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Guerre de l’image à Gaza

dimanche 11 janvier 2009 - 14h:10

François-Bernard Huyghe - IRIS

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Au moment où nous écrivons, il est impossible de savoir où s’arrêtera l’offensive israélienne à Gaza. Mais une chose est déjà assurée : elle se double d’une guerre de l’information d’un nouveau type.

Son symptôme le plus visible en est le refus de Tsahal de laisser pénétrer les médias internationaux dans la zone de conflit. Alors que sa tradition était plutôt de tenter de séduire les journalistes par des officiers chargés de la communication, anglophones ou francophones et de contact agréable, la stratégie de la transparence semble terminée, comme l’exploitation du thème "nous sommes une démocratie comme vous".

Il faut sans doute voir là une conséquence de l’expérience du Liban sud : le Hezbollah avait réussi tout à la fois à embourber l’armée de l’État hébreu dans un guérilla urbaine et à faire diffuser par les télévisions du monde entier des images des victimes civiles, tout en étant très présent sur Internet et les médias alternatifs. L’organisation chiite s’est dotée d’un véritable ministère de l’information et savait parfaitement diriger l’attention des médias là où il fallait.

Du coup, les responsables militaires israéliens sont tentés d’appliquer la méthode qui avait réussi aux Britanniques dans la guerre des Malouines : "Pas de médias, pas d’images, pas d’ennuis". Certes, il reste sur place des journalistes palestiniens (puisque vivant sur place), mais les responsables israéliens (devenus quelque peu paranoïaques et persuadés que les journalistes sont soit des adversaires, soit des victimes de l’habile "atrocity propaganda" des Palestiniens) se disent sans doute que, tant qu’à subir la version adverse, au moins elle apparaîtra clairement comme telle : sa source "arabe" la rendra peu crédible. Bien entendu, la stratégie qui consiste à couper le robinet à images échouera : à l’ère numérique, les vidéos prise par des amateurs ou les récits de témoins - ne serait-ce que sur les blogs - ne peuvent plus être censurés. Et l’espoir que les événements de Gaza seront sinon ignorés, du moins minorés, à condition qu’il n’y ait pas des "idiots utiles" pour mettre les morts civiles sur l’agenda des médias est plus qu’une utopie. Les images et les textes dérangeants passeront (y compris ceux issus de source israélienne hostile à la guerre).

Aussi les Israéliens ont-ils recours à d’autres méthodes, soutenus en cela par des associations internationales pro-israéliennes plus ou moins privées (agences de presse, ONG, think tanks, journaux papier ou en ligne, groupes "citoyens" de "media watch", c’est-à-dire de surveillance des médias suspects de préjugés anti-israéliens vite qualifiés d’antisémites).

- Premier type d’actions : attirer les médias sur les bonnes images et les bonnes versions des choses. Et surtout leur désigner les bonnes victimes puisque les guerres sont aussi devenues des compétitions de massacrés télégéniques. Ainsi, pendant que Tsahal essayait de concurrencer les vidéos d’atrocités israéliennes par celles des horreurs du Hamas, des associations font parvenir aux journalistes des listes des victimes touchées par des roquettes du Hamas, avec numéros de téléphone et langues parlées. Ou encore, les médias pourront télécharger des documents son ou image. Vieille règle : pour être influent, il vaut mieux fournir les sources d’informations attractives et bien calibrées qu’il suffira au journaliste (ou au décideur) de recopier.

- Seconde règle : décrédibiliser les images venues du côté palestinien comme désinformation. Les accuser systématiquement d’employer les boucliers humains et de faire du "Palywood". Ce mot forgé à partir de "palestinien" et "Hollywood" résume l’accusation de trucage systématique. Comme nous l’avions déjà signalé, il circule sur Internet des vidéos tentant de démontrer que ce Palestinien qui fait semblant d’être touché à la jambe droite n’a pas vraiment été atteint, que - comme c’est bizarre - l’ambulance arrive bien trop vite, que ses camarades le mettent sur le flanc droit, que des témoins l’ont vu se relever et courir comme un lapin cinq minutes plus tard... Bref, tout serait truqué, joué par des comédiens, de façon même pas très vraisemblable, et il faudrait être niais comme un journaliste occidental pour croire à de telles mises en scènes, destinées à l’évidence à émouvoir les téléspectateurs.

