elle sanglotait doucement dans un mouchoir.

Abdel Razaq Shamalekh, le père de Marwan, étreignait son fils de 9 ans, Bilal. Le garçon me fixait d’un regard perdu.

« J’ai dû porter Bilal dans son lit après lui avoir dit que son frère avait été tué » raconte le père. « Il s’est écroulé. Je l’ai trouvé plus tard sortant de la maison avec un couteau qu’il avait pris dans la cuisine. Il m’a dit qu’il partait à Nezarim pour tuer des Israéliens ».

2 janvier 2009 - Truthdig - traduction : Ana Cléja


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