Du coup, avec une ingéniosité qui n’égale que celle d’un Meyssan démontrant l’impossibilité matérielle qu’un avion se soit écrasé sur la Pentagone, des détectives amateurs s’acharnent à nous convaincre que la vérité est ailleurs et que nos écrans ne nous présentent qu’un monde d’illusions mis en scène par le Hamas ou le Hezbollah avec la complicité des jobards de la presse.

C’est ainsi que, depuis des années, le journaliste français Charles Enderlin est accusé par des groupes de pression d’avoir monté en images un grand mythe anti-israélien : la mort du petit Mohamed al-Durah soi-disant touché par des balles de Tsahal au début de la seconde Intifada. Là encore, prétendent les enquêteurs-amateurs, il serait impossible que les balles proviennent de telle direction, que le bras d’un cadavre se plie dans cette position, que telle image ait été filmée à tel moment, et ainsi de suite : bref l’enfant aurait été tué dans les bras de son père par des balles palestiniennes car il était physiquement impossible que ce fût par les Israéliens. Il s’en est ensuivi des années de procès en diffamation, France 2 étant décidée à ne pas laisser suspecter l’honneur d’un de ses journalistes vedettes. L’affaire est loin d’être close et Charles Enderlin, dont il est absurde de soupçonner la bonne foi, est toujours l’objet d’une campagne systématique.

Il s’agit d’un procédé qui n’est pas nouveau : la métapropagande, ou accusation portée contre toute information venant du camp adverse ou favorable aux ennemis d’être en réalité du mensonge et de la propagande. Le principe est "Ils font de la propagande, nous disons la vérité" et son corollaire : "Tout ce qui dessert notre cause a été fabriqué par des manipulateurs ; il faut être naïf pour y croire.". La méthode est d’autant plus efficace qu’elle s’appuie souvent sur un pseudo-effet d’évidence cher aux conspirationnistes : "mais regardez cette photo, vous n’allez pas croire que tel détail soit vraisemblable", même si le spectateur naïf ne voit vraiment rien qui contredise les lois de la physique ou de la vraisemblance. D’autant plus que le public échaudé par quelques trucages notoires (les faux cadavres torturés de Timisoara pendant la révolution roumaine de 1990, par exemple) est souvent enclin à croire que tout n’est qu’illusion et mise en scène. Et tout le monde se souvient des médiamensonges en images des deux guerres du Golfe.

Est-ce à dire que tous les reportages montrant des victimes civiles palestiniennes (dont le nombre global est, en tout état de cause, difficile à nier) soient rigoureusement authentiques ? Bien sûr que non ! À intervalles réguliers, les journalistes se font piéger. Ainsi France 2 a récemment diffusé des extraits d’un reportage, sans doute pris libre de droits sur Dailymotion - présenté comme pris à Gaza il y a quelques jours. Les images de femmes et d’enfants déchiquetés par les missiles étaient particulièrement atroces . Surprise : on découvrit que les images dataient en réalité de 2005 et montraient l’explosion (accidentelle ?) d’un camion de munitions en zone palestinienne. Et la Licra de dénoncer France 2. En sens inverse des images censées montrer des militants palestiniens armés de redoutables obus (et pourquoi pas d’armes de destruction massive ?) montraient en réalité le transport de bouteilles d’oxygène.

Une image ou récits d’atrocités d’un côté ou de l’autre ne sont ni forcément vraies, ni forcément fausses. Faut-il pour autant se convertir au scepticisme absolu ? Mais comme le rappelait Clemenceau on peut discuter philosophiquement de la relativité de la vérité, il n’empêche qu’en 1914 c’est l’Allemagne qui a envahi la Belgique, pas l’inverse.

François-Bernard Huyghe est chercheur associé à l’IRIS ; il anime le site http://huyghe.fr/, dernier ouvrage « Maîtres du faire croire » (Vuibert).

9 janvier 2009 - IRIS


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